lundi 12 juin 2017

Extrait de COMME ELLE DIT MA MERE de Hubert Zakine



Le fameux jour de taper cao au cours d’arabe littéraire, il est arrivé sans tambour ni trompette. Je m’retrouve seul sur mon ile déserte. En effet, Attia, ce coulo, y m’annonce pas,  avec tambour et trompette, qu’il se dégonfle. Moi, je pense remettre à demain c’que je peux faire le jour même (selon le fameux proverbe) mais les copains, comme des sangsues, y me gonflent les bonbons alors, à la guerre comme à la guerre, j’me jette à l’eau. En plus, j’ai pas d’argent pour le cinéma. Où j’vais aller ? Putain, dès une heure de l’après-midi, je  rase les murs pour monter à Notre Dame d’Afrique. L’homme invisible, c’est moi. J’suis vraiment neuneu, hein !        
Je passe devant la campagne Oualid en me cachant parce que les Oualid, c’est de la famille éloignée. Et ça grimpe, ça grimpe, achno jamais ça m’a paru si loin quand je montais avec les amis. Je suis comme une âme en peine, un chien perdu sans collier. Je pourrais chanter « Si toi aussi tu m’abandonnes » en pensant à ce coulo d’Attia, mais la vérité, je chante comme une lessiveuse, alors, je préfère m’abstenir. Ça y est, j’suis arrivé là où le bon dieu, il a perdu ses pantoufles. Madame l’Afrique, presqu’elle m’applaudit d’avoir grimpé jusqu’en haut dans un style proche de Bahamontès sauf que moi, j’ai pas d’vélo.
Purée, le panorama ! Aujourd’hui, tout seul sur la colline, j’ai tout le temps d’admirer Bab El Oued qui se mire dans l’eau. Un tableau mieux que Picasso. Du bleu avec la mer et le ciel, du vert avec les cyprès et les pins qui entourent les  cimetières, du blanc avec les immeubles couronnés du rouge des terrasses, du jaune avec les stades de Saint-Eugène et Marcel Cerdan, la vérité, qu’est-ce tu veux de plus beau que cette palette de couleurs qui éclatent sous mes yeux ! Ça y est j’me prends pour un poète. C’est sans doute la solitude et la beauté du paysage qui me rendent tout gaga. Je suis le penseur de Rodin. Je tourne autour de la basilique comme une âme en peine. Le bruissement des cyprès sous le vent, ça me berce, presque je m’endors. Pendant que les amis y sommeillent devant le prof d’arabe, moi, châ, châ, je m’laisse bercer par la musique de la nature…..ba ba ba, le poète ! Ça m’rappelle une anecdote : après avoir lu une de mes rédactions, mon prof il avait rien trouvé de mieux que de me qualifier de poète. La rédaction suivante, il a compris que le poète, il avait existé que dans son imagination ! Evidemment, les amis ils en ont fait des gorges chaudes. Ce putain de phrasé francaoui, y me laisse pantois. Nous à Bab El Oued, on se contente de se bidonner au lieu d’en faire des gorges chaudes. N’importe quoi. Le pathos, il aime faire du genre quand y parle. Oh, pardon, quand il cause. Allez va chez Azrine, va !

