vendredi 4 mai 2018

ECRITS DE HUBERT ZAKINE


j'ai retrouvé quelques uns de mes écrits qui devaient composer le deuxième tome de "IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED".
Je vous les livre tels quels......- 1 -

A la lueur des premiers témoignages de sympathie puis à la lecture des lettres chaleureuses qui ont suivi la parution de « il était une fois BAB EL OUED » et devant l’insistance déployée par certains pour m’inciter à donner une suite à cet ouvrage, l’évidence d’un deuxième tome consacré à mon quartier et à cette communauté issue de toutes les misères méditerranéennes s’est imposée à moi.

Il n’est jamais facile de trouver le juste équilibre entre ces deux notions apparemment contradictoires : le désir impérieux d’écrire et la crainte d’en faire trop. Je pensais l’avoir trouvé. Mais mon analyse s’est trouvée prise au piège par l’amour démesuré que portent les BAB EL OUEDIENS à leur quartier,

Me remettre au travail fut chose aisée car écrire BAB EL OUED demeure pour moi, une réelle thérapie à la nostalgie qui, depuis quarante ans, assaille mes jours et mes nuits,

Parce que rendre hommage à cette communauté à nulle autre pareille, façonnée par 132 ans de sueur et de larmes, d’apports culturels et culinaires, de mariages italiens, espagnols, israélites  et de naissances françaises sous les plis d’un drapeau tricolore resplendissant avant la pastellisation dramatique de ses couleurs, telle est ma sublime ambition.

Parce que parler des uns et des autres tellement différents et pourtant si semblables dans leur appréhension de l’existence où  seul, le nécessaire était vital.

Parce qu’offrir à mes compatriotes, le temps d’une lecture, l’illusion d’une promenade le long de l’avenue de la Bouzaréah, de taper une pancha à Padovani, d’assister au derby A.S.S.E.- GALLIA, de bavarder au jardin Guillemin, de prendre une glace chez Roma-Glaces, à la Princesse ou chez Grosoli, de sentir les effluves dégagées par l’immeuble Spigol de la rue Guillaumet, de taper la chaîne au Majestic, au Plaza ou au Marignan, de ressortir « fartasse » du salon de Vincent, de taper le beignet italien, de tchatcher en jouant à 5/25, au jacquet ou à la belote, de se faire du mauvais sang pour les « chitanes » de la famille……..

Parce que, parce que…………………….

Quelle plus belle profession de foi que d’écrire le paradis perdu afin d’être lu par mes compatriotes, ces déshérités d’une France qui oublia combien, jadis, elle fut belle, grande et généreuse.

Ecrire afin que la mémoire survive au désenchantement, écrire pour nos enfants, nos petits enfants, nos arrières petits enfants………………………..



HZ




CHAPITRE PREMIER



L’enfance



Paradis des humbles gens, Bab El Oued vivait au rythme de l’enfance. Une enfance évoluant  bruyamment, accaparant les aires de jeux afin de dépenser une énergie débordante, de gesticuler, de parler à haute voix au mépris de la sieste des justes.

Une enfance heureuse bercée par les chansons douces des mamans, prolongée par la musique de l’amitié qui chantait en chœur dans le quartier avant de s’épanouir au sein de l’adolescence.

Les pays méditerranéens déversent dans les jardins des nuées de bambins accompagnés de leurs mamans afin de s’enivrer de senteurs poivrées, d’emmagasiner les bienfaits d’un soleil généreux, de partager le pain de l’amitié, nourriture vitale des gens de ces pays.

L’Algérie ne dérogeait pas à cette règle. Composée en majorité d’immigrés d’Espagne, de Malte et d’Italie, les nouveaux arrivants perpétuaient ainsi les coutumes et traditions de leurs pays d’origine sur une terre d’accueil qui pratiquait elle-même la vie au grand air.

Ajoutez y les juifs de la casbah qui avaient fui les appartements vétustes de leur enfance pour enfin « respirer à pleins poumons» .

Plus que tout autre quartier, Bab El Oued s’installa dans cette pratique avec d’autant plus de désinvolture que les pionniers vécurent dans des baraquements de fortune où la promiscuité et l’insalubrité les jetaient dehors à chaque occasion. Le besoin de communiquer avec « leur pays », le soir après leur dur labeur faisant le reste. Les gargottes, les tavernes, les restaurants et les cafés décoraient leurs enseignes du drapeau transalpin ou ibérique, attirant une foule de compatriotes désœuvrés, cherchant désespérément à renouer avec le passé.

Les enfants  de ces déracinés profitèrent de ces coutumes aérées qui poussaient tout un chacun hors de chez lui.

