lundi 8 novembre 2010

LES JUIFS ESPAGNOLS EN ALGERIE DE RICHARD AYOUN

Les communautés juives du Maghreb central connaissent une véritable mutation avec, notamment, l’arrivée d’immigrants de la péninsule ibérique en 1391, à la suite des soulèvements meurtriers d’artisans, de paysans, de marins, de bourgeois et de chevaliers, du 6 juin au 13 août, en Castille et en Aragon, contre les quartiers juifs.
Auparavant, en 1287, un groupe de Juifs de Majorque avait émigré après la conquête de l’île par le chrétien Jacques 1er d’Aragon. Selon Laugier de Tassy, il y a eu au Maghreb central une immigration juive d’Italie en 1342, des Pays-Bas en 1350, de France en 1403, d’Angleterre en 1422, d’Espagne en 1462 (1). L’émigration espagnole s’est effectuée en fait de 1391 à 1492, date du décret d’expulsion, transformant, au Xvè siècle, le judaïsme d’Afrique du Nord. Ces Juifs espagnols s’établissent principalement à Alger, Oran, Constantine, Mostaganem, Miliana, Bougie, Ténès et Tlemcen « la Perle du Maghreb » où une touchante légende marque l’arrivée du rabbin Ephraïm Ankaoua (1359-1442).

D’Espagne, Ephraïm Ankaoua alla à Marrakech puis à Honein. De cette ville, il vint s’établir près de Tlemcen chevauchant un lion ; il avait comme licou un serpent. Il exerça la Médecine et devint une autorité. La fille du sultan de Tlemcen tomba malade, aucun médecin ne trouva de remède pour la guérir. Le sultan demanda à Ephraïm Ankaoua de soigner sa fille, qui fut guérie en quelques jours. Le sultan dit : « Messager divin, quelle récompense doit donner un père à celui qui a sauvé sa fille ? et notre héros demanda la permission d’établir à Tlemcen des Juifs d’Agadir et d’autres lieux.

