mercredi 3 août 2011

MARIE-TOI DANS TA RUE MON FILS! de hubert zakine

EXTRAIT

L’incompréhension des parents rejaillissait inévitablement sur le comportement des amoureux. Carmen insistait auprès de Richard pour être présentée à sa « tribu », qualifiée ainsi en regard du nombre de frères et sœurs, de tantes et d’oncles, de cousins et cousines, de cette famille du cœur adoptée sur l’autre rive de la Méditerranée que l’exode avait éloignée des yeux mais non de l’affection.
Mais elle n’ignorait rien des obstacles à surmonter, obstacles qui se dressaient également devant la porte de sa maison et obstruait l’horizon.
De son coté, Richard, en proie à mille interrogations, cherchait secours et conseil auprès de son oncle Prosper.
--«  Tonton, comment je fais? Cette petite, elle me plaît; je suis bien avec elle; c’est de ma faute si elle est pas juive? Y faut la tuer parce qu’elle est pas juive? »
Prosper ne pouvait en aucun cas demeurer insensible à cet élan de sincérité, devant ce garçon qui se noyait devant l’absurdité de la situation. Mais il était l’aîné de la famille et le garant d’une unité fondée sur des certitudes millénaires. Son cœur s’écorchait sur le dilemme des mariages mixtes depuis le jour où il dut se résoudre à rompre avec la femme aimée pour épouser une fille partageant la même croyance religieuse. En ce temps là, dans la casbah judéo-arabe de sa jeunesse, la question ne se posait même pas tant l’on se mariait dans sa rue. L’histoire de son neveu s’inscrivait sur la même page du grand livre du judaïsme et des conséquences humaines de la conservation de la « race ».
--« Mon fils! Si quelqu’un peut comprendre ce que tu éprouves, c’est bien moi. Mon amour de jeunesse, je l’ai laissé s’en aller vers d’autres horizons pour obéir à mon père et aux convictions qui m’habitaient. Tout m’interdisait, alors, de poursuivre cette chimère qui m’aurait désigné à la vindicte populaire comme un renégat à la loi de MOÏSE.
L’histoire de ma famille, le regard de mes ancêtres, le nom que je portais, lourd de signification vis-à-vis de la multitude qui défendit ce patronyme contre vents et marées.
Souviens-toi mon fils les inquisitions, les pogroms, les chasses aux juifs, autant de funestes tentations d’abandonner ce nom hérité du judaïsme. Mes aïeux, tes aïeux y sont partis de ces pays pour conserver leur identité alors l’amour, tu sais mon fils, y pèse pas bien lourd dans la balance. Tu fais partie de ce peuple, de cette famille et tu te dois de les respecter tous les deux. »
Richard, assis en tailleur sur le fauteuil de son oncle, avait écouté, le regard dans le vague, la mise en garde de la sagesse. Mais il se savait incapable de renoncer à Carmen tout en sachant qu’il ne désirait emprunter aucune autre route que celle du judaïsme.
Il s’était investi dans cette romance sans calcul et sans préméditation. Sans coup de foudre et sans projet. L’amour avait émancipé ses sentiments et piégé son avenir. A cet âge-là, les lendemains se rêvent mais ne se calculent pas. La promesse de toute une vie reste l’engagement le plus solennel de l’existence et la révélation de leur amour avait surpris les deux enfants qui baignaient, alors, leur relation dans un océan de nostalgie. Ils s’étaient d’abord portés secours sur leur île naufragée avant de s’émouvoir de leur communauté de vue et de pensée. La passion avait débarqué sans crier gare lors de l’échange de leur premier baiser.
--«  Mais pourquoi c’est mal de fréquenter une « goy », pourquoi? »
--« Qui c’est qui t’a dit que c’était mal? Personne! Seulement y’a un monde entre fréquenter pour s’amuser comme le font tous les garçons de ton âge et fréquenter sérieusement avec vue sur  mariage! Tu sais, mon fils, on courait tous comme des lapins quand on était jeunes! Qu’est ce que tu croies, qu’on était des r’mars! Seulement, quand il s’est agi de fonder un foyer, même moi, j’ai emprunté le chemin de la sagesse plutôt que celui de la folie! »
--« Et la vérité, tonton, tu le regrettes pas quelques fois? »
--« Mektob! Mon fils! Mektob! »
FIN DE L'EXTRAIT

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire