Quand
le ciel se couvrait de rides hivernales, Simon
s’enfermait dans sa prison personnelle.
Le
silence devenait, alors, son complice.
Assis à l’intérieur d’un café, il regardait le déluge s’abattre sur sa vie.
Dans la salle enfumée par quelques braillards tirant sur leurs pipes recourbées,
il écoutait le clapotis des gouttes sur l’auvent sans faire attention au
brouhaha qui l’environnait.
Il
pensait le moins possible.
Il
essayait d’oublier celui qu’il fut afin de faire la paix avec lui-même. Oublier celui
qu’il fut et qu’il ne sera plus. Oublier le miroir aux alouettes. Adopter le nouveau
Simon. Sans cela, point de salut.
Parfois,
son pays, son quartier, sa maison caressaient sa mémoire. Le bonheur entrait,
alors, sans façon dans son univers, le violait pour un instant de volupté. Des
images bienheureuses effleuraient son passé, petite blonde au regard violent
qui traça le sillon d’un amour d’enfance, bar misvah, entouré de sa famille, de ses
amis, de ses chers disparus, cabanon maritime au soleil d’été qui lui
offrit sa première expérience dans les bras d’une jolie sirène, -enfer
ou paradis-, il se le demande encore. La vision d’autrefois lui apportait des souvenirs
effacés de sa mémoire. Vision trouble, images pastelles aux senteurs de méditerranée. Réminiscences d’un monde
disparu qui renaissait chaque soir à la tombée de la nuit. Qu’il chassait en
allumant le bouton de l’étrange lucarne qui lui renvoyait le spectacle d’une
actualité dont il était exclu.
Plus
rien ne l’intéressait. Il manquait d’envie. Il lui arrivait souvent de sombrer
dans une douce mélancolie. Mélancolie d’un passé qui lui collait à la peau,
qu’il ne parvenait pas à envoyer balader d’un revers de main, Alger, Suzy, son
métier de photographe, son handicap, c’était beaucoup trop pour un seul homme.
Il
préférait s’isoler, loin des gens bien portants qui amplifient leurs petites
misères en oubliant qu’à leurs portes,
d’autres angoisses existent.
Chacun
pour soi et Dieu pour tous était leur
leitmotiv.
Et
pourtant, sa machine à écrire s’emballait parfois pour un souvenir de jeunesse
qui lui ravissait le cœur. Une empoignade l’attirait irrésistiblement vers le
paradis des années perdues et sa mémoire remontait allègrement le fleuve de
l’insouciance. Avant que la source ne se tarisse, il voyageait, le cœur léger,
en pays de nostalgie à la recherche d’instants dispersés dans les méandres de
ses souvenirs. Lorsque la montre du temps passé s’arrêtait, il redevenait
l’homme au corps mutilé et au cœur blessé.
Afin de s’améliorer aussi bien dans la tournure des
phrases que grammaticalement, Simon se mit en tête de lire de grands classiques
de la littérature contemporaine. L’éventail lui parut si vaste qu’il se borna à
disséquer les grands auteurs américains. Faulkner, Steinbeck, Fitzgerald et Williams auxquels il ajouta
Albert Camus plus par chauvinisme - Camus est né en Algérie - que par goût.
L’image de cet homme qui fréquenta le journal communiste Alger-républicain dont le siège se trouvait rue Kœchlin face à l’immeuble où Simon habitait l’accompagna tout au long de sa lecture? Il revoyait ce journaliste, qui, du haut de sa fenêtre, assistait au match de football que disputaient les gosses du quartier. Oui, il se souvenait d’Albert Camus au visage émacié et au costume fatigué en lisant Noces.
L’image de cet homme qui fréquenta le journal communiste Alger-républicain dont le siège se trouvait rue Kœchlin face à l’immeuble où Simon habitait l’accompagna tout au long de sa lecture? Il revoyait ce journaliste, qui, du haut de sa fenêtre, assistait au match de football que disputaient les gosses du quartier. Oui, il se souvenait d’Albert Camus au visage émacié et au costume fatigué en lisant Noces.
