dimanche 6 mai 2018

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED /TOME 2 DE HUBERT ZAKINE


J'ai retrouvé quelques uns de mes écrits qui devaient composer le deuxième tome de "IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED".
Je vous les livre tels quels.............



La femme


La femme de mon pays représentait l’archétype de la méditerranéenne. Tout feu tout flamme, elle gérait sa vie à travers sa famille, son mari, ses enfants, ses parents, ses frères, ses sœurs, ses oncles, ses tantes, ses neveux et ses nièces. Ajoutez-y quelques voisines, amies d’enfance ou commerçantes du quartier et vous en aurez fait le tour.

Trésor de bonté, elle était capable d’emportements légendaires si ses enfants étaient visés par la médisance, la méchanceté ou un procès d’intention. Elle puisait dans ses souvenirs d’enfance les leçons du passé. Déjà toute petite, alors que ses frères s’escrimaient dans le couloir à imiter les vedettes locales du ballon rond, elle aidait sa maman à éplucher un légume, à faire les lits, à préparer un repas pour le seul plaisir de jouer à la mère de famille. Elle ne savait pas encore que ce jeu de rôles l’accompagnerait tout au long de sa future vie de femme mariée et de mère de famille. Etudiante, vendeuse, secrétaire, dactylo ou couturière, la jeune fille n’échappait pas à la règle commune qui voulait la voir emprunter le chemin de ses aînées. Aussi, s’obligeait–elle à mener de front la quête du savoir culturel et du savoir traditionnel qui prenait sa source au sein même de la maison familiale. Tout au moins jusqu’à son mariage.

Autrefois, s’inspirant des us et coutumes en vigueur dans les pays méditerranéens, les parents considéraient que la réussite des études s ‘appliquait prioritairement aux garçons, futurs chefs de famille et à ce titre, détenteur d’un métier susceptible de « faire bouillir la marmite ».

Aussi, la jeune fille délaissait le savoir des écoles pour celui de la femme d’intérieur. Comme sa mère et sa grand mère avant elle. Comme la majeure partie des femmes de ces pays orientaux qui semble faire la part belle à l’homme mais qui mesure à sa juste valeur l’importance de la place et du rôle déterminant de l’épouse et plus tard de la mère de famille au sein du foyer.

Femme d’intérieur, la femme de Bab El Oued l’était assurément. Elle bichonnait son appartement avec une assiduité quasi maladive. Allergique à la   poussière, elle « aérait » les chambres à grands coups de courant d’air, battait les tapis et les matelas au balcon, lavait le carrelage à grande eau qu ‘elle essuyait armée du célébrissime « chiffon à laver le parterre », nettoyait les vitres et les miroirs avec du papier journal « que mon ami, les produits de maintenant c’est de la zoubia ! », retapait les lits en un tour de main après les avoir « laissé respirer »,

Son emploi du temps reposait sur des horaires précises, du lever au coucher sans se soucier du nombre de minutes  passées au service de sa maisonnée.

Entre le ménage, les « commissions » au marché, le bavardage sur le chemin du retour ou sur le balcon avec une voisine en panne de menu, la préparation des repas du midi et du soir, le repassage, la sieste, la descente au jardin, la visite à un parent, la journée était bien remplie. Sans compter la grande lessive une fois par semaine sur la terrasse de l’immeuble où elle résidait. Cette lessive, dé ! Un véritable bonheur pour les enfants !

La terrasse des  immeubles de Bab El Oued offrait la possibilité d’admirer le superbe  panorama d’Alger. Mais la fonction première de ces terrasses du bout du monde se déclinait au féminin. En effet, une journée par mois ou par semaine selon le nombre de résidants, la terrasse, sa  superficie et sa buanderie, était réservée à une famille qui s’empressait de « se taper la lessive » mon ami, souâ-souâ !

La maîtresse de maison rameutait une ou plusieurs sœurs pour lui donner la main afin de laver, astiquer, brosser, blanchir tous les vêtements de sa maisonnée. Qui n’a pas vu une femme de chez nous frotter son linge avec une brosse à chien dent ne sait pas ce que veut dire le mot « laver ». La voir s’escrimer si longtemps sur un vêtement que les enfants mettent si peu de temps à salir relèverait de la psychanalyse si le qu’en dira t-on n’était pas considéré en ce pays comme une valeur universelle et si les mauvaises langues ne se déliaient aussi aisément.

