j'ai retrouvé quelques uns de mes écrits qui devaient composer le deuxième tome de "IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED".
Je vous les livre tels quels......- 1 -
Je vous les livre tels quels......- 1 -
A
la lueur des premiers témoignages de sympathie puis à la lecture des lettres
chaleureuses qui ont suivi la parution de « il était une fois BAB EL OUED » et
devant l’insistance déployée par certains pour m’inciter à donner une suite à
cet ouvrage, l’évidence d’un deuxième tome consacré à mon quartier et à cette
communauté issue de toutes les misères méditerranéennes s’est imposée à moi.
Il
n’est jamais facile de trouver le juste équilibre entre ces deux notions
apparemment contradictoires : le désir impérieux d’écrire et la crainte d’en
faire trop. Je pensais l’avoir trouvé. Mais mon analyse s’est trouvée prise au
piège par l’amour démesuré que portent les BAB EL OUEDIENS à leur quartier,
Me
remettre au travail fut chose aisée car écrire BAB EL OUED demeure pour moi,
une réelle thérapie à la nostalgie qui, depuis quarante ans, assaille mes jours
et mes nuits,
Parce
que rendre hommage à cette communauté à nulle autre pareille, façonnée par 132
ans de sueur et de larmes, d’apports culturels et culinaires, de mariages italiens,
espagnols, israélites et de naissances
françaises sous les plis d’un drapeau tricolore resplendissant avant la pastellisation
dramatique de ses couleurs, telle est ma sublime ambition.
Parce
que parler des uns et des autres tellement différents et pourtant si semblables
dans leur appréhension de l’existence où
seul, le nécessaire était vital.
Parce
qu’offrir à mes compatriotes, le temps d’une lecture, l’illusion d’une
promenade le long de l’avenue de la Bouzaréah, de taper une pancha à Padovani,
d’assister au derby A.S.S.E.- GALLIA, de bavarder au jardin Guillemin, de prendre
une glace chez Roma-Glaces, à la Princesse ou chez Grosoli, de sentir les effluves
dégagées par l’immeuble Spigol de la rue Guillaumet, de taper la chaîne au
Majestic, au Plaza ou au Marignan, de ressortir « fartasse » du salon de
Vincent, de taper le beignet italien, de tchatcher en jouant à 5/25, au jacquet
ou à la belote, de se faire du mauvais sang pour les « chitanes » de la
famille……..
Parce
que, parce que…………………….
Quelle
plus belle profession de foi que d’écrire le paradis perdu afin d’être lu par
mes compatriotes, ces déshérités d’une France qui oublia combien, jadis, elle fut
belle, grande et généreuse.
Ecrire afin que la mémoire survive au désenchantement, écrire pour
nos enfants, nos petits enfants, nos arrières petits enfants………………………..
HZ
CHAPITRE PREMIER
L’enfance
Paradis
des humbles gens, Bab El Oued vivait au rythme de l’enfance. Une enfance
évoluant bruyamment, accaparant les
aires de jeux afin de dépenser une énergie débordante, de gesticuler, de parler
à haute voix au mépris de la sieste des justes.
Une
enfance heureuse bercée par les chansons douces des mamans, prolongée par la
musique de l’amitié qui chantait en chœur dans le quartier avant de s’épanouir
au sein de l’adolescence.
Les
pays méditerranéens déversent dans les jardins des nuées de bambins accompagnés
de leurs mamans afin de s’enivrer de senteurs poivrées, d’emmagasiner les bienfaits
d’un soleil généreux, de partager le pain de l’amitié, nourriture vitale des
gens de ces pays.
L’Algérie
ne dérogeait pas à cette règle. Composée en majorité d’immigrés d’Espagne, de
Malte et d’Italie, les nouveaux arrivants perpétuaient ainsi les coutumes et
traditions de leurs pays d’origine sur une terre d’accueil qui pratiquait
elle-même la vie au grand air.
Ajoutez
y les juifs de la casbah qui avaient fui les appartements vétustes de leur
enfance pour enfin «
respirer à pleins poumons» .
Plus
que tout autre quartier, Bab El Oued s’installa dans cette pratique avec
d’autant plus de désinvolture que les pionniers vécurent dans des baraquements
de fortune où la promiscuité et l’insalubrité les jetaient dehors à chaque
occasion. Le besoin de communiquer avec « leur pays », le soir après leur dur
labeur faisant le reste. Les gargottes, les tavernes, les restaurants et les
cafés décoraient leurs enseignes du drapeau transalpin ou ibérique, attirant
une foule de compatriotes désœuvrés, cherchant désespérément à renouer avec le
passé.
Les
enfants de ces déracinés profitèrent de
ces coutumes aérées qui poussaient tout un chacun hors de chez lui.
