LE MAJESTIC INTERDIT AUX MOINS DE 16 ANS
Le Majestic c’était le plus grand cinéma d’Afrique du Nord, houla si je mens ! Trois mille deux cents places ! La vérité, j’ai jamais compté mais comme j’ai confiance dans la parole des Algérois, qui sont pas forcément menteurs comme des arracheurs de dents, allons y pour ce chiffre.
Ce cinéma y se contentait pas de projeter les derniers films à la mode. Aouah ! Il était couru par tous les amateurs de boxe (Ah, ces combats de Chérif Hamia, Albert Yvel et Alphonse Halimi !) les « fans » des plus grands artistes du music hall français et américains de Charles Trénet à Paul Anka en passant par les Platters, Charles Aznavour (et consorts un peu de temps en temps pour prendre l'air)
L’année 1958, le petit chanteur d’origine arménienne, il avait reçu les « Bravos du Music Hall » et pour fêter cet évènement, y débarquait à Alger pour un concert unique au Majestic. Mon frère aîné, rien de mieux il trouvé de retenir trois places au premier rang pour ma mère, mon frère cadet et moi, lui se réservant une place au balcon. Nous autres, on croyait naïvement qu’il s’était sacrifié parce qu’il avait pas assez d’argent pour s’offrir la quatrième place au premier rang. Que nenni !
Si il avait choisi de voir le petit Charles de loin, qui allait forcément lui paraître encore plus petit du fait de l’éloignement, c’était pas par bonté d’âme mais tout bonnement parce qu’y connaissait la première partie du programme. Un imitateur qui connaissait à l’époque une certaine notoriété, Jean Marsan, une chanteuse inconnue et une ………STRIP TEASEUSE .
Vous avez bien lu, une fille à poil, toute nue, sans vêtement, sans honte et sans vergogne ! Tous les gobieux d’Alger, et dieu sait si y pullulaient, y se sont rués sur les places. Même au poulailler. Avec jumelles, sans jumelles , fille unique ou des triplées et même avec des longues vues. Qu'importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse.
Ouais, mais eux, y z’allaient pas avec leur mère ! Bou ! La honte ! Comment on va faire pour mâter sans regarder tout en regardant ou en faisant semblant de pas comprendre parce qu’on est trop petits. Avec mon frère cadet, presqu’on demande au bon dieu de nous rendre aveugle une journée ou alors, mieux d’attraper un compère loriot à chaque œil.
Toute la semaine, au lieu de marier l’allégresse et le bonheur de vivre ensemble, on s’est tapé un de ces mauvais sang ! En plus, on osait même pas en parler entre nous tellement on avait honte.
Quand le jour fatidique il est arrivé, on ressemblait à deux prisonniers que ma mère elle emmenait à l’échafaud. On se disait que ça pouvait pas être vrai, qu’on allait se réveiller, que ma mère elle allait nous faire notre Elesca du matin pour aller à l’école. Aouah ! Que dalle, on s’est réveillé. Dans la salle, tout le monde, il était hilare. Les gens qui se connaissaient tous pour la plupart, y se regardaient l’air complice comme des vicieux qu’ils étaient. Y avait que deux spectateurs qui semblaient avoir tué leur père et leur mère. Deux têtes d’enterrement. Qui regardaient leurs chaussures et rien d’autre. Mon frère et moi !
Le rideau rouge y s’est levé et l’obscurité elle nous a caché aux regards des autres. On a un peu respiré. La chanteuse inconnue, elle est restée inconnue. L’imitateur il a déridé la foule mais au premier rang, y avait toujours les deux "karse » qui semblaient revenir d'un enterrement Pourtant, Jean Marsan il imitait Darry Cowl, Jean Tissier, Fernandel, Bourvil et plein d’autres artistes mais mon frère et moi, on a pas souri une seule fois. C’est normal avec nos mâchoires totalement crispées. Quand il a fini son numéro, les spectateurs y z’ont applaudi comme des malades aussi bien pour son spectacle que pour la strip teaseuse qui allait effeuiller à présent la marguerite. L’ardjeb, j’vous dis pas !
Le Majestic il a connu des soirées de délire avec les matches de boxe, sur le ring et souvent dans la salle, mais comme ce soir là, jamais ! Vous croyez que c’est la fille qu’elle a déclenché ce charivari. Que nenni ! On pourrait le croire car, pour une raison encore inconnue à ce jour, la direction du cinéma elle a annulé la prestation de cette jeune fille. Sans doute en raison de la tension qui régnait dans les rangs. A moins que le Bon Dieu il a eu pitié des deux enfants qui priaient tous les saints (j’ai failli écrire « seins » ou tétés) de la création d’annuler ce numéro. C’est rien de le dire mais, ce jour là, si le Majestic il est pas parti en fumée c’est, d’une part que les Algérois y z’aimaient trop leur cinéma qu’il était le plus grand d’Europe (tant qu’il a de la gêne, y a pas de plaisir !) et d’autre part, tous les spectateurs y z’avaient en mémoire l’incendie qui avait ravagé le stade de saint-eugène pour un penalty non sifflé. La vérité, mon frère et moi, on a dégusté les chansons de Charles Aznavour avec délectation surtout que la strip-teaseuse elle est allée se rhabiller avant de se déshabiller.
FIN hubert Zakine