« Descendre en bas la rue » devint le leitmotiv d’une jeunesse athlétique qui pratiqua naturellement les disciplines sportives « indoor ».

Puisant dans le grenier des anciens, les enfants empruntèrent les jeux de leurs aînés qui tardaient à

«émanciper» leur adolescence, préférant prolonger leur statut d’éternels gamins, de « grand dadais qui jouent encore avec les p’tits » . Car à Bab El Oued, on aimait constituer des équipes de « petits » qui, fièrement, défiaient les « grands » dans d’homériques luttes intestines au football, à fava vinga ou à la délivrance.



Les jeux auxquels nous nous adonnions ne coûtaient pas un centime à nos parents tant la débrouillardise habitait nos esprits. La débrouillardise et aussi l’exemple hérité des anciennes générations.  Jeux de jadis, jeux de pauvres utilisant des noyaux pris dans le cœur des abricots, balles en papier ou fabriquées avec des tombées de tissu, boites de chique en fer blanc, vieilles balles de tennis, carrioles de bois montées sur des roulements à billes, les tchapp’s, image des boites d’allumettes Caussemille et quelques autres jeux comme la toupie, la savate, le 5/25 etc…..






Chaque enfant du quartier se constituait un stock de noyaux d’abricot qu’il emmagasinait dans une vieille chaussette orpheline chapardée à la maison. Au cours des années, ces «billes du pauvre» devinrent par la grâce d’ingénieux anciens, un jeu très prisé à Bab El Oued. Le succès aidant,  plusieurs variantes virent le jour puis  élevèrent le jeu de noyaux au rang d’institution des cours de récréation et des trottoirs de rues. 

Le « tas » se jouait à plusieurs. Chaque participant déposait au sol un ou plusieurs tas constitués d’un noyau surmontant un assemblage de trois autres. La partie revenait à l’enfant qui «dégommait» le dernier tas restant. Il ramassait, alors, tous les noyaux qui gisaient au sol et le jeu continuait jusqu’à la nuit tombée. Avant, si l’un des joueurs était « bichelaouère » ou maladroit et perdait tous ses noyaux.

Les plus malins qui avaient la chance de posséder un noyau plus petit que les autres proposaient au passant de « dégommer » la « tapette » pour dix, vingt ou trente noyaux d’une distance convenue à l’avance. Les bagarres occasionnées par ce jeu où la mauvaise foi de l’un se heurtait à la colère de l’autre se révélaient très nombreuses et faisaient le délice des autres camarades du quartier. Cela n’allait jamais bien loin mais certains se fâchèrent « à la vie, à la mort ».

Une autre variante que proposaient les noyaux se jouait avec deux « tchic-tchic » et se dénommait, D…. seul sait pourquoi « Seven ». Il est vrai que le chiffre 7 jouait un rôle éminent dans le gain ou la perte des différentes parties disputées entre les participants. Mais pourquoi utiliser la de Shakespeare à Bab El Oued ? That’is the question maousse !

Toujours est-il que la règle voulait que l’un des joueurs (le croupier) lançât les tchic-tchic. L’adversaire misait alors un nombre de noyaux sur le chiffre révélé par les dés. Si le croupier réussissait à nouveau le même numéro, il payait la mise en versant toutes les larmes de son corps. Par contre, si le 7 sortait il raflait la mise. Que de disputes, d’écarts de langage (doux euphémisme), voire de bagarres tête à tête dans une entrée de maison se déclenchèrent à la suite de ces parties interminables, la vérité, nul ne pourrait les comptabiliser. Mais jamais elles ne débouchèrent sur une réelle fâcherie.

Le jeu de la toupie, très prisé par les enfants de Bab El Oued et d’ailleurs, se pratiquait de différentes façons et avec différents modèles. Les « babaos » se contentaient de la toupie normale, très légère et de couleurs vives, tourbillonnante au moindre lacher de « guitane », cette corde lisse dont nous entourions le corps de la toupie.

Les cracks utilisaient la toupie italienne, plus grosse, plus lourde et de  couleur beige avec un « gangui » arrondi que les joueurs remplaçaient par un clou bien pointu afin de faire un sort au matériel des adversaires lors  d’une partie de « cercle ».

Le cercle apparaissait sur le sol grâce à la main déliée du plus doué d’entre tous. Puis, chaque joueur lançait sa toupie avec l’intention avouée de toucher,  d’égratigner voire de casser celle qui servait de cible au milieu du cercle pour avoir été la toupie à s’arrêter la première lors de l’engagement.

