J'ai retrouvé quelques uns de mes écrits qui devaient composer le deuxième tome de "IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED".
Je vous les livre tels quels.............
Je vous les livre tels quels.............
La femme de mon pays représentait l’archétype de la méditerranéenne.
Tout feu tout flamme, elle gérait sa vie à travers sa famille, son mari, ses
enfants, ses parents, ses frères, ses sœurs, ses oncles, ses tantes, ses neveux
et ses nièces. Ajoutez-y quelques voisines, amies d’enfance ou commerçantes du
quartier et vous en aurez fait le tour.
Trésor de bonté, elle était capable d’emportements légendaires si
ses enfants étaient visés par la médisance, la méchanceté ou un procès
d’intention. Elle puisait dans ses souvenirs d’enfance les leçons du passé.
Déjà toute petite, alors que ses frères s’escrimaient dans le couloir à imiter
les vedettes locales du ballon rond, elle aidait sa maman à éplucher un légume,
à faire les lits, à préparer un repas pour le seul plaisir de jouer à la mère
de famille. Elle ne savait pas encore que ce jeu de rôles l’accompagnerait tout
au long de sa future vie de femme mariée et de mère de famille. Etudiante,
vendeuse, secrétaire, dactylo ou couturière, la jeune fille n’échappait pas à
la règle commune qui voulait la voir emprunter le chemin de ses aînées. Aussi,
s’obligeait–elle à mener de front la quête du savoir culturel et du savoir
traditionnel qui prenait sa source au sein même de la maison familiale. Tout au
moins jusqu’à son mariage.
Autrefois, s’inspirant des us et coutumes en vigueur dans les pays
méditerranéens, les parents considéraient que la réussite des études
s ‘appliquait prioritairement aux garçons, futurs chefs de famille et à ce
titre, détenteur d’un métier susceptible de « faire bouillir la
marmite ».
Aussi, la jeune fille délaissait le savoir des écoles pour celui de
la femme d’intérieur. Comme sa mère et sa grand mère avant elle. Comme la
majeure partie des femmes de ces pays orientaux qui semble faire la part belle
à l’homme mais qui mesure à sa juste valeur l’importance de la place et du rôle
déterminant de l’épouse et plus tard de la mère de famille au sein du foyer.
Femme d’intérieur, la femme de Bab El Oued l’était assurément. Elle
bichonnait son appartement avec une assiduité quasi maladive. Allergique à
la poussière, elle « aérait »
les chambres à grands coups de courant d’air, battait les tapis et les matelas
au balcon, lavait le carrelage à grande eau qu ‘elle essuyait armée du
célébrissime « chiffon à laver le parterre », nettoyait les vitres et
les miroirs avec du papier journal « que mon ami, les produits de
maintenant c’est de la zoubia ! », retapait les lits en un tour de
main après les avoir « laissé respirer »,
Son emploi du temps reposait sur des horaires précises, du lever au
coucher sans se soucier du nombre de minutes
passées au service de sa maisonnée.
Entre le ménage, les « commissions » au marché, le bavardage
sur le chemin du retour ou sur le balcon avec une voisine en panne de menu, la
préparation des repas du midi et du soir, le repassage, la sieste, la descente
au jardin, la visite à un parent, la journée était bien remplie. Sans compter
la grande lessive une fois par semaine sur la terrasse de l’immeuble où elle
résidait. Cette lessive, dé ! Un véritable bonheur pour les enfants !
La terrasse des immeubles de
Bab El Oued offrait la possibilité d’admirer le superbe panorama d’Alger. Mais la fonction première
de ces terrasses du bout du monde se déclinait au féminin. En effet, une
journée par mois ou par semaine selon le nombre de résidants, la terrasse,
sa superficie et sa buanderie, était
réservée à une famille qui s’empressait de « se taper la lessive »
mon ami, souâ-souâ !
La maîtresse de maison rameutait une ou plusieurs sœurs pour lui
donner la main afin de laver, astiquer, brosser, blanchir tous les vêtements de
sa maisonnée. Qui n’a pas vu une femme de chez nous frotter son linge avec une
brosse à chien dent ne sait pas ce que veut dire le mot « laver ». La
voir s’escrimer si longtemps sur un vêtement que les enfants mettent si peu de
temps à salir relèverait de la psychanalyse si le qu’en dira t-on n’était pas
considéré en ce pays comme une valeur universelle et si les mauvaises langues
ne se déliaient aussi aisément.
