dimanche 26 mai 2019

Extrait de ECRIRE AFIN D'EXISTER de Hubert Zakine


Il écrira son pays, sa ville, son quartier pour lui seul, peut-être pour les siens, sa famille et ses amis. Peut-être ! Ce sera une douce parenthèse de joyeuse nostalgie quand viendra l’éprouvante page blanche sur sa machine à écrire.
Un roman, une fiction, raconter une histoire inventée de toutes pièces, Simon ne savait par où commencer. Alors, il se plongea dans ses bouquins afin d’y puiser l’idée lumineuse qui lui fournirait la nature de son ouvrage. Il lut beaucoup. A s’en brouiller les idées. A ne plus croire en ses capacités d’imaginer une histoire bien ficelée au point d’émouvoir ou de passionner le lecteur.A douter que l’écriture le sauverait par l’entremise d’une nouvelle passion qu’elle fut réelle ou supposée.
Roland, lui-même, en arrivait à douter. Si son ami ne se ressaisissait pas, il ne serait pas écrivain. Autant dire qu’il signerait son arrêt de mort car, le connaissant plus que lui-même,il ne supporterait pas cette désertion. Roland remonta la mécanique de nombreuses fois jusqu’au moment où il s’aperçut de l’inefficacité de son engagement. Bien sûr, l’ami des bons comme des mauvais jours sera toujours présent mais c’était à Simon, et à Simon seul de secouer l’apathie qui rongeait son envie d’entreprendre.
Simon, tout à son mal-être, se sentait bien plus seul qu’auparavant. Roland avait d’autres chats à fouetter. Son affaire, sa femme, ses enfants, ses parents, il découvrit que la vie se déroulait sans lui. Même ses frères téléphonaient rarement. Ils se contentaient de le voir les soirs de Shabbat et basta ! Mais Simon comprenait. Il avait vécu en solitaire, comme un oiseau sur la branche, à guetter le scoop qui lui fit oublier plus d’une sortie entre amis, à présent, il en payait le prix. Il n’en voulait à personne.

L’ennui lui tenait compagnie. Il lisait, l’esprit ouvert, sans forcément fixer son attention sur l’intrigue. Seule lui importait la recherche du graal, la petite étincelle qui lui ouvrirait la porte de l’imaginaire. Mais au-delà de tout, il désirait écrire un roman qui le surprendrait. Il avait trop côtoyé la mort pour se contenter d’une banale histoire policière et il souffrait trop de solitude affective pour évoquer le romanesque. Lui restait l’irréel, le contemplatif, le magique, voire l’insolite.
Parfois, l’après-midi, il s’asseyait à la terrasse de son café préféré, un bouquin dans la poche de sa saharienne beige. Il se mêlait, par la pensée, au charivari environnant, discussions animées pour la galerie, belles femmes aux longues jambes dénudées certaines de leur pouvoir de séduction, pleurs de bambins en recherche de câlins, avant de se replonger dans la lecture de quelques pages. Toute cette animation lui semblait factice, faite de faux-semblants, aucune sincérité dans les rires forcés, trop appuyés pour être honnêtes.Il en voulait au monde entier. Alors, quand le tumulte de la rue lui devenait insupportable, il rentrait chez lui et là, dans la pénombre douce-amère de son appartement, il revisitait son passé. Un passé qu’il ne parvenait pas à maitriser suffisamment pour en faire un bouquin sur Alger.
Sa ville natale s’imposait à sa mémoire. Bab El Oued, mi-espagnole, mi-italienne avec un zeste de judéo-arabe, quartier aux mille parfums, fort en gueule, qui ne prenait que la mort au tragique, des amis à la pelle à chaque coin de rue, qui s’endimanchaient pour « taper l’andar et venir » sur le trottoir des bons copains, Bab El Oued patriote jusqu’au fond de l’âme…le football et les cafés…Taper un retour en arrière……
Refaire le chemin à l’envers, changer la fin……..
Ecrire le passé…… écrire le présent…..écrire le futur mais écrire pour renaitre…..pour exister vraiment. Réinventer une fin heureuse……pour l’éternité……Changer la donne pour ne plus trainer la patte, pouvoir prendre un enfant dans ses bras……la vie à pleins poumons….Qui peut comprendre l’ignoble solitude d’une âme en peine ? Qui ???
Devant la machine à écrire inutile, Simon attendait que l’inspiration lui envoie un signal. La page blanche le regardait, le jaugeait, le jugeait peut-être. Elle semblait attendre le déclic qui ferait de lui un écrivain mais s’impatientait, refusant ses élucubrations d’histoires à dormir debout qui défilaient dans son esprit dévasté.
L’inquisition du lecteur exigeait que ses doigts suivent les ordres de son cerveau apathique, que s’ouvrent, enfin, les portes du rêve.
Tous les après-midi, il sortait de sa coquille, de sa prison à la recherche d’un regard, à l’espérance du hasard. Mais l’homme contemporain est égoïste. Il ne sait plus partager, il ne sait plus lire le regard de l’autre. Aussi, las d’espérer, Simon s’asseyait au café et observait le manège des gens heureux. Il repérait des enfants riant aux éclats, d’autres se disputant une bicyclette sous le regard désinvolte des mamansdégustant un thé, des jeunes gens jouant au chat et à la souris avec leurs sentiments et, des touristes au verbe haut, se pâmant devant un grand voilier sortant du port.
Et cette méditerranée qui ne cessait de le narguer, lui, l’enfant de la mer et du soleil qui le tentait bien mais qu’il n’affronterait plus, qu’il ne dominerait plus, où il se s’ébrouerait plus.
En contemplant ce vieux trois mats et l’intérêt que lui portaient les promeneurs, il songea à tous ces bateaux qui accostèrent sur les rives d’Alger, les soutes emplies de malheureux qui cherchaient non pas fortune mais simplement de donner un avenir à leurs enfants. Ces émigrés du bassin méditerranéen, italiens, espagnols, maltais ou mahonnais formèrent le peuple français d’Algérie auprès des juifs, des maures et des arabes. Plus Simon imaginait l’arrivée de ce peuple qui deviendra son peuple et plus une idée germait dans sa tête et son esprit.
L’illumination qu’il espérait tant était venue éclairer sa lanterne. Déjà, il entrevoyait le sujet de son deuxième ouvrage. Il écrira sur les pionniers de son pays, sur ses compagnons d’infortune, sur son peuple. Sur les premières années de la conquête, sur l’espérance d’un monde meilleur et l’apport de la grande France.
Sur la fin de l’empire ottoman, l’apport des juifs dans la compréhension de la mentalité arabe et dans bien d’autres domaines, oui, il parlera de tout cela et plus encore. Evoquer l’épopée magnifique des pionniers de la France en Algérie ou tout simplement le côté intimiste d’une telle entreprise. Après de multiples options, il choisit de mêler l’aventure de deux familles italienne et espagnole débarquant à Alger en 1840 et leur rencontre avec une famille juive de la casbah originaire d’Espagne.
Les protagonistes étaient repérés, restait à inventer l’intrigue.

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