Autre variante, la Mauresque demandait de l’espace. Le joueur imitait le lancer de pierre plate dans la mer afin de la voir ricocher un maximum de fois au large. Il calait bien la guitane entre le petit doigt et l’annulaire  et fouettait puissamment la toupie qui décrivait un vol en rase-motte et terminait sa course en tournant sur elle-même le plus loin possible Quelques champions du monde y parvenaient à tous les coups.

Quant à la volante, il fallait une sacrée dose de maîtrise de soi et de technique pour réussir le tour de force de lancer la toupie et la récupérer sur la paume de la main bien tendue sans la faire tomber. Mais là ne s’arrétait pas l’exploit. Encore fallait-il qu’elle tourne suffisamment longtemps pour obtenir le titre suprême

de champion du monde et des alentours.



Le jeu des  « tchapp’s » se déclinait grâce à la face imagée des boites  d’allumettes que les petits « pieds noirs » collectionnaient, jouaient, perdaient, gagnaient, achetaient ou revendaient selon leur bonne ou mauvaise fortune.

Comme pour les billes, les noyaux ou les bouchons de bouteilles de boissons sucrées, il s’était instauré dans le sérail de la jeunesse une véritable bourse de la « tchapp’s » avec une cotation qui montait ou dégringolait selon l’humeur de chacun ou de la loi de l’offre et de la demande.

Comment les enfants du quartier jouaient-ils aux « tchapp’s » ?

Les candidats catapultaient d’une vigoureuse pichenette du pouce la « tchapp’s » vers un mur situé à une dizaine de mètres. Le joueur qui s’approchait au plus près du mur, ramassait les « objets du désir ». Lançées en l’air d’un geste auguste, les tchapp’s qui retombaient l’image face au ciel  lui étaient acquises. L’adversaire s’emparait alors des autres « tchapp’s », répétait l’opération  et ainsi de suite jusqu’à épuisement du stock. Les « ténors » de ce jeu parvenaient à « faire cabane » c'est-à-dire à placer sa « tchapp’s à cheval contre le mur, ce qui lui donnait la main.



D’autres jeux, de sauvages ceux-là, décourageaient certains de « descendre en bas la rue ». Jeux de mains, jeux de vilains, nous apprenait-on à la maison, à l’école ou au jardin. Pourtant, bien que nous aimions les jeux innocents comme la course de bouchons lestés de bougie fondue, les billes, la délivrance  et toutes les dérives, d’autres distractions s’apparentaient plus à un combat de « mabouls » tels la « savate », « fava vinga » ou « fort apache ». Sans parler du taouète, de la carriole ou du pistolet à plomb.

La savate exigeait de ses participants une résistance à la douleur et une dose de cruauté que seule l’amitié pardonnait. Une boite d’allumettes, un morceau de bois représentant le juge, une savate pour le bourreau (espadrille de corde ou  méva à semelle crêpe) suffisaient à ce jeu.

Le lancer de la boite d’allumettes déterminait le titre  de juge ou de bourreau selon le  côté grattoir réceptionné,  voila les règles de  ce jeu sorti tout droit d’un esprit dérangé voire sadique. Car le joueur qui voyait son lancer retomber côté pile devenait la cible du juge qui ordonnait au bourreau de lui  administrer quelques coups de « savate » sur sa main bien tendue. Cà faisait un mal de chien !

Au rythme des lancers, le bourreau devenait victime et vice versa. Ce jeu cruel cessait lorsque les larmes roulaient sur les joues et que les mains ne parvenaient plus à maîtriser les tremblements causés pas les coups de « savate ».



Comparées à papa (fava) vinga, les mêlées de rugby semblaient d’aimables divertissements empruntés à la bibliothèque rose. Pour pratiquer ce jeu de timbrés, deux équipes  de huit se formaient. Après tirage au sort, une équipe s’arcqueboutait à partir d’un mur et formait une chenille en s’arrimant les uns aux autres en se tenant par la taille. Les 8 babaos de l’autre équipe tentaient alors de relever le défi, le plus agile s’élançant le premier, de tenir  au moins une minute sur le dos de la chenille formant réceptacle. Si l’équipe n’y parvenait pas, les rôles s’inversaient. Le nombre de contusions,  foulures,  bras cassés,  plaies et bosses de toutes sortes, ne trouverait pas assez de place dans cet ouvrage si je devais tous les énumérer.



Je vais arrêter ici la description de ces jeux qui forgèrent l’amitié de l’enfance qui subsiste au-delà de l’exode, du temps qui s’enfuit et des départs pour le pays des yeux perdus.

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