Comme disait Madame Noguès : « Il n’y a pas de mauvaises
langues, il n’y a que des langues bien pendues ! »
Les enfants de la famille profitaient de l’espace offert par la
terrasse pour s’amuser bien sur mais aussi pour s’inventer des histoires de
corsaires, flibustiers et autres boucaniers, le nez au vent et la mer pour
décor. Les filles dessinaient le jeu de la marelle, jetaient la boite de
« chique « en fer blanc pour, à cloche pieds, la guider vers le ciel
ou le paradis. Possibilité rarement offerte car les « chitanes » ne
se gênaient pas pour « shooter » dans la boite en fer, feignant la
maladresse devant les cris indignées des « demoiselles ».
L’odeur de la javel, de cristaux de soude, de savon arabe et autre
lavette appartenant à l’histoire de la femme « pied noir » et à la
vénération qu’elle voue à la propreté embaumait le quartier jusque tard dans la
nuit.
Ces odeurs, je les garde en moi comme des sensations d’une autre époque, d’un autre lieu, d’un
autre continent, d’un paradis à jamais perdu.
Douée pour la cuisine, la femme de Bab El Oued l’était assurément.
Imprégnée de toutes les influences méditerranéennes, sa cuisine
chantait le soleil, la joie de vivre et les épices orientales. Elle accommodait
ses plats avec le savoir faire ancestral de la famille et du voisinage.
S’il manquait un ingrédient, plutôt que de réaliser une cuisine
fade, sans saveur et sans goût, elle n’hésitait pas à quémander à une voisine
une dose de « kemoun », une pincée de « flio » ou quelques
branches d’origan.
Ainsi parfumé, son plat sentait les jardins d’Italie, d’Espagne et
d’Arabie et régalait les palais les plus difficiles, orientalisait le plat le
plus banal.
La femme de chez moi aimait la bonne chère. Aussi, ne mesurait-elle
jamais son temps ni son travail pour confectionner une cuisine mijotée. Aux
petits soins avec ses marmites, elle goûtait sa loubia, sa sépia au noir ou son
riz à l’espagnol une bonne vingtaine de fois pendant la cuisson, dosant au
gramme près les ingrédients nécessaires au ravissement du palais.
Elle ne respectait que le savoir transmis par les femmes de sa
famille qui ne parlait pas de grammes ou de centilitres mais de pincées ou de versées. Elles
possédaient le chic, la main pour doser convenablement les ingrédients.
La crainte de cuisiner « mesquin » rivée au corps, la
femme de chez moi cuisinait « les yeux plus gros que le ventre ». La
devise de la cuisinière pied noir se
déclinait par un « il vaut mieux faire envie que pitié ! ».
Elle n’oubliait jamais de préciser : « c’est pas
perdu ! »
Si un invité ne demandait pas
une deuxième part, le doute s’insinuait en elle : « elle est pas bonne ma loubia ? ». Si la
réponse la satisfaisait sur la qualité de son plat, elle s’inquiétait : « dis Paulette,
ton fils il a un appétit d’oiseau. Tu devrais le montrer à
Machtou ! ». Machtou, c’était le docteur de la famille. Sa cuisine gourmande
ne souffrait pas les petits appétits. Si l’invité se comportait en « morfal », la femme pied noir
se décernait une étoile de plus au guide Michelin de Bab El Oued. Et comme,
grâce à Dieu, le faubourg fourmillait de « morfals »…….
Malgré certaines mauvaises langues qui dénigraient tout et n’importe
quoi, l’état d’esprit général se voulait magnanime. En effet, toutes logées à
la même enseigne, les femmes du faubourg, conscientes du rôle essentiel
qu’elles remplissaient au sein de leur foyer, se faisaient un devoir de
complimenter leurs congénères. « Critiquer les autres, c’était se
critiquer soi-même » pensaient-elles à juste titre. Car nos mères
partageaient leur savoir-faire avec les voisines qui se pâmaient volontiers sur
un plat dont elles ignoraient la composition. Goûtées lors des fêtes
religieuses au cœur d’assiettes gourmandes offertes au voisinage, les
pâtisseries italiennes, espagnoles, arabes ou juives détenaient la palme de
cette marque d’affection par assiettées témoignée.
