Je vous les livre tels quels......- 3 -
CHAPITRE II
L’école
Parmi les souvenirs qui ont tracé une empreinte indélébile sur
nos âmes d’enfance, l’école occupe une place privilégiée dans le grenier de
notre mémoire. Chacun d’entre nous
conserve tout au fond de son cœur, enfermés à double tour mais ouverts aux
quatre vents de l’amitié, des tranches de vie prodiguées comme du bon pain dans
ces espaces du savoir de l’école de France si bien dispensé par ceux que nous
appelions familièrement mais avec un profond respect et, pour certains, une
réelle et intangible affection : nos maîtres et nos maîtresses. Sévères ou
magnanimes, consciencieux ou philosophes face à la décontraction de certains
cancres désarmants, ils avaient hérité des anciens le goût du travail bien
fait. Un élève qui ne maîtrisait pas son année, échouait au certificat d’études
ou redoublait la classe, partageait l’échec avec son instituteur ou son
institutrice qui endossait, par conscience professionnelle, une grande part de
ce revers. Aussi, certains d’entre eux n’hésitaient pas à donner des cours
gratuits aux enfants nécessiteux, pupilles de la nation ou simplement orphelins
de père ou de mère. Ceux auxquels je pense ont rejoint le pays du bon D….. avec
le sentiment du devoir accompli. Paix à leur âme !
Maîtres et maîtresses de Bab El Oued, nous reconnaissons
aujourd’hui bien volontiers combien votre métier a du être difficile à exercer
face aux garnements qui composaient vos
classes surchargées Peu enclins à suivre vos cours dispensés pourtant avec
autant d’attention que d’affection, ils laissaient libre cours à
leur « flemmingite aigüe » sans se départir de leur
désinvolture. L’école, c’était pour les autres. Le rêve leur appartenait.
A leur décharge, il faut bien reconnaître que nos petites fiancées, nos rues, nos places, nos trottoirs d’avenue, nos cinémas et nos stades possédaient tant de charme que nos esprits vagabondaient souvent à l’extérieur de l’école. Nous délaissions alors les leçons de géographie, d’histoire ou de français, attirés par les bruits qui nous arrivaient du dehors. Certains plus concentrés que d’autres sur les plaines enneigées du Jura, les exploits de Vercingétorix ou les subtilités de la grammaire, parvenaient à franchir les marches de la gloire qui menaient tout droit au Lycée Bugeaud, au Lycée Lazerges ou au collège Guillemin. Les autres, la majorité silencieuse, abandonnaient leur parcours scolaire après l’examen du certificat d’études, diplôme aussi convoité, en ces temps bénis, que la légion d’honneur, la médaille du Mérite National ou la coupe du monde de football.
De
l'école, quel qu'en fut le lieu, chacun garde tout au fond de son coeur et de
sa mémoire, des images et des odeurs embellies par le pardon du temps.
Photographies jaunies et parfums d'autrefois, pastellisés, patinés, satinés par
les nombreuses quêtes du souvenir dont la répétition a définitivement lissé la
mémoire pour ne conserver que la beauté de l'instant en le figeant à tout jamais.
Le grincement de la craie blanche sur
le noir tableau dessinant le savoir de France, la cotisation des élèves pour le
traditionnel cadeau de fin d'année au maître d'école méritant, la cour
interdite aux jeux violents, la confiscation des toupies, noyaux ou tchapp's
par un instituteur irascible, le jeu de la mora réinventé par les garçons,
renommé, allez savoir pourquoi, « pigeon » qui intriguait tant nos
maîtres, le couple de photographes, qui nous plaçait minutieusement avec une
patience qui aurait dû leur valoir les « palmes académiques ».
Photographies du temps passé, endormies dans une boite en carton, un album de
cuir affichant fièrement son âge ou un tiroir ouvert les soirs de nostalgie
quand la nouvelle du décès d’un ami d’enfance vous plonge dans un abîme de
désespoir, rien ne nous parle autant de l’injustice des hommes et de la
fragilité du bonheur.
L’école,
prolongement naturel de la maison familiale et de la
rue « amicale » demeure le lieu où se nouèrent les amitiés les
plus solides. Renforcées par une présence quasi permanente des camarades de
classe au sein d’un même quartier, ces
amitiés, élues par le cœur, parce qu’elles furent disloquées par l’exode, se
sont offertes à la rigueur du temps qui passe. Elles résistent pourtant vaillamment
contre les vents contraires qui éloignent chaque jour le vaisseau fantôme et
emportent les naufragés de l’Algérie vers l’île de l’oubli.
