Le lendemain
matin, après une nuit où j’ai flirté avec la folie, à savoir si la colère de
Colette elle a pas déteint sur la météo. Neptune il est fou de rage. La
Méditerranée elle tape la danse du ventre sous une pluie battante. Les chutes
du Niagara c’est plus au Canada, c’est aux Horizons Bleus. Y manque plus que
Gilbert Roland qui traversait les chutes comme un funambule sur son fil dans un
film que je me rappelle plus le titre avec la tête de babao que j’suis.
Purée, la
marabounta qui tombe !Le pull, je l’enfile fissa fissa comme un mort de froid. Serge y défie les éléments
déchaînés parce que lui il est mort de faim ; alors y monte chercher le
pain, le lait et le beurre chez Argento. Ch’uis assis, les mains entre les
cuisses à subir les embruns que le vent y me crache à la figure comme un mal
élevé qu’il est.
Cette
solitude, face à la folie de la météo, c’est un moment privilégié même si je me
gèle les cacahuètes, soua-soua. Le ciel
on sait même pas où y commence et où elle commence la mer. (Un autre il aurait
dit « on voit pas l’horizon »).
Purée !
c’est là que je pense à Colette. Elle doit être plus en colère que dame nature.
Surtout que on m’a toujours dit que la colère c’est une seconde nature chez les
« donzelles ». Jusqu’à hier soir, elle m’avait donné l’impression de
maîtriser ses nerfs et de penser que la colère elle était mauvaise conseillère,
et puis patatras ! Quelle contenance je vais prendre ? Dieu seul le
sait.
Soit je joue
le dur style Kirk Douglas dans « ok corral » soit je rampe style jack
Lemmon dans « la garçonnière » mais la vérité, avec l’épisode
Francette, je serais le roi des falampo si
je faisais pas bonne figure à ma petite chinoise.
Petit à
petit, les fainéants y se lèvent et chaque fois c’est le même étonnement
ponctué de gros mots :
« Oh !Putain !
C’est l’hiver ou quoi ? » Après y se tapent le chocolat chaud pour
les petits et le café au lait pour les grands. Dans tous les pays où l’hiver y
fait que passer sans repasser, une certaine effervescence elle envahit les
cœurs. Une joie intérieure, une exaltation inexplicable elle s’empare de chacun
comme si le père noël y descendait sur terre. Ici, on dirait que les Horizons
Bleus, on a gagné à la loterie nationale. Plusse la marabounta elle dégringole
du ciel et plusse on est tous contents. Le rire y maquille tous les visages.
Même ceux
qui sont vilains, pas beaux et laids y rayonnent de bonheur qu’à force y
deviennent magnifiques. Sauf Luc qui garde sa tête de coulo quelle que soit la
météo. Purée, ch’uis méchant comme une teigne.
Colette elle
arrive sur la terrasse emmitouflée dans un petit ciré jaune. Je lui souris
jaune comme le ciré. Je plaisante et pourtant j’en mène pas large (« j’en
mène pas large », la vérité, qu’est ce que ça veut dire cette expression
quand on l’analyse froidement ?)
Même pas Ma
petite chinoise, elle me rend mon sourire. Ni jaune, ni rouge ni arc en ciel.
Aouah ! Elle s’est levée de la cuisse gauche. Elle me regarde avec des
yeux assassins. Si un regard y pouvait tuer, tout Alger y serait en train de me
pleurer.
Les
manchettes des journaux : « Le pauvre, il était si beau ! »
La page suivante « et si intelligent !» même la page des sports, elle
se fendrait d’un titre à la une :« ce sont toujours les meilleurs qui
s’en vont ! Meilleur au football, meilleur aux noyaux, un as de la
carriole »
BA !
BA !BA ! Le chagrin qu’elle aurait ALGER. A mes obsèques, même Luc la
tapette y verserait quelques larmes. Purée, tous les amis que j’avais et j’le
savais pas. Tous y m’aimaient ! RE BA ! BA !BA !
