samedi 6 octobre 2018

Quelques extraits de MA MERE JUIVE D'ALGERIE

Quelques extraits de MA MERE JUIVE D'ALGERIE
La Bar Misvah de mon frère aîné se déroula de la plus belle des façons. Le savoir-faire et le savoir-recevoir des filles DURAND compensèrent bien au delà des convenances, le manque de moyens employés. Tout le monde se retira satisfait et, après t'avoir embrassée, nous te laissâmes en tête-à-tête avec cette absence qui t'avait accompagnée tout au long de cette journée bénie. Pour la première fois depuis l'holocauste de ta vie, la maison avait résonné de cris de joie et de you-you tonitruants. Pour la première fois, une autre prière que le quaddiche avait bercé la maison
enchagrinée. Pour la première fois, les gâteaux de la fête avaient illuminé ton regard et célébré un évènement heureux.
La Bar Misvah de ton fils représentait à tes yeux beaucoup plus qu'une simple majorité religieuse. Au-delà de ce passage à l'âge adulte, elle honorait la passation de pouvoir entre le père disparu et l'enfant de l'amour.
Plus tard, beaucoup plus tard, lorsque les confidences de ma mère juive d'ALGERIE terrassèrent sa pudeur, tu me confirmas la présence de mon père à tes côtés durant cette journée et son omniprésence tout au long de ta vie. Tu lui parlais chaque jour comme je parle aujourd'hui à ton reflet dans la glace. Il te remercia d'avoir fait de son fils un homme, dans la pure tradition israélite.
Tout le monde, tout ton entourage t'avait donné la main. Le voisinage, cette famille de coeur, avait prêté les chaises, le boulanger, son four, l'épicière, son crédit. Tout le quartier avait fêté ton fils, "ton petit homme", les juifs, les catholiques, les musulmans peu nombreux, il est vrai, à Bab El Oued.
Le lendemain, lorsque s'apaisèrent les clameurs, en allant offrir au voisinage les gâteaux de la fête, comme l'exigeaient la tradition et le coeur, nous reçûmes, telle une suprême récompense, un vibrant hommage décerné à notre mère juive d'ALGERIE.
Mère-courage, nous nous fîmes alors, un plaisir de te transmettre le message de ces femmes qui, plus que d'autres, étaient à même de mesurer l'ampleur de la tâche qui t'incomba et le chemin parcouru...........................

...................Odeurs, impressions et goûts de jadis, comme vous manquez à mon besoin d'orientalisme! A mes racines orphelines de ma terre natale, pauvres racines anémiées, privées de la sève maternelle qui nourrissait à chaque saison, mon arbre de vie.
Pauvres racines qui se meurent lentement, assoiffées de récits de grands-mères et de visages oubliés au détour de la fureur et du bruit, égarées dans un monde où ses pousses dispersées s'épuisent à tenter de rassembler souvenirs et espérances.
Pauvres racines livrées à la modernité de villes inconnues et de terres incultes, impropres à la conservation du patrimoine d'un peuple voué à l'exil, à la dérive, à l'extinction. Pauvre population sacrifiée, en voie de disparition. Dans ton îlot de solitude, entre les cités dortoirs et les voies ferrées qui vomissaient tes banlieusards de fils, tu mesurais l'ampleur du désastre et t'apitoyais sur la disparition future de cette entité européenne d'Afrique du Nord que l'on nomme pied noir, sans que personne ne s'en émeuve. Les bonnes consciences parlaient de pandas et d'autres espèces condamnées à plus ou moins longue échéance, mais nul ne s'arrêtait sur cette "race méditerranéenne" possédant sa culture, sa cuisine, ses grands hommes et un passé patriotique dont la France se devait de s'enorgueillir. Le melting-pot est une mauvaise chose lorsqu'il participe à la disparition d'une entité, d'un peuple, d'un pays.



La solitude t'enfermait dans ta réflexion d'exilée et le débat durait souvent une bonne partie de la nuit. Tu maudissais ce bateau, le
" Ville d'Oran" qui nous transperça le coeur en nous emportant sur l'autre trottoir de la France. Ce trottoir où tu te sentis si mal, ma mère juive d'ALGERIE. Si mal que tu enjambais, avec souplesse, la méditerranée pour un retour à Bab El Oued en rêvassant à ce qu'eût pu être la vie, entourée de tes enfants et de tes petits enfants, dans ce pays que tu aimais tant. Une vie paisible au pays de tes ancêtres, là où étaient couchés tes parents, ton époux et tes proches. Là où tu ouvris tes beaux yeux noirs, où tu appris à lire et à écrire, là, dans ce pays qui s'ouvrit à l'émancipation que les juifs empruntèrent après mille réticences, là où les tiens s'échinèrent avec d'autres, beaucoup d'autres, à bâtir ce pays de lumière qui reflétait dans sa blancheur immaculée, la FRANCE, ta FRANCE que tu étais si fière de chanter, d'honorer, de défendre ou de pleurer, cette FRANCE que tu renias le jour où elle te déçut, le jour du bateau, le jour du renoncement et de la déchirure.
Tout bascule. Tout se meurt. Seule ton image subsiste. Ma mère juive d' ALGERIE.......................

