Le fameux jour de taper
cao au cours d’arabe littéraire, il est arrivé sans tambour ni
trompette. Je m’retrouve seul sur mon ile déserte. En effet, Attia, ce coulo, y
m’annonce pas, avec tambour et trompette,
qu’il se dégonfle. Moi, je pense remettre à demain c’que je peux faire le jour
même (selon le fameux proverbe) mais les copains, comme des sangsues, y me
gonflent les bonbons alors, à la guerre comme à la guerre, j’me jette à l’eau.
En plus, j’ai pas d’argent pour le cinéma. Où j’vais aller ? Putain, dès
une heure de l’après-midi, je rase les
murs pour monter à Notre Dame d’Afrique. L’homme invisible, c’est moi. J’suis
vraiment neuneu, hein !
Je passe devant la
campagne Oualid en me cachant parce que les Oualid, c’est de la famille
éloignée. Et ça grimpe, ça grimpe, achno jamais ça m’a paru si loin
quand je montais avec les amis. Je suis comme une âme en peine, un chien perdu
sans collier. Je pourrais chanter « Si
toi aussi tu m’abandonnes » en pensant à ce coulo d’Attia, mais la
vérité, je chante comme une lessiveuse, alors, je préfère m’abstenir. Ça y est,
j’suis arrivé là où le bon dieu, il a perdu ses pantoufles. Madame l’Afrique,
presqu’elle m’applaudit d’avoir grimpé jusqu’en haut dans un style proche de Bahamontès
sauf que moi, j’ai pas d’vélo.
Purée, le
panorama ! Aujourd’hui, tout seul sur la colline, j’ai tout le temps
d’admirer Bab El Oued qui se mire dans l’eau. Un tableau mieux que Picasso. Du
bleu avec la mer et le ciel, du vert avec les cyprès et les pins qui entourent
les cimetières, du blanc avec les
immeubles couronnés du rouge des terrasses, du jaune avec les stades de
Saint-Eugène et Marcel Cerdan, la vérité, qu’est-ce tu veux de plus beau que
cette palette de couleurs qui éclatent sous mes yeux ! Ça y est j’me
prends pour un poète. C’est sans doute la solitude et la beauté du paysage qui me
rendent tout gaga. Je suis le penseur de Rodin. Je tourne autour de la
basilique comme une âme en peine. Le bruissement des cyprès sous le vent, ça me
berce, presque je m’endors. Pendant que les amis y sommeillent devant le prof
d’arabe, moi, châ, châ, je m’laisse bercer par la musique de la nature…..ba ba
ba, le poète ! Ça m’rappelle une anecdote : après avoir lu une
de mes rédactions, mon prof il avait rien trouvé de mieux que de me qualifier de
poète. La rédaction suivante, il a compris que le poète, il avait existé que
dans son imagination ! Evidemment, les amis ils en ont fait des gorges
chaudes. Ce putain de phrasé francaoui, y me laisse pantois. Nous à Bab El
Oued, on se contente de se bidonner au lieu d’en faire des gorges chaudes.
N’importe quoi. Le pathos, il aime faire du genre quand y parle. Oh, pardon,
quand il cause. Allez va chez Azrine, va !
Pour les amis, je suis
un mac, dixit les babaos de ma classe. Ça m’en touche une sans faire bouger
l’autre mais au moins, j’les entendrais plus me gonfler les bonbons avec la
question : Quand tu tapes cao ?
Qu’est-ce que j’ai de
plus maintenant, à part, le mauvais sang pour tenter d’expliquer mon absence au
prof?
Mais ma parole, y
doit avoir un bon dieu pour les fainéants comme moi : le professeur d’arabe
littéraire, rien de mieux, il a trouvé d’être victime d’un attentat le
lendemain matin. Presque les copains y croient que c’est moi, l’assassin
Aouah, j’suis un bloffeur mais pas un menteur.
Mais, pour une
fois, la vérité, le bon dieu, il a bien fait les choses. Tellement qu’je suis
content, que je promets de remettre le couvercle si Roland y tape Cao avec moi. Houlà ! Roland y préfère faire
manca
oura. Ce badjij, y sait pas que dans le langage de nous autres, taper
cao, c’est la contraction de faire man-caou-ra.