Comme disait Madame Noguès : « Il n’y a pas de mauvaises langues, il n’y a que des langues bien pendues ! »



Les enfants de la famille profitaient de l’espace offert par la terrasse pour s’amuser bien sur mais aussi pour s’inventer des histoires de corsaires, flibustiers et autres boucaniers, le nez au vent et la mer pour décor. Les filles dessinaient le jeu de la marelle, jetaient la boite de « chique « en fer blanc pour, à cloche pieds, la guider vers le ciel ou le paradis. Possibilité rarement offerte car les « chitanes » ne se gênaient pas pour « shooter » dans la boite en fer, feignant la maladresse devant les cris indignées des « demoiselles ».

L’odeur de la javel, de cristaux de soude, de savon arabe et autre lavette appartenant à l’histoire de la femme « pied noir » et à la vénération qu’elle voue à la propreté embaumait le quartier jusque tard dans la nuit.

Ces odeurs, je les garde en moi comme des sensations  d’une autre époque, d’un autre lieu, d’un autre continent, d’un paradis à jamais perdu.



Douée pour la cuisine, la femme de Bab El Oued l’était assurément.

Imprégnée de toutes les influences méditerranéennes, sa cuisine chantait le soleil, la joie de vivre et les épices orientales. Elle accommodait ses plats avec le savoir faire ancestral de la famille et du  voisinage.

S’il manquait un ingrédient, plutôt que de réaliser une cuisine fade, sans saveur et sans goût, elle n’hésitait pas à quémander à une voisine une dose de « kemoun », une pincée de « flio » ou quelques branches d’origan.

Ainsi parfumé, son plat sentait les jardins d’Italie, d’Espagne et d’Arabie et régalait les palais les plus difficiles, orientalisait le plat le plus banal.

La femme de chez moi aimait la bonne chère. Aussi, ne mesurait-elle jamais son temps ni son travail pour confectionner une cuisine mijotée. Aux petits soins avec ses marmites, elle goûtait sa loubia, sa sépia au noir ou son riz à l’espagnol une bonne vingtaine de fois pendant la cuisson, dosant au gramme près les ingrédients nécessaires au ravissement du palais.

Elle ne respectait que le savoir transmis par les femmes de sa famille qui ne parlait pas de grammes ou de centilitres  mais de pincées ou de versées. Elles possédaient le chic, la main pour doser convenablement les ingrédients.

La crainte de cuisiner « mesquin » rivée au corps, la femme de chez moi cuisinait « les yeux plus gros que le ventre ». La devise de la cuisinière  pied noir se déclinait par un « il vaut mieux faire envie que pitié ! ».

Elle n’oubliait jamais de préciser : « c’est pas perdu ! »

Si un invité  ne demandait pas une deuxième part, le doute s’insinuait en elle : « elle  est pas bonne ma loubia ? ». Si la réponse la satisfaisait sur la qualité de son plat,   elle s’inquiétait : « dis Paulette, ton fils il a un appétit d’oiseau. Tu devrais le montrer à Machtou ! ». Machtou, c’était le docteur de la famille. Sa cuisine gourmande ne souffrait pas les petits appétits. Si l’invité se comportait  en « morfal », la femme pied noir se décernait une étoile de plus au guide Michelin de Bab El Oued. Et comme, grâce à Dieu, le faubourg fourmillait de « morfals »…….

Malgré certaines mauvaises langues qui dénigraient tout et n’importe quoi, l’état d’esprit général se voulait magnanime. En effet, toutes logées à la même enseigne, les femmes du faubourg, conscientes du rôle essentiel qu’elles remplissaient au sein de leur foyer, se faisaient un devoir de complimenter leurs congénères. « Critiquer les autres, c’était se critiquer soi-même » pensaient-elles à juste titre. Car nos mères partageaient leur savoir-faire avec les voisines qui se pâmaient volontiers sur un plat dont elles ignoraient la composition. Goûtées lors des fêtes religieuses au cœur d’assiettes gourmandes offertes au voisinage, les pâtisseries italiennes, espagnoles, arabes ou juives détenaient la palme de cette marque d’affection par assiettées témoignée.