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J'adorais servir de prétexte à ton intarissable besoin de parler de ce pays qui t'offrit, au milieu de mille tourments, son ciel pervenche et sa lumière à nulle autre pareille, sa casbah judéo-arabe pour théâtre de tes jeunes années et cette méditerranée douce comme un long fleuve tranquille. Intarissable, tu l'étais. Pour toi et pour moi. Pour raviver tes souvenirs en me les faisant partager. Moi qui regrettais tant de ne pas avoir connu cette époque héroïque et bienheureuse de ton enfance. Moi qui regrette tant, aujourd'hui, de ne pas avoir vécu assez longtemps sur cette terre de feu et d'amour afin d'en conserver tant de souvenirs que ma tête et mon coeur n'y suffiraient pas. Moi qui vis mon pays par procuration.
Je t'écoutais religieusement comme on écoute la chanson du vent qui fredonne entre les jalousies des persiennes, le frémissement des feuillages taquinés par l'oiseau de toutes les couleurs, la danse sauvage de l'onde sur la grève. Je t'écoutais et je partageais ton voyage en amnésie, combattue et vaincue à chaque coin de rue dont le nom surgissait du néant, telle une offrande à ta nostalgie. Je t'écoutais et m'imaginais cette communauté israélite, orientale jusqu'au bout de son destin mais pourtant européenne, française, occidentale, que la modernité tentait de détourner du droit chemin de la synagogue. Cette communauté qui restait vigilante, fière de ses origines et de ses ancêtres, fidèle à quelques principes de vie dont la foi inébranlable en son étoile demeurait le plus beau fleuron. Je t'écoutais, t'épiais, cachée derrière tes lunettes aux verres fortement fumés, à l'abri de quelque larme à peine retenue lors de l'évocation de ce passé si doux et si douloureux à transmettre.
Cet héritage de tes souvenirs, patrimoine indispensable à l'enfant juif d'ALGERIE que j'étais, je le recevais avec autant de respect que de reconnaissance. J'enfermais ce trésor que tu me léguais, en empruntant le train bleu de jadis, avant de coucher mes impressions de voyage dans le grand livre de ma mémoire.....................
.................................A présent que ma vie est assise entre deux chaises, deux pays, deux continents, entre mon enfance tant regrettée et ma vieillesse tant redoutée, entre ton absence définitive et ta présence éternelle, je mesure la déchirure des déracinés de ta génération devant l'infamie d'un exodus à l'envers.
Déracinement sans anesthésie ni prothèse de ton arbre de vie transplanté dans un sol gelé et inhospitalier. Combien de larmes a t-il fallu verser, ma mère juive d'ALGERIE, afin que de jeunes pousses témoignent pour la postérité de sa résurrection.
Ma cinquantaine viola mon coeur d'éternel adolescent qui refusait jusqu'alors l'inexorable avancée de l'armée des années enfuies. Ton départ pour le pays aux cent mille étoiles étouffa l'irréductible jeunesse qui habitait ma maison nimbée d'autrefois, de jadis et d'antan. Elle révéla mon âge.
--" Quand je serais grand!" surprenait encore mes projets. Cette phrase de demain parfumait les rêves d'un gamin de Bab El Oued traînant derrière lui un demi-siècle d'incrédulité et d'enfance merveilleusement insatisfaite. Tous mes faits et gestes parfumés de Bébé Cadum et d'Elesca, de Vérigoud et de Crush, de Marignan et de Plaza, de café Nizière et d'Echo d'ALGER n'étaient qu'enfance retenue et bain de jouvence dans la permanence d'une idée fixe : redevenir petit.
Caché derrière le paravent de la nostalgie, je vivais le coeur à l'envers et l'esprit à l'étroit dans le cirque conventionnel de la sacro-sainte réussite sociale qui m'éloignait de mes jardins d'Arabie. Je continuais à vivre mes passions au pays d'autrefois, entre mes livres et tes récits, ma mère juive d'ALGERIE.
Aujourd'hui, je t'ai perdu et perdu définitivement mon enfance. Tu as rejoins le pays du Bon Dieu et moi celui des adultes. Dorénavant, le retour aux sources se fera solitaire, à pas lents, à pas lourds, en traînant la charrette aux souvenirs sur la longue route du déraciné. Toute volonté tendue, je ferais en sorte de ne pas dilapider ton héritage, ma mère juive d'ALGERIE..............

.................Senteurs et impressions d'autrefois, je vous respire encore aujourd'hui, captées par l'indomptable abnégation d'un enfant déraciné. Telle ton odeur de poudre de riz qui volait dans l'appartement après avoir coloré tes joues, ma mère juive d'ALGERIE.
Tout me ramène à toi et tout me ramène à ma terre natale. Vous êtes une et indivisible. Heureux, les simples d'esprit qui s'éloignent du pays des aïeux de leur propre volonté pour chercher un ailleurs illusoire. Pauvres ignorants qui avez hâte de courir le monde pour voir si l'herbe est plus verte ou la mer plus bleue, qui partez à la découverte des sept merveilles du monde, sans savoir que rien n'est plus beau que la terre, le ciel, le pays, la ville, le quartier, la rue, la maison qui vous ont vu naître, où vous avez ouvert les yeux.
A la fin de chaque récit d'une parcelle de ta gloire, ma mère juive d'ALGERIE, s'ancrait en moi l'absolue fierté de mon identité. Car elle était aussi la tienne, celle de mon père, de mes frères et de mes ancêtres. Je la porte en sautoir autour de mon cou, dans mon coeur, ma tête et le moindre de mes gestes. Elle s'est collée à moi comme une deuxième peau dès ma naissance et si elle m'a valu mille et un tourments, elle reste mon passeport invisible que mon accent prolonge à chacun de mes propos.
Je garde la mémoire vivace de mes années de prime enfance et de fin d'adolescence. Aussi, nos après midi nostalgie, cadencées par tes souvenirs à une voix, se reflétaient dans l'eau claire de mes propres réminiscences.
Témoins d'un passé merveilleux qui endimanchent de nostalgérie la solitude et patinent de bonheur le regret des jours enfuis!

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