L’école
de Jules Ferry se décrit pour chacun d’entre nous par la magie de noms de rues.
Ecole Rochambeau, collège Guillemin, cours complémentaire Condorcet, Lazerges,
Franklin, Lelièvre etc……
Ces
écoles aux patronymes de militaires, artistes ou savants dont nous ignorions
tout, nous suivent dans notre vie d’homme comme des souvenirs indélébiles
accrochés à nos valises d’exil.
En fin d’année, fiers comme Artaban d’avoir décroché le fameux
certificat ou feignant, pour la galerie et les parents la désolation de l’avoir
raté « d’un cheveu de fartasse », tous les élèves se voyaient conviés
à la grande fête de l’école. Prétextes à une débauche d’énergie, de rires et
d’élans du cœur, ces grandes farandoles scellaient la complicité des maîtres et
des maîtresses avec leurs élèves. Sans
discipline et sans retenue.
L’alibi premier de ces manifestations scolaires était la
récompense des bons élèves avec la si attendue distribution des prix. C’était
l’occasion pour les mamans de se rencontrer et d’exhiber fièrement leur
progéniture les bras chargés de beaux livres, premiers prix de français ou de
géographie. Les autres élèves, afin de se donner une contenance, feignaient
l’indifférence mais, en ce moment précis, regrettaient sans doute de ne pas
avoir bousculé leur fainéantise durant l’année scolaire.
Le temps de faire le tri entre les bons et les mauvais souvenirs
de l’année, les « voyages » au Tombeau de la Chrétienne », les
retenues et les « zéro de conduite », les billets de satisfaction et le
tableau d’honneur, les fous rires étranglés devant un maître coléreux, les
spectacles « payants » proposés à la bourse des parents parfois désargentés,
les chiens savants, l’apprenti John WAYNE au lancer de lasso précis, les
bagarres à la sortie de l’école pour un mot déplacé ( on avait le sang chaud à
Bab El Oued), toute une panoplie à emmagasiner dans la boite aux souvenirs à
ressortir les jours de mauvais temps.
L’école d’Algérie nous laisse un goût amer dans la bouche et
dans le cœur car le souvenir attaché à ce merveilleux laboratoire de l’enfance
nous a filé entre les doigts sans que nous ayons tenté de le retenir, tellement
pressé que nous étions à devenir grands, à délaisser le rivage heureux des
culottes courtes, de l’Elesca, des caramels Costa et des genoux écorchés. Pour
ma part, depuis que les soucis m’ont rendu adulte et que la nostalgie me
renvoie à l’enfance, je ralentis mon pas chaque fois que je croise une école,
sa cour de récréation et les cris joyeux des enfants. Je ferme les yeux et un
délicieux vent de nostalgie me caresse la joue. Alors je me souviens de la
cloche qui nous sortait de nos discussions enfantines, la concierge de l’école
de la rue Rochambeau qui avait toujours un mot gentil pour les enfants
empruntés, qui nous réconfortait de nos mauvaises notes, qui nous soutenait
lors de nos heures de retenues. Chère Madame JUAN !
Je me souviens encore et toujours de nos parties de pigeon, une
« mora » à la sauce « pied noir » qui intriguait tant nos
maîtres et les intéressait plus qu’ils le laissaient paraître, de ces bagarres
improvisées au beau milieu du préau pour un mot échappé sur la mère de l’un
d’entres nous, les dragues par-dessus le muret qui séparait les cours de
récréation des filles et des garçons, des petits mots échangées des apprenties
sainte-nitouche et des tombeurs en herbe,
toute une foule de souvenirs arrimés à l’école de chaque quartier, de
nos instituteurs qui ne se contentaient pas de nous transmettre le savoir
écrire, lire et compter mais surtout prolongeaient l’éducation de nos parents
par leur enseignement de la vie. Je me souviens de ce maître d’école, rencontré
quelques cinquante ans plus tard qui se souvenait encore de tous les noms de
« ses chitanes » et qui regrettait tant de ne pas les avoir vu
grandir et devenir des hommes. Oui, je me souviens encore de mes écoles et de
mes instituteurs !
A SUIVRE...............
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire