FAIRE LE BOULEVARD OU L'AVENUE, C'ETAIT LA COUTUME A ALGER, ORAN, CONSTANTINE OU..... SAIDA. VOIR ET ETRE VU, DE LONG EN LARGE OU DE HAUT EN BAS, DRAGUER, FAIRE LE BEAU OU LA BELLE, CETAIT UNE SECONDE RESPIRATION EN ALGERIE. LA JEUNESSE DANS LES RUES, LES ADULTES DANS LES CAFES PUIS TOUT LE MONDE SE RETROUVAIT A LA GRANDE PARADE DES BALCONS. C'ETAIT NOTRE VIE TELLE QUE NOUS L'AVIONS VOULUE. HELAS, LES HOMMES ET LA POLITIQUE EN ONT DECIDE AUTREMENT.
MAIS GRACE A DIEU IL NOUS RESTE DES SOUVENIRS......COMME CELUI DE ROGER LASCAR
Faire le Boulevard, c'était comme aller au spectacle, le spectacle de la vie en direct. Comme tous les spectacles il avait ses horaires et ses saisons. On n'y allait pas le matin par exemple et bien moins l'hiver. Les meilleurs moments se situaient entre 17 et 18 heures en semaine, et plus tôt les samedi et dimanche même sous les degrés d'un bel après-midi d'été. Il était inutile de donner un rendez-vous précis à un copain ou autre tellement nous étions sûrs de nous rencontrer. Forcément, puisque nous arpentions de haut en bas et de bas en haut la même avenue Gambetta, moelle épinière de la cité. Nous nous contentions tout simplement de placer dans la conversation: "Rendez-vous sur le Boulevard", c'est comme si nous avions annoncé: "Je suis en vitrine sur les Champs Elysées"... Ce Boulevard, cet ami a été le théâtre, le témoin et parfois le complice de tant d'éclats de rires, de tant de regrets ou chagrins cachés, qu'il me manque bien souvent.
Dans cette France d'accueil, je n'ai pas retrouvé la simplicité et la chaleur bonne enfant d'alors. Bien sûr je sais que je ne croiserais plus les Dédé (ou W.W. Stone moi!), Georgeot (dit "les pattes longues"), Baby, Robert et tant d'autres inoubliables copains. Je sais aussi que ce passé, hélas, je ne peux pas le recréer, mais je ne veux surtout pas l'effacer. Faire le Boulevard, en fait, pour nous qui habitions dans la partie haute de la ville, consistait à déambuler le long des trottoirs, du monument aux morts à environ la librairie Favier. Tout au long de cette flânerie nous marquions des arrêts chez M. Kestemont et au cinéma Palace pour commenter les affiches du prochain film. Plus bas devant le cercle nous achetions un paquet de cacahouètes grillées, de torraïcos cendrés ou de pépites salées. Parfois, lorsque nous en trouvions, nous apprécions une portion de calentica, ce genre d'omelette bien dorée, à la farine de pois-chiche que j'aurais mangée sur la tête d'un teigneux.
"Boulevarder" c'était aussi assouvir notre curiosité, le dimanche soir, quant aux résultats de foot du GCS ou du Mouloudia chez Lopez. Puis poursuivant notre ballade, tantôt chez Buên Gûsto, tantôt chez Mme Médina de la Princière, nous ne pouvions résister au plaisir de déguster un bon baba au rhum ou une rafraîchissante agua limon panachée d'une boule de glace à la vanille ou à la noisette. Nous traversions ensuite la petite rue et entrions pour un arrêt culturel (court, car ce n'était pas le but principal de la sortie) à la librairie Bonnet; là, nous feuilletions quelques livres, journaux et magazines. La papeterie Favier était le terminus bas; quant au terminus haut il pouvait s'étirer jusqu'à la piscine municipale, fleuron de la ville.
Chemin faisant nous ne pouvions ignorer le célèbre Boulodrome devant lequel, collés au grillage, nous admirions les tirs à la lyonnaise ou à la pétanque de nos champions locaux. Champions, toujours anxieux et allergiques à la seule idée d'avoir à affronter, même par un baiser, le "cul de Fanny". Souvent nous franchissions cette porte toute proche des Remparts qui mène à la Redoute. Immanquablement nos pas nous guidaient vers ce haut lieu de prières, de joies et de recueillements, que je tiens à évoquer ici, non sans émotion, je veux parler de notre magnifique synagogue. Ainsi nous déambulions, sans but déclaré sauf pour celle ou celui qui espérait une rencontre, ou tout simplement, guettait l'instant ultime et tendre où deux regards se croiseraient. C'était simple et bon... C'était peut-être ça aussi le bonheur.
Texte de Roger Lascar
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