--Ya r’mar que
tié !
Et je lui explique
en long, en large et en travers. C’est trop simple, rien y comprend, ce
parote !
Si y continue, je
vais l’affubler de tous les mots de la casbah judéo-arabe que je connais:
parote, badjij, r’mar, torrène, brèle, babao,…..Et si ça lui suffit pas, il a
qu’à demander à sa mère, qu’elle aussi, elle est de la rue Marengo. Mais aouah,
rien y veut savoir et, surtout, pas question de taper cao. Il a raison, y sait
que celui qui lui cherchera des poux dans la tête, y va comprendre sa douleur, ada
ma canne et mon chapeau.
--Et pourquoi, tu m’as fait tout un cinéma
pour que je tape cao, alors ?
Rien y répond. Y se
bidonne, ce bâtard !
--Pour savoir jusqu’où pourrait aller ta
connerie !
Un autre que lui,
j’lui fais la tête au carré……. sauf s’il est plus fort que moi. Toujours, je
plains les copains qui sont nuls à la bagarre. C’est vrai, raïeb, y en a qui
essaient de se rebeller mais après une bagarre, y savent à quoi s’en tenir. Les
autres, les intelligents y se débrouillent toujours pour faire ami avec les
plus forts comme ça, châ, châ, personne y leur cherche
des noises. Purée, à savoir si Roland, il est pas ami avec moi parce qu’en cas
de danger, y peut compter sur moi. Ça y est, vous croyez que je joue les gros
bras. D’abord, mes bras, y ressemblent à des spaghettis et ensuite, Roland, il
a pas besoin de moi pour dobzer celui qui lui chercherait des
poux dans la tête. (je vois la scène d’ici : attends, je vais chercher si tia
des poux dans la tête avant de te donner une tlérah. Parce que, si
macache les poux, on fait ami !) J’adore la langue française. Elle est
faite pour les babaos comme moi qui sont toujours jamais contents. Je pourrais
faire un dictionnaire des expressions françaises qui n’ont ni queue, ni tête
mais qui veulent dire quelque chose. Comme cette phrase que je viens de
pondre…..zarmah, je ponds….n’importe quoi. Allez va je préfère employer
le pataouète. Au moins, là, je parle avec la bouche, avec les mains, en
gesticulant, en gueulant si mon interlocuteur c’est un badjij. J’utilise des
mots de chez nous en italien, en espagnol, en judéo-arabe et ça suffit à mon
bonheur. Et là, pas besoin de répéter ou de taper des phrases à la
mords-moi l’noeud ! Je sais que tout le monde va me comprendre, même à demi-mot ! Le
français, je l’utilise que pour les rédactions à l’école, un point, c’est
tout !
*****
L’hébreu ça avance doucement, doucement. Baroukh
ata adonaï, la communion, je la vois arriver à grands pas. Quant à Annie, elle
s’est perdue dans les méandres de mon enfance. Même plus, je la calcule. C’est
normal, où tu regardes, tu vois des petites les unes plus belles que les
autres, sauf les vilaines. Comme elle dit ma mère, mieux une fille gentille et
pas trop belle qu’une fille jolie mais souède. Zarmah, elle nous met en
garde contre les belles sauf si elles sont d’une famille bien comme y faut. Alors là, tu peux lui faire confiance. Dans la
bouche de ma mère, ça vaut tous les passeports du monde et des alentours. C’est
que ses fils, c’est pas n’importe qui, marsek et maouatek ! Dans sa
bouche, bien comme y faut, ça veut tout dire. Une fille de famille, qui sait
travailler, coudre, cuisiner, faire les lits, pas souillon pour un sou et,
condition siné qua none, qu’elle soit juive et si possible issue de la casbah.
Si en plus, ses parents y sont de la rue Marengo, alors, là, c’est Byzance, le
nec plus ultra.
--Manman, j’ai à peine treize ans moins le quart !