Comme la
pluie elle pleure de plus belle, la terrasse elle devient piscine. L’inondation
elle nous pend au nez. Alors, les hommes y coupent le poil qu’y z’ont dans la
main pour tendre une grande bâche au dessus de nos têtes. Le camping au
cabanon, même en Amérique y connaissent pas. Purée, pour arrimer la toile,
l’inspecteur des travaux finis, Papa Vals, rien qui critique : « Tu
vois pas que la ficelle elle est trop courte, spèce de bourricot d’Espagne ! »
Papa
Bensimon y renchérit : « c’est pas la ficelle qu’elle est trop
courte, c’est tes bras ! »
--« Et puis tch’es sur qu’elle est
étanche cette bâche ? »
--« Va
étancher ta soif, spèce de kilo que tch’es. Laisse faire les
techniciens ! » Ca c’est tonton Robert qu’il en touche pas une en
travail manuel. Lui, c’est l’intellectuel de la famille que tout le monde on le
voyait président de quelque chose total il est président de rien du tout. Sa
mère, la pauvre toutes les excuses il lui trouve : « Des intelligents
comme lui, yen a pas deux à Bab El Oued. Seulement il a pas eu de chance, le
pauvre mon fils ! »
Tant bien
que mal, la toile elle tient. Pour l’amour de Dieu, mais elle tient.
Dans cet
orage que le ciel y nous déverse sur la tête, je vois comme un signe du bon
dieu. Avec cette folle météo, obligé je reste au cabanon et Francette l’obsédée
elle est dans l’impossibilité de me rejoindre ou sinon elle se noie. Châ !
Pendant ce temps, je sens que ma petite chinoise et moi on va se rabibocher soua-soua.
Je vais user de tout mon charme oriental pour amadouer Calamity Jane. Le déluge y joue du tam-tam
sur la bâche. On croirait que Madame Bono, ces noirs venus de la montagne, ces
faiseurs de pluie y sont descendus aux Horizons Bleus. Purée, dé ! Si c’est
vrai que c’est des faiseurs de pluie, mon ami, y sont forts, hein ! Y pouvaient pas rester chez eux, non !
Chacun y
s’arrange avec ce temps pourri. La belote pour les uns, la tchatche pour les
autres et pour les femmes qu’elles pensent qu’au menu de midi ( et avec ce
temps, y faut avoir le coco plein !) la corvée du manger. Colette elle se
tient à l’écart comme une pestiférée. Alors, Clark Gable, qué je fais ?
J’y vais ou j’y vais pas ? Allez, va je me jette à l’eau ! Avec cette
pluie, c’est normal.
--« tu
boudes ? » je lui demande l’air babao comme si je le savais pas.
--«
Non, mais on marche plus ensemble ! »
Regardes moi
là, dé ! Elle sait même pas que j’ai tripoté les tétés de Francette et
elle me calcule plus. Les filles, c’est d’un compliqué !
--«
Comme tu veux tu choises. Tu sais si je peux même plus parler à un copine sans
que tu casses, alors tch’as raison, on marche plus ensemble. »
Mais quand
même, où j’ai appris à parler comme ça aux filles, où ? Je cherche et je
me dis que je vois trop de films. Ca déforme ma personnalité. C’est Robert Taylor ou Humphrey Bogart qui parlent
par ma voix. C’est pas le p’tit morveux du jardin Guillemin. D’où y connaît les
filles, çuila.
Je dis
çuila, total c’est de moi que je parle ! Aouah, y faut que j’me calme ou aller voir des films de cow boys ou
mieux de Bud Abbot et Lou Costello.
Calamity
Jane, si elle pouvait me jeter les assiettes à la tête comme une femme mariée,
elle le ferait. Elle m’énerve mais je la trouve belle comme une poupée. Faute
d’avoir fait la paix avec elle, je m’approche de la table où les babaos y se tapent une partie de
Monopoly. J’ai horreur de ce jeu de nouilles. Si je pouvais, je le brûlerais
avec tous ces billets de fausse monnaie qui servent à acheter des maisons à
Paris. Qué Paris. Je m’en fous comme de ma première chemise de Paris.
