lundi 2 avril 2012

MARIE TOI DANS TA RUE, MON FILS! de Hubert Zakine

Souvent, Rosette s’enfermait avec sa fille pour la jauger et savoir si elle demeurait dans les mêmes dispositions d’esprit. Elle se disait qu’un beau jour elle lui annoncerait qu’elle avait rompu avec Richard mais elle ne se faisait pas d’illusion, sa fille était très amoureuse. Alors, chaque fois qu’une difficulté apparente venait à son secours, elle sautait sur l’occasion :
--« Tu savais, ma fille, que seuls les juifs y peuvent bénéficier de la loi du retour. D’abord tu connais la loi du retour ? »
--« Bien sur ! C’est la possibilité des juifs d’être considéré comme des israéliens et de bénéficier de tous les avantages des nouveaux émigrants….
--« Mais toi, tu es une chrétienne de Perrégaux, pas une juive ! »
--« Je serais ce que mon mari y veut que je sois ! »

Rosette hocha la tête la moue dubitative et ajouta : « Ma fille, laisse le faire son service militaire, le bon dieu il est grand ; après on verra. Y peut s’en passer des choses en trois années. Y peut tomber amoureux d’une israélienne ou bien ne plus vouloir vivre là-bas. Dieu seul le sait. »
Carmen planta là sa mère en signe de désapprobation et plutôt que prolonger une discussion qui tournait en rond, elle s’enferma dans sa chambre pour téléphoner à Richard au grand désappointement de sa mère.
Elle avait un projet qui lui tenait à cœur dont elle désirait s’entretenir avec l’homme de sa vie mais dont la teneur exigeait sa présence. Le téléphone étant trop impersonnel.


*****

Elle était belle dans son petit tailleur de drap bleu marine que lui avait offert ses parents pour son anniversaire et qu’elle étrennait pour la circonstance. L’été avait ensoleillé sa chevelure et caramélisé sa peau. Elle se savait désirable et désirée et seule son éducation avait freiné l’ardeur qui parcourait son jeune corps. Plus d’une fois, sa jeunesse triomphante s’était emballée dans les bras de Richard mais autant pour respecter une vieille tradition de là-bas que par une promesse faite à sa virginité, elle avait su résister à l’envie irrépressible de son corps. Elle savait gré à Richard d’avoir freiné ses élans du cœur qui plus d’une fois l’avaient entraîné vers les chemins défendus.

Pourtant, en ce jour de printemps, sa décision prise, elle avançait d’un pas résolu vers sa destinée. Toute la nuit, elle avait imaginé le film de cette journée qu’elle espérait merveilleuse. Pour la première fois, son corps allait lui dicter sa loi sans aucune retenue. Sa crainte de commettre l’irréparable lui paraissait soudainement moins « irréparable ». Au contraire, elle sentait tout au fond d’elle que son sentiment avait besoin de ce geste d’amour pour l’ancrer indéfectiblement dans sa nouvelle vie.

Richard était loin de se douter que cette journée allait le confronter au plus grand dilemme proposé par sa jeune existence. Faire une femme de Carmen était un délicieux challenge plein de promesses mais cet acte d’amour pour merveilleux qu’il soit influencerait le reste de sa vie et celle de sa promise. Or, son départ pour trois années de service militaire en Israël semblait source d’incertitudes et d’hésitations sur le devenir de leur histoire.

--« Seule la mort peut m’empêcher d’être à toi. Alors un peu plus tard ou un peu plus tôt. Ce que je veux c’est signer un pacte avec toi. Un pacte d’amour qui défiera les années et les hommes, mes parents comme tes parents, le monde entier et même au-delà. Si tu m’aimes, et de ça je n’en doute pas une seule seconde, tu peux pas refuser mon amour. De toute façon, je veux t’appartenir corps et âme. Ton départ pour Israël ça précipite les choses mais déjà depuis longtemps, ma décision était prise. Je serai à toi, définitivement. »
--« Si j’ai bien compris, j’ai pas le droit au chapitre ; je m’exécute un point c’est tout…… » puis après un moment de réflexion, il précisa avec une pointe de satisfaction : « Mais j’en connais beaucoup qui aimeraient s’exécuter, c’est moi qui te l’dis ! »

Richard prit Carmen dans ses bras. Le baiser qu’ils échangèrent scella leur accord mieux que ne l’aurait fait une signature sur un parchemin.

Mais, loin des parents et des amis, loin des vœux et des désirs, loin de leur amour demeurait la raison. Comment ne pas tenir compte du risque encouru lors des trois années sous la bannière étoilée face au fanatisme des fous d’Allah. Richard savait très bien à quoi il s’exposait en défendant la terre d’Israël et ne désirait à aucun prix engager sa parole sur les pentes de la désillusion. Alors, malgré la tentation, il expliqua les raisons de son refus. Carmen en fut décontenancée mais se plia au jugement de Richard dont elle apprécia le discernement.
--« Tu perds rien pour attendre ! » plaisanta t-il en guise de conclusion.
La dernière soirée à Cannes ressembla à la dernière soirée à Alger. Même tristesse, même atmosphère pesante, mêmes pleurs étouffés, mêmes rires forcés, tout lui rappelait Alger. La mère de famille toujours au four et au moulin, s’enivrant de travail et de préparatifs, répétant sans cesse les recommandations, le balcon accueillant les derniers regards panoramiques sur des paysages abandonnés, le sommeil qui se dérobe dans la moiteur de la nuit, tout lui rappelait le triste soir de la descente aux enfers pour un million de personnes trimballées par le vent de l’histoire. Mais ce soir, cette nuit était belle, chargée d’espoir et d’imprévu, vers un ailleurs longtemps attendu.

Le matin, comme une condamnation, sonna le réveil de la maisonnée. La mère s’enferma dans sa solitude et le silence accompagna le petit déjeuner. L’oeil rivé sur la pendule rescapée d’Alger, la famille regroupée autour du père et de l’oncle venu de grand matin pour servir de taxi à Richard, la mère, la larme à l’œil et le verre d’eau à la main, ravalant amertume et inquiétude, tout respirait la tristesse. Alors, Prosper donna le signal du départ.
A SUIVRE......................

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