lundi 4 juin 2018

INTERDIT AUX MOINS DE 18 ANS de Hubert Zakine.



Zid, en avant pour la place Bresson et l’opéra. Purée, j’ai envie de lui prendre la main. Peut-être, elle aussi, elle aimerait mais, si jamais, elle refuse, où je vais m’cacher ?  Dans le lac Titicaca ? Si jamais elle refuse, ce serait pas  parce qu’elle m’aime plus mais seulement parce qu’elle a peur de rencontrer quelqu’un ! On est tchoutche  quand on sait pas si on fait bien ou on fait mal. Et puis, zut, qu’est-ce qu’y a de mal ? Je lui prends la main d’autorité, purée, elle dit rien. Au contraire, elle me sourit et elle me serre les doigts  comme si elle attendait que ça. Presqu’on tape cinq. Je caresse sa main en marchant, elle se laisse faire. C’est rien pour les autres mais pour nous, ça veut dire beaucoup, plus en tout cas que nos coquineries de la semaine passée à La Vigie.
C’est la preuve - attends je sors un mot de l’armoire - IRREFUTABLE qu’on est amoureux.
Purée, sa main, elle est douce. Douce et chaude comme une caresse. La vérité, j’ai bien fait d’aller avec elle à l’Opéra. La Traviata, elle aussi, je l’aime ! Même Martoune, je l’aime, alors, c’est dire comme l’amour ça rend niqué d’la tête. Mais, la purée, c’est tellement  bon d’être niqué d’la tête quand on s’promène main dans la main avec une fille aussi belle qu’Elizabeth.
Ca y est, elle a les places.
--Tu veux aller au cinéma ?
--Mais ta mère ?
--Le samedi, elle travaille avec ma tante aux Galeries de France.
Quoi de mieux. On va pouvoir frotter. Le Midi-Minuit, il accueille deux enfants qui s’aiment. Elle m’a payé la place. J’lui paierais un créponné à la Régence au retour. Mais avant, j’vais lui sortir un coup de sminfin couffin dont j’’ai le secret. Je m’aperçois, quand la lumière, elle est allée chez sa mère, que ma dulcinée elle a pris  goût à des caresses que la morale réprouve. Zarmah, je parle bien français. Ma parole, j’suis obligée de l’embrasser goulument  pour l’empêcher de ……glousser. Purée, j’ai envie de lui dire : attends ta mère ! C’est qu’en plus, elle se fait pas prier pour me rendre la pareille. Ma parole, Daisy, c’était bien mais ça vaut pas  Elizabeth. Ce doit être ça, l’amour !
 


Purée, Je croyais que les filles qui jouaient du piano, qui aimaient le Lac des Cygnes et qui avaient l’allure d’une princesse, elles étaient pas polissonnes, en plus. Ça prouve que j’suis encore un minus qui croit que c'est arrivé.

 Purée, je connais la moitié du quart de c’que je dois savoir pour jouer dans la cour des grands. Si je dis ça, à Roland, y va m’prendre pour un babao.

--On est plus puceaux ! Qu’est-ce qu’il y a d’autre à savoir ?
--Comment faire une loubia!
Devant sa mine étonnée, je lui répondrais la phrase de Jean Gabin : je sais qu’on ne sait jamais ! Bababa, l’intelligence !
 

 Après le film, on sait plus s’il était midi ou minuit. Comme le cinéma.

--Viens, on va dire bonjour à ma mère !

--Au Galeries de France ?

--Oui, tu viens ?

Man, j’suis habillé comme un gavatcho ! Je vois la mère dire à sa fille : Qu’est-ce que c’est que cet ostrogot que tu me présentes ?

Bouh, la honte ! Et la rouf !

--Vas, j’t’attends dehors !

--Je lui ai dit que je venais avec toi !

Elle me tue, cette fille !

--Quoi, tu lui as parlé de moi ?

--Eh bien sûr ! Elle veut voir à ce tu ressembles. Parce que, figures-toi, que je lui dis que je t’aimais.

--Bon, alors, je sais c’qu’il me reste à faire : m’engager dans la légion !

--Tu es bête ! Allez viens !

Je suis le petit toutou d’Elizabeth. Ma récompense, la douce promesse de retourner à La Vigie pour des polissonneries.

Elle marche devant moi et moi, rien que j’regarde son balancement. Je rechigne à avancer. Elle me prend la main comme si que j’ai 5 ans.

