L’expulsion des Juifs d’Espagne ne sera que le coup d’envoi d’une terrible partie de chasse à l’homme sur plus de deux siècles sur trois continents. D’un coté, la très cruelle Inquisition, de l’autre, des Juifs qui essaient désespérément d’échapper à ses filets. Nos ancêtres ne furent pas tous des fugitifs, et nombreux, sont ceux qui décidèrent de combattre le monstre espagnol avec les moyens du bord. Certains seront diplomates en Angleterre, en Hollande ou dans l’empire Ottoman et essaieront de contre -carrer les desseins espagnols sur la scène internationale. D’autres utiliseront le domaine de la finance dans le but de porter atteinte aux intérêts ennemis. Une troisième catégorie, moins connue, a pourtant bel et bien existe : les pirates juifs !
Les pirates
juifs
David
Abrabanel,
né en 1580 en Hollande. Sa famille qui s’apprêtait à gagner le nouveau monde fut
massacrée par des marins espagnols qui prirent l’assaut du navire. David réussit
à s’enfuir. Il s’engage dans la marine anglaise et gagne rapidement du galon.
Quelques années plus tard, il deviendra le fameux « Captain
Davis » qui fit un véritable carnage parmi les vaisseaux de
Madrid, petit détail, son navire de guerre s’appelait
Yeroushalaim.
Bridgetown, capitale des iles
Barbade dans les Caraïbes. Une petite visite au cimetière de la ville réserve
bien des surprises. Nous voici devant deux magnifiques pierres tombales, celles
de Yaacov Machiah et de son épouse Deborah, une étoile de David gravée dans le
marbre et, à coté, le dessin de deux fémurs gravés croisés, emblème redoutable
des pirates.
Les vétérans racontent, encore
aujourd’hui, les exploits de tous ces pirates juifs, la liste des capitaines de
bateaux de flibustiers juifs de l’ile de Curaçaos est impressionnante :
Itsh’ak Gabbay, Manuel Levy, Yoshoua Mendes… Tout aussi
remarquable les noms de leurs bateaux, Mazal Tov, Melek David, Zevoulon et
Issakhar, Malkat Esther etc..
Le plus célèbre et le plus
charismatique de tous les pirates juifs est Rabi Chmouel
Pallache, négociant international, diplomate, agent secret et corsaire.
Ce personnage extraordinaire défraya la chronique par de opérations audacieuses
qu’il mènera contre les bateaux espagnols. Il connaît aussi des revers mais,
comme tous les héros, il s’en sort toujours avec panache.
Juillet 1614, au cours d’une escarmouche
contre les Espagnols, le navire de Pallache nécessite une réparation urgente.
Plymouth, au sud de l’Angleterre est le port le plus proche. La venue de notre
pirate ne passe pas inaperçue. L’Ambassadeur d’Espagne en Angleterre se réjouit
en apprenant la nouvelle. Il porte plainte contre lui au tribunal de l’amirauté.
Le Roi en personne se déplace pour voir de ses propres yeux le héros légendaire
qui tient tête aux Espagnols, Pallache.
Entre-temps, Noël De Caron,
ambassadeur des Pays-Bas, en Grande Bretagne, propose d’être son avocat, ses
rapports nous permettent de reconstituer le procès, jour par jour.
Une anecdote révèle l’impact que
laissera Pallache sur ses contemporains. De Caron, affirme qu’à son entrée,
l’audience se lève et ne se rassoit qu’après l’accusé.
Pallache se présente à la cour de
l’amirauté comme un Juif pratiquant et demande l’autorisation de garder la tête
couverte. La demande est aussitôt acceptée à la plus grande indignation de Diego
de Cuna, ambassadeur d’Espagne, qui plaide la peine de mort pour ce pirate juif.
Il s’adresse alors aux juges coiffé de son chapeau de gentilhomme. Les
magistrats britanniques lui font remarquer son manquement aux règles du
savoir-vivre. L’Espagnol, indigné, désigne Chmouel Pallache de son doigt
accusateur :
-Lui peut garder son calot de Juif
?
-Lui, c’est Chmouel Pallache,
Excellence !
Impressionné par la dignité de
l’accusé, le Roi annonce que Pallache sera logé dans son palais d’été jusqu’à sa
libération. Acquitté, Pallache retournera en Hollande où il terminera sa vie
comme … Ambassadeur des Pays-Bas.
A l’époque où les magistrats
anglais découvrent un Juif qui leur inspirent le plus grand respect, les Juifs
sont encore interdits de séjour dans le pays de Shakespeare. Ce même Shakespeare
qui écrit cette année là, (1614) leMarchand de Venise. Le public
anglais découvrant un Juif odieux et méprisant qui n’existe que dans les
fantasmes antisémites de l’époque.
On ne peut que regretter que le
grand écrivain ne soit pas déplacé pour assister au procès Pallache, peut être
alors, Shylock, dans le rôle du pirate serait, encore aujourd’hui, le symbole de
la résistance juive contre l’Inquisition.
Eliaou Attlan - © Le Monde Juif
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