«
Descendre en bas la rue » devint le leitmotiv d’une jeunesse athlétique qui
pratiqua naturellement les disciplines sportives « indoor ».
Puisant
dans le grenier des anciens, les enfants empruntèrent les jeux de leurs aînés
qui tardaient à
«émanciper»
leur adolescence, préférant prolonger leur statut d’éternels gamins, de « grand
dadais qui jouent encore avec les p’tits » . Car à Bab El Oued, on aimait
constituer des équipes de « petits » qui, fièrement, défiaient les « grands »
dans d’homériques luttes intestines au football, à fava vinga ou à la
délivrance.
Les
jeux auxquels nous nous adonnions ne coûtaient pas un centime à nos parents
tant la débrouillardise habitait nos esprits. La débrouillardise et aussi
l’exemple hérité des anciennes générations.
Jeux de jadis, jeux de pauvres utilisant des noyaux pris dans le cœur
des abricots, balles en papier ou fabriquées avec des tombées de tissu, boites
de chique en fer blanc, vieilles balles de tennis, carrioles de bois montées
sur des roulements à billes, les tchapp’s, image des boites d’allumettes
Caussemille et quelques autres jeux comme la toupie, la savate, le 5/25 etc…..
Chaque
enfant du quartier se constituait un stock de noyaux d’abricot qu’il
emmagasinait dans une vieille chaussette orpheline chapardée à la maison. Au
cours des années, ces «billes du pauvre» devinrent par la grâce d’ingénieux
anciens, un jeu très prisé à Bab El Oued. Le succès aidant, plusieurs variantes virent le jour puis élevèrent le jeu de noyaux au rang d’institution
des cours de récréation et des trottoirs de rues.
Le
« tas » se jouait à plusieurs. Chaque participant déposait au sol un ou
plusieurs tas constitués d’un noyau surmontant un assemblage de trois autres.
La partie revenait à l’enfant qui «dégommait» le dernier tas restant. Il
ramassait, alors, tous les noyaux qui gisaient au sol et le jeu continuait
jusqu’à la nuit tombée. Avant, si l’un des joueurs était
« bichelaouère » ou maladroit et perdait tous ses noyaux.
Les
plus malins qui avaient la chance de posséder un noyau plus petit que les
autres proposaient au passant de « dégommer » la « tapette » pour dix, vingt ou
trente noyaux d’une distance convenue à l’avance. Les bagarres occasionnées par
ce jeu où la mauvaise foi de l’un se heurtait à la colère de l’autre se
révélaient très nombreuses et faisaient le délice des autres camarades du quartier.
Cela n’allait jamais bien loin mais certains se fâchèrent « à la vie, à la mort
».
Une
autre variante que proposaient les noyaux se jouait avec deux « tchic-tchic »
et se dénommait, D…. seul sait pourquoi « Seven ». Il est vrai que le chiffre 7
jouait un rôle éminent dans le gain ou la perte des différentes parties
disputées entre les participants. Mais pourquoi utiliser la de Shakespeare à
Bab El Oued ? That’is the question maousse !
Toujours
est-il que la règle voulait que l’un des joueurs (le croupier) lançât les
tchic-tchic. L’adversaire misait alors un nombre de noyaux sur le chiffre
révélé par les dés. Si le croupier réussissait à nouveau le même numéro, il
payait la mise en versant toutes les larmes de son corps. Par contre, si le 7
sortait il raflait la mise. Que de disputes, d’écarts de langage (doux
euphémisme), voire de bagarres tête à tête dans une entrée de maison se déclenchèrent
à la suite de ces parties interminables, la vérité, nul ne pourrait les
comptabiliser. Mais jamais elles ne débouchèrent sur une réelle fâcherie.
Le
jeu de la toupie, très prisé par les enfants de Bab El Oued et d’ailleurs, se
pratiquait de différentes façons et avec différents modèles. Les
« babaos » se contentaient de la toupie normale, très légère et de
couleurs vives, tourbillonnante au moindre lacher de « guitane »,
cette corde lisse dont nous entourions le corps de la toupie.
Les
cracks utilisaient la toupie italienne, plus grosse, plus lourde et de couleur beige avec un « gangui » arrondi
que les joueurs remplaçaient par un clou bien pointu afin de faire un sort au
matériel des adversaires lors d’une
partie de « cercle ».
Le
cercle apparaissait sur le sol grâce à la main déliée du plus doué d’entre
tous. Puis, chaque joueur lançait sa toupie avec l’intention avouée de
toucher, d’égratigner voire de casser
celle qui servait de cible au milieu du cercle pour avoir été la toupie à
s’arrêter la première lors de l’engagement.