On se défend comme on peut quand ça commence à nous
démanger sérieusement et qu’on sait plus quoi répondre à sa mère. Zarmah,
avant de draguer une petite, je vais lui demander son curriculum vitae. Si elle
est belle, qué j’m’en fiche si son père, il a la tota coupée ou non, si sa
mère, elle est de Bab El Oued ou de Tombouctou ? Le principal, c’est qu’elle
me laisse toucher ses tétés, non ? Je sais pas qu’est-ce qu’on a à mater
les tétés des filles comme çà. Peu importe si elle marche à la six-quatre-deux,
si elle est bichelaouère ou larmah, si elle a des blis-blis
dans la tête, si elle bégaie……je pourrais continuer la description jusqu’à la
crise de nerf du lecteur mais j’suis pas samote ou alors un p’tit
chouïa, seulement ! Peu importe si elle est parota, tous les garçons qu’est-ce qu’on mate : les tétés qui nous attirent comme la gomme
arabique. Ouais, je sais, n’importe quel écrivain, il aurait écrit comme un
aimant mais moi, je m’prends pas pour un écrivain et, en plus, j’aime la gomme
arabique, j’ai l’droit d’écrire ce qu’je veux, non ! On est en
démocratie !
Tonton Léon y me fait un costume.
C’est pas pêché, ça parce que ce costume combien de fois j’vais le porter
d’après vous ? Une fois et après, ma mère elle va le ranger dans l’armoire
et ada
ma canne et mon chapeau ! Un costume pour un bouznika comme moi, même
en rêve, jamais, au grand jamais, j’l’aurais demandé à ma mère. Moi, si on
m’écoute, je mets le jour de ma bar misvah un blue-jeans, des
mocassins sans semelles, un alligator et basta ! La vérité, déjà, qu’on
roule pas sur l’or, y a besoin d’un costume pour faire le zigoto. Le costume et la
cravate, bouh, la honte ! Ma mère, elle est contente de pouvoir
faire comme tout l’monde mais, la vérité, si faire comme tout l’monde c’est
dépenser l’argent qu’on n’a pas, mieux, on se démarque de tout l’monde.
--Jacky, dis à manman, que je veux pas un costume. En plus, ce sera au
mois de juin, on va mourir de chaleur……
--N’t’occupes !
Depuis qu’je suis tout petit, j’entends ça :
n’t’occupes ! Ya pas moyen de mettre mon grain de sel :
n’t’occupes ! Je suis le petit, çuila qui a pas son mot à dire, qui compte
pour du beurre. Mes frères y s’occupent de tout. Ferme-là et marche
droit ! Ho, ho, ho, c’est ma communion, non ! Mon frère y fait les
gros yeux, je rentre dans le rang, il en est ainsi depuis que mon père il a
rejoint le pays du bon dieu. Ya un commandant et ses subalternes. (chof,
même quand j’suis énervé, je sors les mots de l’armoire) Le frère ainé, chez
nous, c’est sacré ! Il a tous les droits mais comme elle dit ma mère, il a
aussi tous les devoirs. C’est lui qui règle les problèmes pour que ma mère,
elle se fasse pas trop de mauvais sang. C’est comme ça et personne, il a rien à
redire ou sinon, il lui casse la gueule ! Voilà pourquoi, j’obéis !
Mais quand même, je sais que j’ai raison !
Total, tout ce mauvais sang, j’me suis fait pour
rien du tout : Tonton Léon y me fait cadeau le costume. Aouffa !
Ma mère elle est aux anges, elle va pouvoir se pâmer sur son frère, que plus
gentil, plus beau et plus musclé que lui ya pas ! Yaré, ma mère !
Le costume je l’ai choisi gris anthracite, style
Cary Grant. Zarmah, je deviens grand. Putain qu’est-ce que je donnerais
pour rester petit ? Déjà que j’en ai marre d’aller au lycée alors, penser
au service militaire, ça me donne la colique, sans parler des filles qu’elles
m’empêchent de réfléchir tellement qu’elles sont belles. Comme elle dit ma
mère, pas assez les copains qui l’empêchent de travailler, y a les filles qui
lui tournent la tête…..
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