Ainsi se nouaient au fil du temps une communion d’esprit entre
toutes ces femmes d’Algérie qui maniaient les vertus de maîtresse de maison
avec abnégation, courage et talent.
La femme de Bab El Oued était à l’image des femmes méditerranéennes.
Avant les années soixante, la jeune fille travaillait jusqu’au jour où une robe
de mariée lui ravissait le cœur. Alors, pour la plupart d’entre elles,
l’appartement des jeunes époux devenait sa propriété, son « chez
elle », sa Maison. Le champ clos de son horizon s’arrêtait là où commençait
son foyer. Elle s’appuyait sur l’exemple de sa mère, voire de sa grand-mère,
apprenait des autres femmes de la famille ou du voisinage ce qu’elle n’avait
pas encore assimilé.
Au bout de quelques semaines, elle maîtrisait la confection d’une
paëlla, d’un couscous ou d’une bonne pastière. Elle portait fièrement le nom de
son époux et si elle revenait souvent à ses « années demoiselles » auprès
de sa mère, elle les abandonnait, dans
un sourire, pour écrire le roman de sa
vie.
Après avoir apprivoisé les comptes du ménage, elle prenait les rênes
de son foyer. Elle s’investissait alors ministre des finances. Puis quand le
cri de bébé ensoleillait sa maison, elle prenait le portefeuille de l’éducation
puis une fois son enfant scolarisé, de l’enseignement. Le mari, premier
ministre de fortune, s’accommodant très bien des fonctions de son épouse, le
temps pour lui au sortir du travail, de traîner au café avec quelques amis de
la prime enfance.
La femme de chez nous maniait l’art de materner avec mansuétude.
Elle se faisait des « kilos de mauvais sang » à la moindre toux de
son enfant. Douée jusqu’à la déraison pour l’inquiétude, elle soignait avec des
remèdes de grand-mère comme les ventouses, l’huile chaude dans les oreilles et
la friction à l’anisette sur la tête, le cataplasme de choux ou la ouate
thermogène mais l’enveloppement d’alcool gardait sa préférence.
Un carré de sucre dans la poche pour le creux de dix heures,
l’écolier pouvait alors affronter le calcul mental et l’analyse. Un peu d’eau
sucrée quand le vin était absent et voilà l’enfant remonté comme une pendule.
Et pourquoi pas un peu de quinquina ? Le quatre heures, la maman de chez
nous pouvait offrir à ses enfants un café au lait mais elle préférait une
versée d’huile d’olive et du sucre en poudre dans une assiette, un morceau de
pain et le tour était joué. « C’est le meilleur fortifiant ! »
répétait –elle à son fils qui lorgnait sur la tablette de chocolat Lefèvre.
La femme adorait se moquer d’autrui. Gentiment, sans méchanceté
simplement pour le plaisir d’attraper un bon fou rire. Car le rire détenait la
première place au Panthéon des vertus du pied noir. Pour un oui, pour un
non, le rire s’installait pour se
travestir en franche rigolade dans ce pays, cette ville, ce quartier où la misère
fut le dénominateur commun de ces
pauvres gens qui avaient fui la pauvreté.
La femme de chez moi, femme méditerranéenne jusqu’au bout des
ongles, adepte de la dramatisation du moindre incident frôlant sa maisonnée,
dotée d’une foi inébranlable en sa religion, sa famille et son pouvoir, fille
de l’Orient et de l’Occident, aux valeurs immuables héritées de son entourage
familial, femme souvent sacrifiée aux besoins de ses enfants mais dont la
fatalité orientale la dédouanait autant qu’elle la protégeait, femme aux multiples
courages et aux multiples origines, qui se vautrait dans le drapeau tricolore,
qui chantait la marseillaise comme on appelle au secours avant la noyade, femme
de chez moi qui s’abandonnait à la fierté en regardant son enfant, sans pudeur
et sans faux-semblant, femme d’Algérie tout simplement. Merci !
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