Le Hamas à l’agonie (020208/18) [Analyse] Par Sami el Soudi © Metula News Agency
Aujourd’hui (mercredi) se déroule au Caire une rencontre réunissant
des responsables du Hamas et des membres des services du Renseignement
égyptien. C’est le quatrième rendez-vous de ce type en dix jours. Il se
dit avec insistance qu’un émissaire du gouvernement israélien suit ces
discussions, au moins de manière indirecte, c’est-à-dire dans une autre
chambre de l’hôtel où elles se déroulent. La discussion doit être assez
importante, car elle a engendré aujourd’hui l’annulation par M.
Netanyahu de tous ses déplacements prévus la semaine prochaine.
Officiellement, il s’agit de mettre sur pied une trêve de longue
durée entre l’organisation terroriste islamique de Gaza et l’Etat
hébreu, ce, sur la base d’une proposition égyptienne.
Ce n’est vrai qu’en partie. En réalité, les services du Maréchal
al Sissi organisent le transfert du contrôle de la bande côtière à
l’Autorité Palestinienne. L’idée se trouve sur la table depuis au moins
quatre ans, et elle a souvent été présentée comme la "réconciliation"
entre le Hamas et l’Autorité Palestinienne. Mais durant toute cette
période, la milice islamique a toujours refusé de transmettre
effectivement les clés de l’enclave à Mahmoud Abbas. Maintenant, elle
n’a plus le choix.
Le Hamas ne peut plus faire autrement car il se trouve dans un
état de déliquescence avancé et il ne contrôle déjà plus la Bande ni ce
qui s’y passe.
La faute principalement au manque d’argent ; le Qatar, son plus
grand bailleur de fonds historique, s’est engagé auprès de l’Arabie
Saoudite, des autres pays du Golfe et des Etats-Unis à cesser ses
transferts. L’Iran se trouve en plein marasme économique, le rial ne
vaut plus rien et il n’a plus un sou. La frontière avec l’Egypte est
devenue étanche, et l’Amérique de Donald Trump a cessé tous ses
versements aux organisations humanitaires, dont les richesses
parvenaient, par des voies détournées, souvent dans les caisses du
Hamas.
En conséquence de ce qui précède, le Hamas n’a plus payé ses
miliciens depuis plusieurs mois. Ceci a entraîné une implosion de
l’organisation terroriste en une quinzaine de plus petites entités,
semi-islamistes, semi-mafieuses, qui font chacune régner sa loi dans une
zone de la bande côtière.
Elles n’obéissent plus aux ordres du Hamas tronc central, mais
négocient au coup par coup les demandes qui en émanent, de même que
celles qui proviennent des organisations concurrentes. On échange du
pétrole, des armes, des munitions ainsi que des produits cessibles,
contre l’acceptation de s’abstenir de tirer des roquettes sur Israël ou
de ne plus envoyer des miliciens armés ou des civils se frotter à la
frontière de sécurité ou lancer des cerfs-volants incendiaires.
Ces groupuscules armés arrondissent leurs revenus en rackettant
les commerçants les plus fortunés de la zone qu’ils "gouvernent". Reste
que l’argent se fait rare pour tout le monde et que le standing des
miliciens a beaucoup baissé, ce qui les pousse de plus en plus à
ressembler à des bandes armées, un peu ou beaucoup comme dans Mad Max,
et de moins en moins à des supplétifs d’une armée en devenir.
De plus, ces bandes font monter les enchères en désobéissant
intentionnellement au tronc central. Pour y parvenir, elles enfreignent
les engagements pris par les dirigeants du Hamas, soit en envoyant
quelques roquettes sur Israël, soit des cerfs-volants et des ballons
incendiaires. Des actes que lesdits dirigeants s’étaient engagés à faire
cesser face aux Israéliens et au Egyptiens.
Mais ce matin encore, plusieurs cerfs-volants ont été lancés sur
le Néguev, allumant des incendies heureusement rapidement maîtrisés.
Ce n’est évidemment pas que le Hamas se soit pris d’amour pour les
Juifs, mais parce qu’il n’a plus du tout les moyens de répondre à
Tsahal lors d’éventuels échanges de feu. Cela s’est remarqué à plusieurs
reprises ces dernières semaines : d’abord lorsque l’organisation
terroriste n’a pas répliqué du tout aux deux raids aériens les plus
massifs depuis le conflit de 2014. Ensuite, parce que les fois
précédentes, ces situations dégénéraient en confrontations armées, d’une
durée variant entre trois jours et un mois et demi. Or désormais, ce
qui reste de la direction du Hamas, lorsque le risque d’un affrontement
se précise, se rue sur les téléphones pour appeler les Egyptiens et leur
demander d’organiser un cessez-le-feu.
Mais comme on l’a dit, l’organisation des ex-Ismaïl Hanya et
Khaled Mashal n’a plus les moyens de faire respecter ces armistices. Il
lui reste entre 1 500 et 2 000 miliciens très indisciplinés sur 30 000
il y a un an encore. Personne ne creuse plus les tunnels stratégiques,
n’entretient plus le réseau de communication souterrain, et le nombre
des commandos de lanceurs de roquettes est ridiculement insuffisant.
Yahya Sinwar, le "liquidateur" du Hamas
Une ex-tête brûlée qui apprécie les séjours au Caire et a des visions d’avenir
Il importe de préciser que ces fonctions étaient grassement
rémunérées, car elles étaient les plus exposées. Il existait déjà une
forte réticence notamment parmi les perceurs de tunnels, après que des
dizaines d’entre eux trouvèrent la mort dans des conditions
épouvantables : par noyade, lorsque Tsahal inondait les galeries, par
explosion ou lors de bombardements aériens. Maintenant que cette
activité ne rapporte plus rien, on ne trouve plus de volontaires.
Il n’y a plus de tunnels en état d’être utilisés, et s’il reste
des milliers de roquettes dans des caches, il n’y a personne pour les
entretenir et pour les tirer. Pour ne rien arranger, le manque d’argent
facilite le travail de recrutement d’agents au profit d’Israël, dont le
Renseignement sait désormais quasiment en direct tout ce qui se trame
dans l’enclave. Et ce, avec une précision diabolique.
Pour Jérusalem et le Caire, la faillite du Hamas est plutôt une
bonne nouvelle ; pour les Israéliens, en cela que des tirs massifs de
roquettes en direction de leurs grandes villes ne sont pratiquement plus
à craindre. Pour les Egyptiens, parce que la succursale palestinienne
des Frères Musulmans qu’est le Hamas n’a plus les moyens de soutenir les
islamistes du pays du delta du Nil.
Mais il n’existe aucune raison de triompher pour ces deux
capitales. D’une part, pour les Hébreux, parce que des tirs plus limités
mais inattendus se font plus nombreux et qu’il n’y a plus personne avec
qui s’entendre sur un cessez-le-feu. Et pour al Sissi et Netanyahu,
parce que l’instauration d’une anarchie à Gaza n’est pas dans leurs
intérêts. D’autant plus qu’à terme, l’un des clans va finir par prendre
le pouvoir et que cela pourrait bien être une formation salafiste de
nature à leur faire regretter le Hamas.
Autre préoccupation à Jérusalem, l’obsession stratégique de
Binyamin Netanyahu voulant que l’Autorité Palestinienne ne prenne le
pouvoir à Gaza sous aucun prétexte, car cela paverait la voie vers un
Etat palestinien. Le Premier ministre hébreu désire le maintien d’un
Hamas affaibli à Gaza, ce qui est le meilleur moyen à ses yeux d’éviter
la formation d’un Etat palestinien bicéphale, la tête en Cisjordanie et
la queue à Gaza. Ce, particulièrement au moment où le Plan Trump prévoit
précisément de détacher la bande côtière de la destinée de la
Cisjordanie, pour en faire une ville-Etat démilitarisée à l’instar de
Singapour.
Il semble que sur ce point également, al Sissi et Netanyahu se
situent sur des positions concordantes : il ne s’agit pas réellement,
aujourd’hui au Caire, de remettre Gaza à Mahmoud Abbas. Premièrement,
parce qu’il ne dispose pas des moyens militaires pour la gouverner, et
ensuite, parce que l’Egypte entend jouer un rôle clé dans le "Projet
Singapour". Ce dernier doit en effet se développer sur une partie du
Sinaï égyptien et faire appel pour un tiers à de la main d’œuvre
égyptienne ; et au pied des pyramides, on compte bien que cela soit pour
les postes de direction, pour donner des débouchés aux ingénieurs
locaux sur les deniers saoudiens et ceux du Golfe arabo-persique, et
pour le plus grand profit des entreprises du delta du Nil.