D’ailleurs, aujourd’hui, je m’en fous de tout, alors !
Y faut dire
que seul le football y trouve grâce à mes yeux. Le football et les cartes. Et
les jeux de rue style carrioles, noyaux, toupies, taouètes et compagnie. Des jeux de voyous, quoi !
Seul sur mon
île déserte, y me reste qu’à rejoindre
la tablée de manille où Papa Vals et mon père y se la disputent à Mr Thomas et
Valenza. Je m’assois derrière mon père même si je sais qu’il a horreur d’avoir
quelqu’un derrière lui qui regarde par-dessus son épaule quand y tape la
belote, le poker ou la manille. De temps en temps, je jette un œil sur Colette
qu’elle fait rien que rigoler comme si elle nageait dans le bonheur. Comme
« Sissi » quand elle se promène dans la forêt avec son père.
La pluie
comme une ralah, elle cesse jamais au grand jamais. Démontée, la mer elle tape
la guerre contre les poissons. Raïeb, qu’est ce qui doivent être remués.
Remarque, mieux ça que dans une marmite !
Amman, on
dirait l’hiver au Groënland. Même pas je sais où il est, le Groënland. Moi je
fais pas comme ce falso de Luc que zarmah c’est une lumière. Total, chaque
fois qu’on lui pose une question, y coupe le courant.
La grisaille
environnante , elle engendre pas la mélancolie parce que les rires y
fusent de partout. Les engueulades aussi à cause des mauvais joueurs et des
tricheurs, qui pullulent aux Horizons
Bleus.
Ma petite
chinoise, elle a jamais parue aussi belle avec son pull over rouge vermillon et
le col blanc de son « alligator » relevé. Je fonds devant ses cheveux
bouclés et ses yeux noirs, son teint bronzé et son sourire. Purée, comment une
fille si jolie avec un air si doux elle a un caractère pareil. Elle est pas à
prendre avec des pincettes quand elle est jalouse, ça j’en suis sur. Comme elle
dit ma mère en parlant d’une certaine voisine, « c’est un véritable
poivron piquant ».
Allez va. Je
vais m’asseoir à côté d’elle. Comme elle est en bout de banc, je lui demande de
me faire une petite place. Elle s’exécute belmot.
Juste pour la forme. Alors, obligé, je m’assois tout contre elle, ma cuisse se
plaquant contre la sienne. Colette elle
comprend mon manège comme si elle avait fait math sup. Et le miracle y
s’accomplit. Je deviens Bernadette Soubirou ou quoi ? Rêve-je ? Elle
me tape un sourire en se collant un chouïa contre moi ! Ma parole
d’honneur ! Houla, si je
mens !Encouragé, qué je fais ? Zarmah,
pour mieux voir le jeu que je peux pas voir en peinture, je me penche vers
elle. Purée, qu’est ce qu’elle sent bon ! Christian Dior y peut aller se
rhabiller lui et ses parfums entêtants comme elle dit Madame Noguès qui préfère
sentir la transpiration. Ma petite chinoise, elle se parfume au savon noir et
mon ami, ça embaume le pain grillé. On en mangerait.
Mon bras,
malicieux comme pas un, y tente de s’enrouler autour de sa taille mais d’un
geste discret, elle se dégage. Ma main pas découragée pour deux sous,
elle caresse son pull over. Elle me regarde. Je suis vert, bleu et rouge de
confusion. A savoir si elle est contente ou pas. Purée ce calvaire que les
garçons y passent avec les filles. Et encore c’est qu’un début. En désespoir de
cause, je lui glisse à l’oreille :
« Tu
viens au hangar à bateaux ? ». Bou ! Le courage qui m’a fallu
pour sortir cette phrase de ma bouche. Tellement j’ai honte, même pas je crois
que c’est moi. Elle tourne son beau visage vers moi et elle me répond un
Non qui fait passer le courant du Labrador sur la terrasse des Horizons Bleus.
Déjà que la température elle est souèd !
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