vendredi 4 mai 2018

ECRITS DE HUBERT ZAKINE

j'ai retrouvé quelques uns de mes écrits qui devaient composer le deuxième tome de "IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED".
Je vous les livre tels quels......- 3 -


CHAPITRE II

 L’école

 Parmi les souvenirs qui ont tracé une empreinte indélébile sur nos âmes d’enfance, l’école occupe une place privilégiée dans le grenier de notre mémoire. Chacun  d’entre nous conserve tout au fond de son cœur, enfermés à double tour mais ouverts aux quatre vents de l’amitié, des tranches de vie prodiguées comme du bon pain dans ces espaces du savoir de l’école de France si bien dispensé par ceux que nous appelions familièrement mais avec un profond respect et, pour certains, une réelle et intangible affection : nos maîtres et nos maîtresses. Sévères ou magnanimes, consciencieux ou philosophes face à la décontraction de certains cancres désarmants, ils avaient hérité des anciens le goût du travail bien fait. Un élève qui ne maîtrisait pas son année, échouait au certificat d’études ou redoublait la classe, partageait l’échec avec son instituteur ou son institutrice qui endossait, par conscience professionnelle, une grande part de ce revers. Aussi, certains d’entre eux n’hésitaient pas à donner des cours gratuits aux enfants nécessiteux, pupilles de la nation ou simplement orphelins de père ou de mère. Ceux auxquels je pense ont rejoint le pays du bon D….. avec le sentiment du devoir accompli. Paix à leur âme !
Maîtres et maîtresses de Bab El Oued, nous reconnaissons aujourd’hui bien volontiers combien votre métier a du être difficile à exercer face aux  garnements qui composaient vos classes surchargées Peu enclins à suivre vos cours dispensés pourtant avec autant d’attention que d’affection, ils laissaient libre cours à leur « flemmingite aigüe » sans se départir de leur désinvolture. L’école, c’était pour les autres. Le rêve leur appartenait.



A leur décharge, il faut bien reconnaître que nos petites fiancées, nos rues, nos places, nos trottoirs d’avenue, nos cinémas et nos stades  possédaient tant de charme que nos esprits vagabondaient souvent à l’extérieur de l’école. Nous délaissions alors les leçons de géographie, d’histoire ou de français, attirés par les bruits  qui nous arrivaient du dehors. Certains plus concentrés que d’autres sur les plaines enneigées du Jura, les exploits de Vercingétorix ou les subtilités de la grammaire, parvenaient à franchir les marches de la gloire qui menaient tout droit au Lycée Bugeaud, au Lycée Lazerges ou au collège Guillemin. Les autres, la majorité silencieuse, abandonnaient leur parcours scolaire après l’examen du certificat d’études, diplôme aussi convoité, en ces temps bénis, que la légion d’honneur, la médaille du Mérite National ou la coupe du monde de football.
De l'école, quel qu'en fut le lieu, chacun garde tout au fond de son coeur et de sa mémoire, des images et des odeurs embellies par le pardon du temps. Photographies jaunies et parfums d'autrefois, pastellisés, patinés, satinés par les nombreuses quêtes du souvenir dont la répétition a définitivement lissé la mémoire pour ne conserver que la beauté de l'instant en le figeant à tout jamais. Le   grincement de la craie blanche sur le noir tableau dessinant le savoir de France, la cotisation des élèves pour le traditionnel cadeau de fin d'année au maître d'école méritant, la cour interdite aux jeux violents, la confiscation des toupies, noyaux ou tchapp's par un instituteur irascible, le jeu de la mora réinventé par les garçons, renommé, allez savoir pourquoi, « pigeon » qui intriguait tant nos maîtres, le couple de photographes, qui nous plaçait minutieusement avec une patience qui aurait dû leur valoir les « palmes académiques ». Photographies du temps passé, endormies dans une boite en carton, un album de cuir affichant fièrement son âge ou un tiroir ouvert les soirs de nostalgie quand la nouvelle du décès d’un ami d’enfance vous plonge dans un abîme de désespoir, rien ne nous parle autant de l’injustice des hommes et de la fragilité du bonheur.
L’école, prolongement naturel de la maison familiale et de la rue « amicale » demeure le lieu où se nouèrent les amitiés les plus solides. Renforcées par une présence quasi permanente des camarades de classe au sein d’un même quartier,  ces amitiés, élues par le cœur, parce qu’elles furent disloquées par l’exode, se sont offertes à la rigueur du temps qui passe. Elles résistent pourtant vaillamment contre les vents contraires qui éloignent chaque jour le vaisseau fantôme et emportent les naufragés de l’Algérie vers l’île de l’oubli.
L’école de Jules Ferry se décrit pour chacun d’entre nous par la magie de noms de rues. Ecole Rochambeau, collège Guillemin, cours complémentaire Condorcet, Lazerges, Franklin, Lelièvre etc……
Ces écoles aux patronymes de militaires, artistes ou savants dont nous ignorions tout, nous suivent dans notre vie d’homme comme des souvenirs indélébiles accrochés à nos valises d’exil.