Pour les amis, je suis un mac, dixit les babaos de ma classe. Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre mais au moins, j’les entendrais plus me gonfler les bonbons avec la question : Quand tu tapes cao ? 
Qu’est-ce que j’ai de plus maintenant, à part, le mauvais sang pour tenter d’expliquer mon absence au prof?
Mais ma parole, y doit avoir un bon dieu pour les fainéants comme moi : le professeur d’arabe littéraire, rien de mieux, il a trouvé d’être victime d’un attentat le lendemain matin. Presque les copains y croient que c’est moi, l’assassin
Aouah, j’suis un bloffeur mais pas un menteur.
Mais, pour une fois, la vérité, le bon dieu, il a bien fait les choses. Tellement qu’je suis content, que je promets de remettre le couvercle  si Roland y tape Cao  avec moi. Houlà ! Roland y préfère faire manca oura. Ce badjij, y sait pas que dans le langage de nous autres, taper cao, c’est la contraction de faire man-caou-ra.
--Ya r’mar que tié !
Et je lui explique en long, en large et en travers. C’est trop simple, rien y comprend, ce parote !
Si y continue, je vais l’affubler de tous les mots de la casbah judéo-arabe que je connais: parote, badjij, r’mar, torrène, brèle, babao,…..Et si ça lui suffit pas, il a qu’à demander à sa mère, qu’elle aussi, elle est de la rue Marengo. Mais aouah, rien y veut savoir et, surtout, pas question de taper cao. Il a raison, y sait que celui qui lui cherchera des poux dans la tête, y va comprendre sa douleur, ada ma canne et mon chapeau.
--Et pourquoi, tu m’as fait tout un cinéma pour que je tape cao, alors ?
Rien y répond. Y se bidonne, ce bâtard !
--Pour savoir jusqu’où pourrait aller ta connerie !
Un autre que lui, j’lui fais la tête au carré……. sauf s’il est plus fort que moi. Toujours, je plains les copains qui sont nuls à la bagarre. C’est vrai, raïeb, y en a qui essaient de se rebeller mais après une bagarre, y savent à quoi s’en tenir. Les autres, les intelligents y se débrouillent toujours pour faire ami avec les plus forts comme ça, châ, châ, personne y leur cherche des noises. Purée, à savoir si Roland, il est pas ami avec moi parce qu’en cas de danger, y peut compter sur moi. Ça y est, vous croyez que je joue les gros bras. D’abord, mes bras, y ressemblent à des spaghettis et ensuite, Roland, il a pas besoin de moi pour dobzer celui qui lui chercherait des poux dans la tête. (je vois la scène d’ici : attends, je vais chercher si tia des poux dans la tête avant de te donner une tlérah. Parce que, si macache les poux, on fait ami !) J’adore la langue française. Elle est faite pour les babaos comme moi qui sont toujours jamais contents. Je pourrais faire un dictionnaire des expressions françaises qui n’ont ni queue, ni tête mais qui veulent dire quelque chose. Comme cette phrase que je viens de pondre…..zarmah, je ponds….n’importe quoi. Allez va je préfère employer le pataouète. Au moins, là, je parle avec la bouche, avec les mains, en gesticulant, en gueulant si mon interlocuteur c’est un badjij. J’utilise des mots de chez nous en italien, en espagnol, en judéo-arabe et ça suffit à mon bonheur. Et là, pas besoin de répéter ou de taper des phrases à la mords-moi l’noeud ! Je sais que tout le monde va me  comprendre, même à demi-mot ! Le français, je l’utilise que pour les rédactions à l’école, un point, c’est tout !

*****


L’hébreu ça avance doucement, doucement. Baroukh ata adonaï, la communion, je la vois arriver à grands pas. Quant à Annie, elle s’est perdue dans les méandres de mon enfance. Même plus, je la calcule. C’est normal, où tu regardes, tu vois des petites les unes plus belles que les autres, sauf les vilaines. Comme elle dit ma mère, mieux une fille gentille et pas trop belle qu’une fille jolie mais souède. Zarmah, elle nous met en garde contre les belles sauf si elles sont d’une famille bien comme y faut. Alors là, tu peux lui faire confiance. Dans la bouche de ma mère, ça vaut tous les passeports du monde et des alentours. C’est que ses fils, c’est pas n’importe qui, marsek et maouatek ! Dans sa bouche, bien comme y faut, ça veut tout dire. Une fille de famille, qui sait travailler, coudre, cuisiner, faire les lits, pas souillon pour un sou et, condition siné qua none, qu’elle soit juive et si possible issue de la casbah. Si en plus, ses parents y sont de la rue Marengo, alors, là, c’est Byzance, le nec plus ultra.
--Manman, j’ai à peine treize ans moins le quart !
On se défend comme on peut quand ça commence à nous démanger sérieusement et qu’on sait plus quoi répondre à sa mère. Zarmah, avant de draguer une petite, je vais lui demander son curriculum vitae. Si elle est belle, qué j’m’en fiche si son père, il a la tota coupée ou non, si sa mère, elle est de Bab El Oued ou de Tombouctou ? Le principal, c’est qu’elle me laisse toucher ses tétés, non ? Je sais pas qu’est-ce qu’on a à mater les tétés des filles comme çà. Peu importe si elle marche à la six-quatre-deux, si elle est bichelaouère ou larmah, si elle a des blis-blis dans la tête, si elle bégaie……je pourrais continuer la description jusqu’à la crise de nerf du lecteur mais j’suis pas samote ou alors un p’tit chouïa, seulement ! Peu importe si elle est parota, tous les garçons qu’est-ce qu’on mate : les  tétés qui nous attirent comme la gomme arabique. Ouais, je sais, n’importe quel écrivain, il aurait écrit comme un aimant mais moi, je m’prends pas pour un écrivain et, en plus, j’aime la gomme arabique, j’ai l’droit d’écrire ce qu’je veux, non ! On est en démocratie !