Ainsi se nouaient au fil du temps une communion d’esprit entre toutes ces femmes d’Algérie qui maniaient les vertus de maîtresse de maison avec abnégation, courage et talent.



La femme de Bab El Oued était à l’image des femmes méditerranéennes. Avant les années soixante, la jeune fille travaillait jusqu’au jour où une robe de mariée lui ravissait le cœur. Alors, pour la plupart d’entre elles, l’appartement des jeunes époux devenait sa propriété, son « chez elle », sa Maison. Le champ clos de son horizon s’arrêtait là où commençait son foyer. Elle s’appuyait sur l’exemple de sa mère, voire de sa grand-mère, apprenait des autres femmes de la famille ou du voisinage ce qu’elle n’avait pas encore assimilé.

Au bout de quelques semaines, elle maîtrisait la confection d’une paëlla, d’un couscous ou d’une bonne pastière. Elle portait fièrement le nom de son époux et si elle revenait souvent à ses « années demoiselles » auprès de sa mère, elle les  abandonnait, dans un sourire,  pour écrire le roman de sa vie.

Après avoir apprivoisé les comptes du ménage, elle prenait les rênes de son foyer. Elle s’investissait alors ministre des finances. Puis quand le cri de bébé ensoleillait sa maison, elle prenait le portefeuille de l’éducation puis une fois son enfant scolarisé, de l’enseignement. Le mari, premier ministre de fortune, s’accommodant très bien des fonctions de son épouse, le temps pour lui au sortir du travail, de traîner au café avec quelques amis de la prime enfance.



La femme de chez nous maniait l’art de materner avec mansuétude. Elle se faisait des « kilos de mauvais sang » à la moindre toux de son enfant. Douée jusqu’à la déraison pour l’inquiétude, elle soignait avec des remèdes de grand-mère comme les ventouses, l’huile chaude dans les oreilles et la friction à l’anisette sur la tête, le cataplasme de choux ou la ouate thermogène mais l’enveloppement d’alcool gardait sa préférence.

Un carré de sucre dans la poche pour le creux de dix heures, l’écolier pouvait alors affronter le calcul mental et l’analyse. Un peu d’eau sucrée quand le vin était absent et voilà l’enfant remonté comme une pendule. Et pourquoi pas un peu de quinquina ? Le quatre heures, la maman de chez nous pouvait offrir à ses enfants un café au lait mais elle préférait une versée d’huile d’olive et du sucre en poudre dans une assiette, un morceau de pain et le tour était joué. «  C’est le meilleur fortifiant ! » répétait –elle à son fils qui lorgnait sur la tablette de chocolat Lefèvre.



La femme adorait se moquer d’autrui. Gentiment, sans méchanceté simplement pour le plaisir d’attraper un bon fou rire. Car le rire détenait la première place au Panthéon des vertus du pied noir. Pour un oui, pour un non,  le rire s’installait pour se travestir en franche rigolade dans ce pays, cette ville, ce quartier où la misère fut le dénominateur  commun de ces pauvres gens qui avaient fui la pauvreté.

La femme de chez moi, femme méditerranéenne jusqu’au bout des ongles, adepte de la dramatisation du moindre incident frôlant sa maisonnée, dotée d’une foi inébranlable en sa religion, sa famille et son pouvoir, fille de l’Orient et de l’Occident, aux valeurs immuables héritées de son entourage familial, femme souvent sacrifiée aux besoins de ses enfants mais dont la fatalité orientale la dédouanait autant qu’elle la protégeait, femme aux multiples courages et aux multiples origines, qui se vautrait dans le drapeau tricolore, qui chantait la marseillaise comme on appelle au secours avant la noyade, femme de chez moi qui s’abandonnait à la fierté en regardant son enfant, sans pudeur et sans faux-semblant, femme d’Algérie tout simplement. Merci !










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire