vendredi 17 mai 2013

"MARIE TOI DANS TA RUE, MON FILS" DE HUBERT ZAKINE

Le Centre médical Chaim Sheba de Ramat Gan dans la banlieue de Tel Aviv était le plus grand hôpital d’Israël, renommé dans le monde entier pour ses services hospitaliers, ses domaines de recherche et les soins prodigués aux patients. Il avait été créé en 1948, un mois après la proclamation de l’indépendance d’Israël. Le Centre médical Chaim Sheba possédait une aile militaire dédié à Tsahal. Richard y avait été transféré pour y subir des interventions à la jambe et au bras. Rassurés par l’importance de l’hôpital et par les installations qui rappelaient le luxe d’un hôtel cinq étoiles, la famille Benaïm avait été prise en mains par une infirmière militaire très douce mais qui ne parlait pas un mot de français. Lisette restait calme auprès de Carmen et son mari contrôlait son impatience en faisant les cent pas pendant que son frère qui avait tenu à faire le voyage se demandait comment la langue hébraïque avait réussi à renaitre de ses cendres au point de ne trouver personne pour les renseigner. Carmen se rongeait les sangs mais elle se faisait un devoir de taire son angoisse, de peur de déstabiliser sa future belle mère qui craquait de partout mais donnait le change par un sourire grimacé à son mari. C’est un homme d’une quarantaine d’années qui se présenta à la famille Benaïm dans un français qui ne laissait aucun doute sur ses origines d’Afrique du Nord :


--« Je me présente Docteur Itsak Moatti, je suis l’un des responsables du Centre Chaim Sheba, détaché auprès de la section militaire de Tsahal. Richard Benaïm, votre fils a été salement touché mais nous avons opéré immédiatement ce qui nous a permis de sauver sa jambe. Bien sûr, il nous reste beaucoup à faire pour lui redonner la souplesse et un aspect beaucoup plus conforme à ce qu’elle était avant l’explosion, mais l’essentiel réside dans le fait que sa jambe n’aie pas été amputée. »

Lisette et Carmen restèrent pétrifiées devant les premiers mots du médecin. Léon trouva la force de poser la question qui était en suspend mais que toute la famille se posait :

--«  Est-ce que mon fils remarchera ? »

--«  Nous allons tout faire pour mais cela dépendra beaucoup de lui. Mais il nous a surpris dans son approche de sa maladie car c’est une maladie et, à présent, nous l’aiderons à canaliser cette colère qui est en lui. Mais nos jeunes sont à mille lieues du comportement d’autres jeunes de la planète car ils sont soutenus par une foi inébranlable en notre cause et surtout à la justesse de cette cause. Votre fils a le mérite d’avoir choisi son combat contrairement à d’autres garçons auxquels on l’a imposé. Il a dit à l’un de nos nombreux psychologues militaires et dieu sait combien ils sont nécessaires dans un pays où tant de jeunes hommes partent à la guerre, que son corps a fait rempart et qu’en fait, il était heureux d’avoir sauvé des vies même s’en le vouloir. C’est le raisonnement de tous les soldats de Tsahal. La solidarité, dans ce pays, n’est pas un vain mot. On est très loin de ce qui se passe en France, ici, on est embarqué sur le même bateau et ce bateau n’est plus l’Exodus. »

Le médecin précéda la famille Benaïm dans un long couloir bleu ciel, couleur qui dominait l’aile réservée à Tsahal et entra dans une chambre où Richard discutait en hébreu avec un soldat amputé de la jambe gauche.

Le visage de Richard s’illumina d’un sourire étonné qui se doubla d’un rictus de contrariété quand Carmen apparut dans l’embrasure de la porte. Il fit contre mauvaise fortune bon cœur, donna le change en masquant l’irritation envahissante qui l’accablait. Après les effusions naturelles pourtant étouffées par le milieu médical où elles avaient lieu, en se rendant compte que ses parents, Carmen et son oncle avaient parcouru des milliers de kilomètres pour le voir, il se dérida. Il pensa à l’inquiétude qui s’était emparé d’eux et surtout de sa mère si douée pour ce sentiment tant développé en en Algérie et dans toute la méditerranée.

Le médecin s’éclipsa pour laisser la famille Benaïm se remettre de ses émotions et les femmes pleurer à chaudes larmes, versant toute la peur contenue depuis que ce drame était entré dans leur existence. Les hommes, parlaient pour ne rien dire afin de soulager leur angoisse et leur émotion. Les soupirs succédaient aux phrases toutes faites, les silences convenues aux lamentations féminines, la description de l’explosion dans le moindre détail, les questions militaires aux réponses de l’état major, tout fut passé en revue avant que Lisette dérida tout son monde avec une question qui lui brulait les lèvres depuis bien longtemps :

--« Le docteur il est pas de chez nous ? »

Les visiteurs furent priés de quitter le Centre Médical après que les hommes s’enquirent auprès du Docteur Moatti de la situation réelle de Richard. Profitant de l’absence des femmes, il éclaira, sans langue de bois et sans angélisme, le cas du soldat de Tsahal, ses chances de reprendre une vie normale avec une jambe torturée et un bras qui semblait ne pas pouvoir récupérer la totalité de ses mouvements. Une rééducation fonctionnelle suivie de deux opérations de confort complètera le traitement.

--« Mais il lui faudra s’armer de patience, ce sera sa meilleur alliée. Il le sait. Nous l’avons suffisamment mis en garde. Il aura besoin de vous. Quand il reviendra à la vie civile, il ne faudra pas lui lâcher la main»

Carmen resta seule avec Richard mais ne put s’épancher tant l’accueil était distant. La jeune fille s’en ouvrit à Lisette qui ne s’en émut guère conservant son pouvoir d’émotion et de révolte pour son fils, la rassurant sur le comportement de Richard en proie au doute.

--« Et c’est là où ta présence, elle va se révéler très importante. Par ton amour de tous les instants, il faut qu’il se rende compte que ton comportement envers lui il est toujours le même. »

--«  Pourquoi, vous en doutiez ? »
se défendit Carmen qui craignait que la mère de Richard se méprenne sur la raison de son inquiétude.

--«  Pas le moins du monde, et surtout tu serais pas là en ce moment si tu le pensais, ma fille ! 
Et elle ajouta avec cette phrase empruntée à la casbah de sa jeunesse

--«  Demain, le bon dieu il est grand ! »
 
A SUIVRE...............

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