dimanche 3 avril 2016

Extrait de mon dernier ouvrage " ECRIRE POUR EXISTER "



Quand le ciel se couvrait de rides hivernales, Simon s’enfermait dans sa prison personnelle.
Le silence devenait, alors,  son complice. Assis à l’intérieur d’un café, il regardait le déluge s’abattre sur sa vie. Dans la salle enfumée par quelques braillards tirant sur leurs pipes recourbées, il écoutait le clapotis des gouttes sur l’auvent sans faire attention au brouhaha qui l’environnait.

Il pensait le moins possible.

Il essayait d’oublier celui qu’il fut afin de  faire la paix avec lui-même. Oublier celui qu’il fut et qu’il ne sera  plus. Oublier  le miroir aux alouettes. Adopter le nouveau Simon. Sans cela, point de salut.

Parfois, son pays, son quartier, sa maison caressaient sa mémoire. Le bonheur entrait, alors, sans façon dans son univers, le violait pour un instant de volupté. Des images bienheureuses effleuraient son passé, petite blonde au regard violent qui traça le sillon d’un amour d’enfance,  bar misvah, entouré de sa famille, de ses amis, de ses chers disparus, cabanon maritime au soleil d’été qui lui offrit  sa première  expérience dans les bras d’une jolie sirène, -enfer ou paradis-, il se le demande encore. La vision d’autrefois lui apportait des souvenirs effacés de sa mémoire. Vision trouble, images pastelles aux senteurs  de méditerranée. Réminiscences d’un monde disparu qui renaissait chaque soir à la tombée de la nuit. Qu’il chassait en allumant le bouton de l’étrange lucarne qui lui renvoyait le spectacle d’une actualité dont il était exclu.

Plus rien ne l’intéressait. Il manquait d’envie. Il lui arrivait souvent de sombrer dans une douce mélancolie. Mélancolie d’un passé qui lui collait à la peau, qu’il ne parvenait pas à envoyer balader d’un revers de main, Alger, Suzy, son métier de photographe, son handicap, c’était beaucoup trop pour un seul homme.

Il préférait s’isoler, loin des gens bien portants qui amplifient leurs petites misères  en oubliant qu’à leurs portes, d’autres angoisses  existent.

Chacun pour soi et  Dieu pour tous était leur leitmotiv.

Et pourtant, sa machine à écrire s’emballait parfois pour un souvenir de jeunesse qui lui ravissait le cœur. Une empoignade l’attirait irrésistiblement vers le paradis des années perdues et sa mémoire remontait allègrement le fleuve de l’insouciance. Avant que la source ne se tarisse, il voyageait, le cœur léger, en pays de nostalgie à la recherche d’instants dispersés dans les méandres de ses souvenirs. Lorsque la montre du temps passé s’arrêtait, il redevenait l’homme au corps mutilé et au cœur blessé.



Afin de s’améliorer aussi bien dans la tournure des phrases que grammaticalement, Simon se mit en tête de lire de grands classiques de la littérature contemporaine. L’éventail lui parut si vaste qu’il se borna à disséquer les grands auteurs américains. Faulkner, Steinbeck,  Fitzgerald et Williams auxquels il ajouta Albert Camus plus par chauvinisme - Camus est né en Algérie - que par goût.  
L’image de cet homme qui fréquenta le journal communiste Alger-républicain dont le siège se trouvait rue  Kœchlin  face à l’immeuble où Simon habitait l’accompagna tout au long de sa lecture?  Il revoyait ce journaliste, qui, du haut  de sa fenêtre, assistait au match de football que disputaient les gosses du quartier. Oui, il se souvenait d’Albert Camus au visage émacié et au costume fatigué en lisant Noces.

Lorsqu’il commença la lecture de Noces, il pensa à ce douloureux souvenir  d’enfance. Ce jour-là, il dut  rester  sur les bancs de  l’école alors que ses camarades partaient en excursion vers  le tombeau  de la chrétienne à Tipaza qui se trouvait à soixante-dix kilomètres d’Alger. Simon demanda les quelques sous pour être de l’expédition comme les autres élèves. Hélas, le porte-monnaie désargenté de sa mère s’avoua vaincu. Adieu la balade en autobus, la liberté, la visite du site archéologique et du fameux tombeau de la chrétienne. Mais la pire punition fut la description idyllique qu’en fit le directeur afin d’inciter les élèves  à faire la promotion de l’excursion auprès de leurs parents.



La solitude lui pesait bien plus qu’il ne le  laissait paraitre à son entourage, bien maigre, il est vrai.  Seul,  Roland savait mais il taisait la vérité en omettant volontairement de parler du vide qui s’était créé autour de Simon. Une vérité qui prenait de plus en plus d’importance au fur et à mesure  que s’égrainaient ses jours de pluie.

Il n’avait plus le gout de rire, de manger, d’exister. Sa vie lui paraissait inutile. Il écrivait certes mais ses  heures  s’effilochaient comme la laine sur le rouet.

Il n’était  pas écrivain. Il alignait ses souvenirs pour attendre la fin du jour. Là, dans la pénombre de sa chambre, il tentait d’oublier le garçon ambitieux, le journaliste  qui jouait sa vie à la roulette de la vie et de la mort, qui jonglait avec les filles sans cesser de penser au scoop, qui fut harponné par une enfant gâtée par la vie dont le renoncement fut le symbole de sa déchéance.

Oublier pour écrire. Ecrire pour exister. Exister pour aimer à nouveau.  Aimer, être aimé, se lever chaque matin et se dire que la journée sera belle simplement par le sourire  d’une divine demoiselle. Que serait la vie sans amour ? Il connaissait la réponse. Plus que tout autre. Chaque jour lui parlait d’autrefois. Le matin, dès qu’il se levait, une question revenait sans cesse. Pourquoi moi ? Oui, pourquoi lui ! Sans doute parce qu’il n’avait pas su prendre le virage de son existence au bon moment. Sa mère le répétait souvent : Pourquoi courir le monde alors que le bonheur se trouve peut-être à deux pas ? Une femme à aimer, deux ou trois enfants qui allumeraient de rires sa maison, que demander de plus à la vie. Il faut croire que la perte de l’Algérie l’avait à ce point traumatisé qu’il avait préféré courir le monde plutôt que de poser ses valises  dans un port d’attache inconnu certes mais autrement plus sécurisant que les paysages en feu qu’il avait croisés.



La pluie traversait le ciel. Lui, l’enfant du soleil, en arrivait à préférer le temps maussade. Lorsque la grisaille s’installait sur la ville, chacun se calfeutrait chez soi. Les gens renonçaient à la flânerie, les terrasses des cafés du port étaient désertes, le bord de mer s’ennuyait. Simon en oubliait sa souffrance. Il n’était plus seul à trouver le temps long, à ronchonner après tout, à attendre on ne sait quoi. Il s’ennuyait.

Et pourtant, il écrivait le matin et l’après-midi.

Certains pourraient penser que l’ennui lui était inconnu. Qu’il écrivait par plaisir, par envie. Qu’il courait les récompenses et   les prix comme tous les écrivains de la terre. 

Ils ignoraient, les bons apôtres, qu’il écrivait pour passer le temps et qu’aucune récompense au monde ne possédait le pouvoir de le satisfaire. De lui faire oublier le pantin désarticulé que lui renvoyait le regard du promeneur.

Quand le souvenir  des images d’autrefois fermait les portes de sa mémoire,  il noircissait  des pages inutiles. Peut-être l’ébauche d’un deuxième ouvrage sur  sa solitude et son mal de vivre. A savoir !


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