Autre
variante, la Mauresque demandait de l’espace. Le joueur imitait le lancer de pierre
plate dans la mer afin de la voir ricocher un maximum de fois au large. Il
calait bien la guitane entre le petit doigt et l’annulaire et fouettait puissamment la toupie qui décrivait
un vol en rase-motte et terminait sa course en tournant sur elle-même le plus
loin possible Quelques champions du monde y parvenaient à tous les coups.
Quant
à la volante, il fallait une sacrée dose de maîtrise de soi et de technique
pour réussir le tour de force de lancer la toupie et la récupérer sur la paume
de la main bien tendue sans la faire tomber. Mais là ne s’arrétait pas
l’exploit. Encore fallait-il qu’elle tourne suffisamment longtemps pour obtenir
le titre suprême
de
champion du monde et des alentours.
Le
jeu des « tchapp’s » se
déclinait grâce à la face imagée des boites
d’allumettes que les petits « pieds noirs » collectionnaient,
jouaient, perdaient, gagnaient, achetaient ou revendaient selon leur bonne ou
mauvaise fortune.
Comme
pour les billes, les noyaux ou les bouchons de bouteilles de boissons sucrées,
il s’était instauré dans le sérail de la jeunesse une véritable bourse de la
« tchapp’s » avec une cotation qui montait ou dégringolait selon
l’humeur de chacun ou de la loi de l’offre et de la demande.
Comment
les enfants du quartier jouaient-ils aux « tchapp’s » ?
Les
candidats catapultaient d’une vigoureuse pichenette du pouce la
« tchapp’s » vers un mur situé à une dizaine de mètres. Le joueur qui
s’approchait au plus près du mur, ramassait les « objets du désir ».
Lançées en l’air d’un geste auguste, les tchapp’s qui retombaient l’image face
au ciel lui étaient acquises.
L’adversaire s’emparait alors des autres « tchapp’s », répétait
l’opération et ainsi de suite jusqu’à
épuisement du stock. Les « ténors » de ce jeu parvenaient à
« faire cabane » c'est-à-dire à placer sa « tchapp’s à cheval
contre le mur, ce qui lui donnait la main.
D’autres
jeux, de sauvages ceux-là, décourageaient certains de « descendre en bas
la rue ». Jeux de mains, jeux de vilains, nous apprenait-on à la maison, à
l’école ou au jardin. Pourtant, bien que nous aimions les jeux innocents comme
la course de bouchons lestés de bougie fondue, les billes, la délivrance et toutes les dérives, d’autres distractions
s’apparentaient plus à un combat de « mabouls » tels la
« savate », « fava vinga » ou « fort apache ».
Sans parler du taouète, de la carriole ou du pistolet à plomb.
La
savate exigeait de ses participants une résistance à la douleur et une dose de
cruauté que seule l’amitié pardonnait. Une boite d’allumettes, un morceau de bois
représentant le juge, une savate pour le bourreau (espadrille de corde ou méva à semelle crêpe) suffisaient à ce jeu.
Le
lancer de la boite d’allumettes déterminait le titre de juge ou de bourreau selon le côté grattoir réceptionné, voila les règles de ce jeu sorti tout droit d’un esprit dérangé
voire sadique. Car le joueur qui voyait son lancer retomber côté pile devenait
la cible du juge qui ordonnait au bourreau de lui administrer quelques coups de « savate »
sur sa main bien tendue. Cà faisait un mal de chien !
Au
rythme des lancers, le bourreau devenait victime et vice versa. Ce jeu cruel
cessait lorsque les larmes roulaient sur les joues et que les mains ne
parvenaient plus à maîtriser les tremblements causés pas les coups de « savate ».
Comparées
à papa (fava) vinga, les mêlées de rugby semblaient d’aimables divertissements
empruntés à la bibliothèque rose. Pour pratiquer ce jeu de timbrés, deux
équipes de huit se formaient. Après
tirage au sort, une équipe s’arcqueboutait à partir d’un mur et formait une
chenille en s’arrimant les uns aux autres en se tenant par la taille. Les 8
babaos de l’autre équipe tentaient alors de relever le défi, le plus agile
s’élançant le premier, de tenir au moins
une minute sur le dos de la chenille formant réceptacle. Si l’équipe n’y
parvenait pas, les rôles s’inversaient. Le nombre de contusions, foulures,
bras cassés, plaies et bosses de
toutes sortes, ne trouverait pas assez de place dans cet ouvrage si je devais
tous les énumérer.
Je
vais arrêter ici la description de ces jeux qui forgèrent l’amitié de l’enfance
qui subsiste au-delà de l’exode, du temps qui s’enfuit et des départs pour le
pays des yeux perdus.
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