Lorsqu’il commença
la lecture de Noces, il pensa à ce douloureux souvenir d’enfance. Ce jour-là, il dut rester sur
les bancs de l’école alors que ses
camarades partaient en excursion vers le
tombeau de la chrétienne à Tipaza qui se
trouvait à soixante-dix kilomètres d’Alger. Simon demanda les quelques sous
pour être de l’expédition comme les autres élèves. Hélas, le porte-monnaie
désargenté de sa mère s’avoua vaincu. Adieu la balade en autobus, la liberté,
la visite du site archéologique et du fameux tombeau de la chrétienne. Mais la
pire punition fut la description idyllique qu’en fit le directeur afin
d’inciter les élèves à faire la
promotion de l’excursion auprès de leurs parents.
La solitude lui
pesait bien plus qu’il ne le laissait
paraitre à son entourage, bien maigre, il est vrai. Seul,
Roland savait mais il taisait la vérité en omettant volontairement de
parler du vide qui s’était créé autour de Simon. Une vérité qui prenait de plus
en plus d’importance au fur et à mesure
que s’égrainaient ses jours de pluie.
Il n’avait plus le
gout de rire, de manger, d’exister. Sa vie lui paraissait inutile. Il écrivait
certes mais ses heures s’effilochaient comme la laine sur le rouet.
Il n’était pas écrivain. Il alignait ses souvenirs pour
attendre la fin du jour. Là, dans la pénombre de sa chambre, il tentait d’oublier
le garçon ambitieux, le journaliste qui
jouait sa vie à la roulette de la vie et de la mort, qui jonglait avec les
filles sans cesser de penser au scoop, qui fut harponné par une enfant gâtée
par la vie dont le renoncement fut le symbole de sa déchéance.
Oublier pour écrire.
Ecrire pour exister. Exister pour aimer à nouveau. Aimer, être aimé, se lever chaque matin et se
dire que la journée sera belle simplement par le sourire d’une divine demoiselle. Que serait la vie
sans amour ? Il connaissait la réponse. Plus que tout autre. Chaque jour
lui parlait d’autrefois. Le matin, dès qu’il se levait, une question revenait
sans cesse. Pourquoi moi ? Oui, pourquoi lui ! Sans doute parce qu’il
n’avait pas su prendre le virage de son existence au bon moment. Sa mère le
répétait souvent : Pourquoi courir le monde alors que le bonheur se trouve
peut-être à deux pas ? Une femme à aimer, deux ou trois enfants qui
allumeraient de rires sa maison, que demander de plus à la vie. Il faut croire
que la perte de l’Algérie l’avait à ce point traumatisé qu’il avait préféré
courir le monde plutôt que de poser ses valises
dans un port d’attache inconnu certes mais autrement plus sécurisant que
les paysages en feu qu’il avait croisés.
La pluie traversait
le ciel. Lui, l’enfant du soleil, en arrivait à préférer le temps maussade.
Lorsque la grisaille s’installait sur la ville, chacun se calfeutrait chez soi.
Les gens renonçaient à la flânerie, les terrasses des cafés du port étaient
désertes, le bord de mer s’ennuyait. Simon en oubliait sa souffrance. Il
n’était plus seul à trouver le temps long, à ronchonner après tout, à attendre
on ne sait quoi. Il s’ennuyait.
Et pourtant, il
écrivait le matin et l’après-midi.
Certains pourraient
penser que l’ennui lui était inconnu. Qu’il écrivait par plaisir, par envie. Qu’il
courait les récompenses et les prix
comme tous les écrivains de la terre.
Ils ignoraient, les
bons apôtres, qu’il écrivait pour passer le temps et qu’aucune récompense au
monde ne possédait le pouvoir de le satisfaire. De lui faire oublier le pantin
désarticulé que lui renvoyait le regard du promeneur.
Quand le
souvenir des images d’autrefois fermait les
portes de sa mémoire, il noircissait des pages inutiles. Peut-être l’ébauche d’un
deuxième ouvrage sur sa solitude et son
mal de vivre. A savoir !
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