Les Juifs espagnols constituent, à leur arrivée, des groupements à part. A Alger, par exemple, les Juifs indigènes étaient appelés les « porteurs de turbans », les judéo-espagnols, les « porteurs de capuches et de bérets ». Selon une tradition locale, six familles auraient une origine espagnole : les Stora, issus d’une fille de Rabbi Isaac Bar Checheth dit Barfat, plus connu sous l’abréviation de « Ribach », les Duran, les Séror et les Benhaïm qui descendraient, en ligne directe ou collatérale, du grand rabbin Simon ben Sémah Duran, les Oualid et les Ayache.
L’élite des rabbins espagnols a imposé son autorité ets es réformes aux communautés existantes.
A Alger : c’est le cas de Ribach (1326-1408) et de Simon b. Saadia Najar ; à Tlemcen, d’Abraham b. Hakim et d’Ephraïm Ankaoua.
Parmi ces rabbins, Ribach et S . Ben Semah Duran sont les artisans d’une véritable renaissance du Judaïsme d’Algérie. L’énergique opposition de Duran envers Ribach, nommé grand rabbin d’Alger par le sultan de Tlemcen, eut pour résultat d’interdire au « pouvoir extérieur » de nommer les rabbins et ainsi l’autorité au sein de la communauté n’appartient plus à un seul, mais à un conseil d’Anciens.
A la suite de la demande de différentes communautés de réviser les lois du mariage et des successions et d’unifier les usages en pratique en Afrique du Nord, S. B. Sémah Duran rédige des ordonnances qui vont s’appeler les Taqqanot d’Alger et datent de 1394. Les Taqqanot sont des ordonnances communautaires, il s’agit des « douze » Taqqanot instituées sur les questions relatives à la Ketuba (contrat de mariage), et les autres communautés les ont acceptées.
I- Nous avons institué que quiconque épouse une jeune fille lui inscrira un complément au principal de sa Ketuba et de sa dot : la moitié de ce qu’elle apporte à son époux, de sorte que si elle apporte cent, il lui ajoutera-de son bien- cinquante. Mais s’il épouse une veuve ou une divorcée, il n’est pas obligé de lui inscrire le moindre complément.
II- Nous avons encore institué que si le mari divorce à son gré mais non à celui de sa femme, il lui versera tout ce qui est inscrit dans l’acte de la Ketuba, le principal de la Ketuba qui monte à deux cents pour une jeune fille et une fraction pour une veuve, plus ce qui figure sur l’acte de la Ketuba qu’elle lui a apporté, dot et complément qu’il lui a ajouté de son bien. Le tout selon le din du Talmud. Mais si le divorce est du gré de la femme mais non du mari, elle n’a pas de complément.
III- Nous avons encore institué que si la femme meurt du vivant de son mari et qu’elle a de lui un enfant viable – qui a dépassé le stade du nefel, c’est à dire a vécu trente jours après la naissance selon le din, et que cet enfant est habilité à hériter d’elle, garçon ou fille (enfant d’un fils ou enfant d’une fille), du fait qu’il est apte à en hériter, cet enfant héritera de la moitié de la dot inscrite sur l’acte de la Ketuba. Elle n’aura pas la faculté ni la permission de l’engager ou de la ven,dre, de la léguer ou de la donner, qu’elle soit en pleine santé ou moribonde, de l’inscrire sur un testament en cas de mort ou de quelque manière au monde, de cette moitié à quiconque au monde sinon à l’enfant qu’elle a de lui le plus proche, pour son héritier. Si elle transgresse cette disposition et agit autrement, que son action soit dès à présent nulle et non avenue. Mais cette moitié-là sera donnée à qui il plaît au mari selon cette taqqana, comme il est mentionné. Et l’autre moitié de sa dot avec le principal de la Ketuba et le complément, c’est le mari qui en héritera selon le din du Talmud.
IV- Nous avons encore institué que si la femme meurt du vivant de son mari sans laisser d’enfant du mari en état d’hériter, ses plus proches parents auront un tiers de la dot, de sorte que s’il est écrit dans l’acte de sa Ketuba qu’elle a apporté cent cinquante au mari, les proches indiqués hériteront cinquante. Mais elle aura le droit de faire ce que bon lui semblera de ce tiers après sa mort, ainsi que chacun a le droit de le faire pour ses biens selon le din du Talmud. Et les deux tiers restants avec le principal de sa Ketuba et le complément, son mari en héritera selon le din du Talmud.
V- Nous avons encore institué que si le mari meurt du vivant de sa femme, elle prendra ce qui est inscrit à son nom, le principal de la Ketuba et la dot. Mais du complément, elle ne prendra rien.
VI- Nous avons encore institué que, ce que l’on a l’habitude d’écrire sur l’acte de la Ketuba que le mari donne à sa femme sous forme de cadeaux à part, ne sera jamais réclamé ni au divorce, ni au décès de l’un des deux.
VII- Nous avons encore institué qu’une veuve sera nourrie et entretenue sur les biens de son mari durant les trois premiers mois suivant le décès de son mari pourvu qu’elle ne réclame pas sa Ketuba en Justice. Mais si elle réclame sa Ketuba au tribunal, elle perd les aliments et l’entretien depuis le moment de la réclamation. Au bout de trois mois, elle sera nourrie et entretenue tout le temps qu’elle ne réclame pas sa Ketuba ou ne la touche pas. Mais les héritiers auront le droit ainsi que les tuteurs, de l’obliger à accepter sa Ketuba et lui refuser les aliments et l’entretien, passés les trois premiers mois, sauf si le mari a ordonné qu’elle soit nourrie et entretenue sur ses biens ; mais durant les trois mois , ils n’auront pas le droit de lui refuser les aliments et l’entretien sauf si elle-même réclame sa Ketuba au tribunal comme indiqué supra.
VIII- Nous avons encore institué que de tous les différends, réclamations et poursuites qui surviendraient entre mari et femme, aucun des deux n’aura le droit de les porter devant les tribunaux des akkum (2) mais devant les juges d’Israël.
IX- Nous avons encore institué que ces taqqanot auront cours quant aux membres de ces communautés avec tous ceux qui s’y joindront, qui épouseront des femmes membres de ces communautés, de ce jour et pour vingt années et de ce temps à plus tard, tout le temps qu’on ne s’accordera pas à les annuler. Mais durant ce temps-ci, la communauté n’aura pas le droit de les annuler. Et même si la communauté – durant ces vingt ans- s’accordait à les annuler, ces taqqanot ne bougeraient pas de leur place.
X- Et nous avons donné pouvoir et permission à tout homme d’accorder explicitement à sa femme toutes les conditions qu’il voudrait à l’encontre de ces taqqanot avec les fiançailles. Mais celui qui se fiance sans autre formalité, le fait en sachant ces taqqanot et n’aura pas la faculté d’annuler une taqqana ou la moitié d’une. Quiconque proteste contre ces taqqanot, disant : « Il y a eu d’autres conditions entre nous », ses protestations seront nulles à moins qu’il n’étaye ses protestations sur une preuve claire ou avec des témoins.
XI- Et nous avons exclu de cette règle celui qui a épousé une femme avant ce temps-ci, pour n’être pas compris dans ces taqqanot. Mais il sera jugé selon le din même et les taqqanot ; même et haskamot auxquels le mari s’est assujetti par l’acte de la Ketuba au temps du mariage et suivant les juges d’Israël.
XII- Toutes les taqqanot rappelées selon lesquelles se règleront tous les membres de nos communautés de la matière énoncée ci-dessus, nul d’entre eux, hommes ou femme, n’aura le droit de les révoquer ou d’y contredire, de provoquer une contestation ou une contradiction à aucune des taqqanot, ni à la moitié de l’une d’elles, sous peine de l’excommunication et de l’interdit. Et après que nous eûmes institué ces ordonnances avec l’accord des chefs de la communauté indiquée et l’avis des rabbins, le ministre-officiant les a proclamées en la synagogue le jour du Sabbat avant la sortie du Sefer Torah, devant toute la communauté. Nul d’entre les assistants n’y a contredit en rien. Et afin que cela soit une preuve et un mérite pour les membres de nos communautés, homme ou femme, nous avons écrit et signé . Ce fut fait dans les deux jours du mois d’Elul, année cinq mille cinquante quatre de la Création du Monde du comput selon lequel nous comptons ici en la cité d’Alger ( 30 juillet 1394) (3).

Ce texte établit désormais une législation matrimoniale, appliquée encore de nos jours par la plupart des communautés juives. Il confirme l’autorité de la chose votée et « proclamée en la synagogue le jour du Sabbat, avant la sortie du Sefer Torah ».
Grâce aux Responsa de Simon ben Sémah Duran, on connaît la situation politique et sociale des Juifs au début du Xvè siècle, que l’on peut qualifier de convenable (4). La majorité des Juifs s’adonne au commerce, à la revente et au colportage des mêmes produits. Ce qu’ils continueront plus tard sous les Turcs. De plus, ils se livrent à la pêche, à Honein.

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