Ce
matin, je suis de corvée pour aider ma mère à porter les
commissions. Normalement, les yaouleds, véritables sangsues des
marchés, y proposent leurs services aux femmes que les pauvres
« c’est trop lourd pour leurs frêles épaules ! ».
Après bien des marchandages et pour se dépêtrer des petites
mouches à miel qui leur tournent autour, obligé elles acceptent
et y portent le panier jusqu’à la maison. Mais nous autres, mes
frères et surtout moi, on est les petits yaouleds de ma mère. Même
pas, on a droit à une petite pièce mais ça fait rien parce
que c’est notre mère chérie qui nous le demande avec des yeux
tellement suppliants qu’aucun fils au monde y peut résister. Mais
j’ai beau prévenir les copains : « je reviens »,
y m’attendent pas ces falampos et le match de foot y commence
sans moi. Le square Nelson sent bon les épices, les légumes
frais, les fruits de saison et même le poisson qui sent le
....poisson fraîchement péché. Alors, bien sur, ma mère elle se
régale dans les dédales de ce marché « bon chic, bon genre »
où, sara-sara, elle s’arrête tchortchorer avec toutes les femmes
qu’elle rencontre. Moi, zarmah, je fais l’enfant sage quand elle
me présente fièrement comme si j’étais premier de la classe.
Elle peut quand même pas dire que son fils c’est un badjidj
qui préfère jouer au football que d’apprendre ses leçons!
J’entends des « dieu bénisse », « comme il
est grand pour son âge », « c’est ton portrait
craché » et d’autres salamalecs qui m’en touchent une sans
faire bouger l’autre. Le principal, c’est que ma mère, elle est
fière que son fils ressemble pas à Quasimodo et qui lui
porte les commissions sans débourser un sou. J’exagère un p’tit
chouïa mais ca fait plus véridique ! Pendant ce temps, les
calamars farcis du jardin Guillemin y sont en train de se prendre une
tannée contre l’équipe du café de Cadix. L’équipe du café de
Cadix, ça fait plus chic que l’équipe des bras cassés
de la rue Rochambeau. Ils sont tous du Gallia les Ménella, Elkaïm,
Papich Lévy, Popaul Ajuélos, Camps et d’autres des Messageries.
Aussi, je rase les murs pour rentrer chez moi sans rien demander à
personne. Même pas je demande mon reste, c’est dire. Je remercie
le ciel d’avoir joué les p’tits yaouleds pour ma mère sinon la
honte elle m’aurait mangé la figure si j’avais pris une tannée
pareille ! Mais comme les joueurs du café de Cadix, c’est
tous des amis, je leur en veux pas. Des fois on gagne (rarement) et
des fois on perd (la plupart du temps). Quand on est de Bab El Oued,
on préfère parler de Sophie Desmaret que de philosophie, c’est
plus notre genre. Alors c’est pas la peine de jouer les érudits.
Oh purée, je me lâche un maximum. Erudit, y faut que j’aille
consulter le dictionnaire pour voir c’que ça veut dire, ce mot !
Mon instituteur il va faire une syncope quand y va comprendre que
c’est moi, et moi tout seul qui ait ouvert l’armoire pour sortir
« érudit ». A tous les coups, y va croire que j’appelais
Rudy Hirigoyen, l’autre Luis Mariano. Hé, Rudy !
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