Tonton Léon y me fait un costume. C’est pas pêché, ça parce que ce costume combien de fois j’vais le porter d’après vous ? Une fois et après, ma mère elle va le ranger dans l’armoire et ada ma canne et mon chapeau ! Un costume pour un bouznika comme moi, même en rêve, jamais, au grand jamais, j’l’aurais demandé à ma mère. Moi, si on m’écoute, je mets le jour de ma bar misvah un blue-jeans, des mocassins sans semelles, un alligator et basta ! La vérité, déjà, qu’on roule pas sur l’or, y a besoin d’un costume pour faire le zigoto. Le costume et la cravate, bouh, la honte ! Ma mère, elle est contente de pouvoir faire comme tout l’monde mais, la vérité, si faire comme tout l’monde c’est dépenser l’argent qu’on n’a pas, mieux, on se démarque de tout l’monde.
--Jacky, dis à manman, que je veux pas un costume. En plus, ce sera au mois de juin, on va mourir de chaleur……
--N’t’occupes  !
Depuis qu’je suis tout petit, j’entends ça : n’t’occupes ! Ya pas moyen de mettre mon grain de sel : n’t’occupes ! Je suis le petit, çuila qui a pas son mot à dire, qui compte pour du beurre. Mes frères y s’occupent de tout. Ferme-là et marche droit ! Ho, ho, ho, c’est ma communion, non ! Mon frère y fait les gros yeux, je rentre dans le rang, il en est ainsi depuis que mon père il a rejoint le pays du bon dieu. Ya un commandant et ses subalternes. (chof, même quand j’suis énervé, je sors les mots de l’armoire) Le frère ainé, chez nous, c’est sacré ! Il a tous les droits mais comme elle dit ma mère, il a aussi tous les devoirs. C’est lui qui règle les problèmes pour que ma mère, elle se fasse pas trop de mauvais sang. C’est comme ça et personne, il a rien à redire ou sinon, il lui casse la gueule ! Voilà pourquoi, j’obéis ! Mais quand même, je sais que j’ai raison !
Total, tout ce mauvais sang, j’me suis fait pour rien du tout : Tonton Léon y me fait cadeau le costume. Aouffa ! Ma mère elle est aux anges, elle va pouvoir se pâmer sur son frère, que plus gentil, plus beau et plus musclé que lui ya pas ! Yaré, ma mère !
Le costume je l’ai choisi gris anthracite, style Cary Grant. Zarmah, je deviens grand. Putain qu’est-ce que je donnerais pour rester petit ? Déjà que j’en ai marre d’aller au lycée alors, penser au service militaire, ça me donne la colique, sans parler des filles qu’elles m’empêchent de réfléchir tellement qu’elles sont belles. Comme elle dit ma mère, pas assez les copains qui l’empêchent de travailler, y a les filles qui lui tournent la tête…..

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