Pour y parvenir, al Sissi est prêt à participer au maintien de
l’ordre du Gaza post-Hamas. Il aimerait également pouvoir compter sur
les sympathies de dirigeants post-Hanya/Mashal, le sigle Hamas ne
faisant plus peur à personne et n’étant pas immuable non plus.
Assurément pas en échange d’un peu de cash et de promesses de postes
intéressants dans le développement de Gaza-Singapour.
L’un des hommes dont il est le plus question est Yahya Sinwar, le
nouveau chef du Hamas à Gaza, qui a remplacé Ismaïl Hanya en février
dernier. Condamné à 30 ans de prison, Sinwar en a passé 22 dans les
geôles israéliennes pour différents meurtres. En 2011, il a fait partie
de l’échange pour la libération de Gilad Shavit, et c’est lui que les
Israéliens avaient choisi pour négocier avec eux les listes des
prisonniers libérables.
Le Hamas dispose toujours d’un réseau intéressant, qu’il doit être
possible de récupérer aujourd’hui pour des sommes misérables. Al Sissi
possède un autre atout dans sa manche : la possibilité de recourir à
l’aide des Israéliens, ce qui explique la présence de l’observateur de
Netanyahu sur le lieu des négociations. Il suffit de coordonner avec eux
la riposte aux inévitables tirs de roquettes et aux attaques de
cerfs-volants. On peut ainsi renforcer telle faction ou affaiblir telle
autre.
Tsahal au secours du Hamas ? De la science-fiction ? Il est clair
que je ne suis pas le bienvenu aux discussions du Caire et que cela ne
participe que d’une supposition sans preuves de ma part. Mais cela ne me
semble pas du tout exclu. Je constate ainsi que Tsahal intervient de
moins en moins contre les cerfs-volants, et uniquement près de la
barrière de sécurité et non contre des positions stratégiques. D’autre
part, le gouvernement israélien met de moins en moins en cause le Hamas.
J’observe aussi que les deux derniers raids aériens massifs ont
fait un nombre minime de blessés et de morts. Les cibles étaient toutes
étiquetées Hamas, centres de commandement, d’observation,
d’entraînement, de fabrication et de stockage d’armes. Mais il n’y avait
personne dedans ! Les quelques victimes se trouvaient "à proximité".
Ce mercredi, pour la seconde fois, en réponse à la poursuite des
activités pyromanes le long de la frontière en contradiction avec le
dernier accord de cessez-le-feu, Israël a partiellement fermé le point
de passage de Kerem Shalom par où transitent 90 pour cent des
marchandises consommées à Gaza. L’Egypte, de son côté, n’a pas augmenté
le flux de l’approvisionnement au point de passage de Rafah qu’elle
contrôle. Pas un litre de carburant n’est entré dans l’enclave où vivent
1.6 millions de personnes, et la décision d’embargo est illimitée dans
le temps. Rien de tel pour mettre la pression sur les négociateurs du
Hamas au Caire. Dix jours à ce régime et ce serait la guerre civile
généralisée, sans que Tsahal ne tire une seule balle de fusil.
Le Hamas est foutu, c’est un fait difficilement discutable.
D’ailleurs tous les journalistes européens familiers de Gaza le savent
pertinemment : on ne peut pas se transporter dans l’enclave sans buter
sur les "mini-milices" ; s’ils n’en font pas état, c’est pour ne pas
hypothéquer leur prochain séjour dans la Bande, parce qu’ils se sentent
proches des objectifs de la milice et ne souhaitent pas dévoiler sa
déconfiture, ou parce qu’ils sont férocement antijuifs.
Ce n’est pour l’instant ni une bonne ni une mauvaise chose. Cela
dépendra de la manière qu’auront les grands acteurs régionaux et les USA
d’organiser ce qui va suivre.
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