Oh putain, une jolie femme elle lui sourit. Une vendeuse  de sacs. Putain, elle me regarde…..j’sais plus où me mettre.

--Alors c’est toi qui fais tourner la tête à ma fille ?

La classe ! C’est qu’en plus elle est belle cette mère ! Purée, si sa fille elle est aussi jolie à son âge, j’vais lui demander qu’elle me fasse un paquet-cadeau : j’achète !

Je bredouille un bonjour tout timide. Je meurs quand elle  dit à Elizabeth.

--Tu as bon goût, ma fille !

En temps normal, je deviens un personnage de Tex Avery mais, là, je m’contente de rougir en dedans parce que je rougis jamais en dehors.

Elizabeth, elle veut me prendre la main mais je la retire fissa fissa. Eh, j’ai honte devant sa mère.

Elle donne les places de l’Opéra à sa mère et on décampe vite fait. En sortant des Galeries de France, j’ai l’impression d’être fiancé pour de bon ! Y manque plus que ma mère pour que la noce elle soit complète ! Elizabeth, elle est heureuse, je plais à sa mère ! Putain même avec sa blouse des Galeries de France, c’est un canus. Elle doit avoir quarante-cinq ans à tout casser  et son mari, avant de mourir, il a dû se régaler. Si j’ai l’assurance qu’Elizabeth, elle est aussi belle que sa mère,  à son âge, ni une, ni deux, je l’épouse ! Eh, c’est que, moi aussi j’veux me régaler avec ma dulcinée. Déjà, elle m’a donné un p’tit aperçu de ses capacités pour avoir envie d’approfondir le sujet. Purée, je philosophe, hein !

On rentre à Bab El Oued en flânant. Elle s’arrête pas de m’prendre la main. La gomme arabique, c’est kif kif. Elle est amoureuse, la pauvre. Et la vérité, je fais le blazé total, j’suis fier comme Artaban de marcher avec une fille  comme elle. La vérité, j’aurais préféré écrire comme d’Artagnan  pour faire plus chevaleresque mais je sais que  le lecteur c’est un samote, alors, je m’abstiens. (Un écrivain, y peut tout se permettre mais comme j’suis un babao qui écrit pour passer le temps et, pas pour faire l’écrivain, je me permets quelques fantaisies pataouètes.)



Ca y est, on arrive chez nous, à Bab El Oued. Elle rentre chez elle et moi, je rejoins la bande de bras cassés qui reviennent du Janil’s. Quand je raconte mon après-midi, avec en apothéose, la mère d’Elizabeth qui trouve que sa fille elle a bon goût, c’est bizarre, y font les étonnés, ces pourris.

--Aouah ?

Comme si ma parole, c’est du pipi d’chat ! Alors, j’suis obligé d’ajouter Ma parole d’honneur pour qu’ils me croient, ces coulos. Le seul intelligent, c’est Capo. Lui y se marre !

--Quand tu te maries ?

--Va à fancoule !

Roland, y sait pas quoi penser. Il oscille entre la plaisanterie et la…………plaisanterie.

--Et alors ?

--Si tu vois sa mère, tu meurs !

--Elle est vilaine ?

--Tié fou, c’est un putain de canus, on dirait Gina Lollobrigida et ma parole, elle a dit que sa fille elle a bon goût.

--Aouah ?

Zid avec son aouah.

--Sans arrêt tu vas me dire aouah ?

--Tu vas la niquer !

--N’importe quoi ! C’est la mère d’Elizabeth, ya r’mar que tié !

Roland y doute de rien quand il s’agit pas de lui.

--En plus, c’est normal qu’elle soit belle, c’est ta belle-mère !

Roland y se paie une de ces couches, j’vous dis pas !



*****


















1 commentaire:

  1. J’adore votre écriture Cher voisin de là bas....Un vrai régal ! Pour moi qui habitais la plus belle avenue du monde « Les Champs Elysées de Bab el Oued en quelque sorte... Les 3 horloges remplaçant L’Arc de Triomphe je ne peux être qu’admiratif pour votre style alerte bien de chez nous rempli de passion et de nostalgie pour ce quartier que nous aimions tant.
    Bravo et Merci pour le partage. Merci aussi pour les diaporamas .
    Bien cordialement.
    Un « Oualioune du Triolet.

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