En fin d’année, fiers comme Artaban d’avoir décroché le fameux certificat ou feignant, pour la galerie et les parents la désolation de l’avoir raté « d’un cheveu de fartasse », tous les élèves se voyaient conviés à la grande fête de l’école. Prétextes à une débauche d’énergie, de rires et d’élans du cœur, ces grandes farandoles scellaient la complicité des maîtres et des  maîtresses avec leurs élèves. Sans discipline et sans retenue.
L’alibi premier de ces manifestations scolaires était la récompense des bons élèves avec la si attendue distribution des prix. C’était l’occasion pour les mamans de se rencontrer et d’exhiber fièrement leur progéniture les bras chargés de beaux livres, premiers prix de français ou de géographie. Les autres élèves, afin de se donner une contenance, feignaient l’indifférence mais, en ce moment précis, regrettaient sans doute de ne pas avoir bousculé leur fainéantise durant l’année scolaire.
Le temps de faire le tri entre les bons et les mauvais souvenirs de l’année, les « voyages » au Tombeau de la Chrétienne », les retenues et les « zéro de conduite », les billets de satisfaction et le tableau d’honneur, les fous rires étranglés devant un maître coléreux, les spectacles « payants » proposés à la bourse des parents parfois désargentés, les chiens savants, l’apprenti John WAYNE au lancer de lasso précis, les bagarres à la sortie de l’école pour un mot déplacé ( on avait le sang chaud à Bab El Oued), toute une panoplie à emmagasiner dans la boite aux souvenirs à ressortir les jours de mauvais temps.
L’école d’Algérie nous laisse un goût amer dans la bouche et dans le cœur car le souvenir attaché à ce merveilleux laboratoire de l’enfance nous a filé entre les doigts sans que nous ayons tenté de le retenir, tellement pressé que nous étions à devenir grands, à délaisser le rivage heureux des culottes courtes, de l’Elesca, des caramels Costa et des genoux écorchés. Pour ma part, depuis que les soucis m’ont rendu adulte et que la nostalgie me renvoie à l’enfance, je ralentis mon pas chaque fois que je croise une école, sa cour de récréation et les cris joyeux des enfants. Je ferme les yeux et un délicieux vent de nostalgie me caresse la joue. Alors je me souviens de la cloche qui nous sortait de nos discussions enfantines, la concierge de l’école de la rue Rochambeau qui avait toujours un mot gentil pour les enfants empruntés, qui nous réconfortait de nos mauvaises notes, qui nous soutenait lors de nos heures de retenues. Chère Madame JUAN !
Je me souviens encore et toujours de nos parties de pigeon, une « mora » à la sauce « pied noir » qui intriguait tant nos maîtres et les intéressait plus qu’ils le laissaient paraître, de ces bagarres improvisées au beau milieu du préau pour un mot échappé sur la mère de l’un d’entres nous, les dragues par-dessus le muret qui séparait les cours de récréation des filles et des garçons, des petits mots échangées des apprenties sainte-nitouche et des tombeurs en herbe,  toute une foule de souvenirs arrimés à l’école de chaque quartier, de nos instituteurs qui ne se contentaient pas de nous transmettre le savoir écrire, lire et compter mais surtout prolongeaient l’éducation de nos parents par leur enseignement de la vie. Je me souviens de ce maître d’école, rencontré quelques cinquante ans plus tard qui se souvenait encore de tous les noms de « ses chitanes » et qui regrettait tant de ne pas les avoir vu grandir et devenir des hommes. Oui, je me souviens encore de mes écoles et de mes instituteurs !
A SUIVRE...............

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