mercredi 3 août 2011

MA MERE JUIVE D' ALGERIE de hubert zakine

EXTRAIT
1957
En ouvrant l'album de famille de cette époque, les photos noir et blanc me renvoient  ton image de mère juive d'ALGERIE, me protégeant sous un ciel tourmenté, abrités tous deux sous le rideau de soleil affecté en hiver, à détourner la pluie. Le pantalon-golf acheté à crédit chez " DISCOPHONE", toute la famille réunie autour de ta table, les trois frères posant au jardin Marengo à l'orée de cette casbah de ta jeunesse, et toi, surprise en train d'étendre ton linge, images qui signent l'époque et marquent le  temps écoulé, images d'un bonheur simple à jamais révolu.

Bonheur simple d’humbles gens venus de tous les horizons vers cet eldorado promis par la propagande française et l'espérance ensoleillée d'un pays en devenir. Retrousser les manches et suer sang et eau, un challenge digne d'eux et de leurs aspirations, un challenge à relever pour offrir à leurs enfants une bien meilleure vie que le misérable exil auquel ils durent se soumettre.

La première génération sacrifiée au combat de l'émancipation,  la France hérita d'un peuple outre-méditerranéen au patriotisme exacerbé car il est bien connu que  l'amour de la patrie est inversement proportionnel à la distance qui la sépare de ses enfants. Plus la patrie est éloignée, plus le sentiment de lui appartenir est fort, tenace, charnel, irréversible. Loin des yeux, loin du cœur n’avait pas cours sur cette terre d’amour.

Ma mère juive d'ALGERIE, tout en faisant partie de ce peuple pied-noir dont tu étais si fière, tes ancêtres n'étaient pas enfants de la misère mais enfants de l'intolérance. Ils ne furent point chassés par la faim mais par l'épée de l'inquisition médiévale. Ils quittèrent leur terre natale pour ne pas avoir à choisir entre la conversion forcée ou la mort.  La liberté était à ce prix. Ils débarquèrent dans le port d'EL DJEZAIR avec le seul souci, la seule priorité, de sauver leurs vies.

Au fil des années, ils ont subi les violences de l'empire ottoman avant que la Grande Nation ne mette fin à leur condition esclavagiste. Plus tard, beaucoup plus tard, la FRANCE réussit l'amalgame entre toutes les composantes de la population autochtone et immigrée de méditerranée. Sous sa bannière, le peuple pied-noir naquit.

Et toi, ma mère juive d'ALGERIE, tu en fis partie de tout ton être. Tu revendiquas, haut et fort, ton appartenance à ce peuple venu d'un peu n'importe où, auquel le pays offrit ses rivages et ses cailloux. Ce peuple qui sans jamais rechigner bâtit une FRANCE en méditerranée. Ce peuple héroïque en temps de guerre, rigolard les jours de fêtes, fataliste le reste du temps.

YYY

La fatalité jouait sur toutes les cordes sensibles de ton arc oriental. De ta jeunesse, tu conservais la trace de la vie et de la mort, étroitement mêlées au bonheur de la maison familiale. Pauvres mais belles, les filles DURAND, vêtues de deuil tout au long de leur adolescence et de leurs "années demoiselle", apprirent, à leurs dépens, que l'existence n'était rose que par intermittence.

C'est le malheur qui enseigne les jours à venir. Qui dessine la route à suivre et trace les sillons de la vie. Les soubresauts du chemin, les obstacles dressés sur les allées du bonheur, les gouffres à enjamber seront plus aisément franchis par les éprouvés que par les protégés. L'habitude est une seconde nature.

Ce fut vrai tout au long de ta vie, ma mère juive d'ALGERIE. L' exode ne fut que le prolongement des avatars qui parsemèrent ton jardin d'éden et la fatalité orientale qui colorait tes joues, s'additionna à ta certitude de partir momentanément de ta maison et de ta terre natale. Tu endimanchas ton appartement, effectuas un nettoyage digne du nettoyage de Pâques, rangeas tes armoires et ton buffet comme si tu revenais le lendemain. La fatalité ayant le confortable avantage de minimiser tout évènement tragique ou simplement contraire.

Par opposition, tu retrouvais ta verve et la notion des choses lorsque l'Eternel t'adressait un message encourageant comme la réussite de l'un de tes trois fils. Ainsi, le bonheur illumina tes joues à mon entrée au collège, frontière difficile à franchir mais annonciatrice d'un engagement vers des études de haut niveau. La fierté t'éclaboussait en exagérant tes réactions de mère juive d'ALGERIE, et même si nous tentions de tempérer ta béatitude, tu te complaisais dans cet état, faisant profiter ton entourage à la moindre rencontre spontanée ou provoquée par ton impatience d'annoncer la bonne nouvelle. Bien sur, le revers de la médaille te présenterait sa face hideuse avec la rentrée scolaire qui exigerait des achats de fournitures bien au dessus de tes maigres moyens. Mais, le temps du bonheur était là et il n'était point question de faire la fine bouche en ce mois de Mai 1957.
FIN DE L'EXTRAIT

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