mardi 12 janvier 2016

Extrait de MON ENFANCE A L'ESPLANADE de Hubert Zakine

 
Nous autres, rien qu'on étaient des intelligents! D'ailleurs, les collèges et les lycées de Bab El Oued, où y se trouvaient? Je vous le donne en mille! A l'Esplanade.
C'était là que que les futurs bacheliers y z' apprenaient comment on devient ingénieurs, docteurs, avocats ou balèzes des ponts et chaussée.
Le collège Guillemin, le lycée Lazerges et le fin du fin, le lycée Bugeaud où même Albert Camus il a étudié. Ba ba ba! On dirait que les bâtisseurs de ces écoles y savaient que les intelligents y z'allaient habiter mon quartier!
Vous me direz: toi qui traînais toute la sainte journée au jardin Guillemin ou à Padovani, pourquoi tu fais pas partie des forts en thème de la tête?
Je réponds tout simplement que moi, messieurs les ignares, je voulais pas faire la honte à la figure à mes amis qui habitaient les autres quartiers!
En plusse, j'étais hors concours tellement je tapais cao ! Faire manqua oura, pour moi c'était comme une seconde nature! École buissonnière à la vie, à la mort!
Vous aurez beau chercher dans tous les guides de Bab El Oued, jamais, vous trouverez un collège ou lycée dans les autres secteurs du faubourg ; à la rigueur, des cours complémentaires!
Bouh, là, à tous les coups, les copains y vont sortir leurs pistolets à plomb pour faire un carton sur moi! Comme y dit un de mes amis de l'Esplanade, si tch'as peur, n'as pas peur! C'est que ces pistolets à plomb avec cinq membranes, ça faisait un de ces mal (ouais, je sais un mal, des maux! Quels samotes, ces lecteurs!)
Mais quand même, quand même, à part qu'on se tapaient à la bagarre, aux noyaux, aux tchappes et au foot, on aimait bien se balader sur l'avenue des bons copains. Et même si on habitait l'Esplanade, on était pas les derniers à taper l'andar et venir sur l'avenue de la Bouzaréah, pour mater les jolies filles comme tout le monde. Bab El Oued, c'était chez nous!
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On était des fous de cinéma, (Marignan, Majestic, les Variétés, la Perle, le Plaza, le Lynx, le Trianon, le Rialto) mais celui qu'on préférait, nous les jeunes de l'Esplanade, c'était le Mon Ciné qui passait films de cow-boys sur films de cape et d'épée.
Même les autres chitanes des quartiers que, zarmah y z'étaient pas off limits, y rappliquaient parce que le Mon Ciné il était le moins cher de Bab El Oued. Limits ou off limits!
On était des chitanes qui savaient pas jouer sans se traîner par terre, même que nos mères, sans arrêt, elles raccommodaient nos pantalons courts quand c'était pas nos genoux.
Mais avant d' aller au jardin Guillemin ou avenue de la Bouzaréah, on montait se changer à la maison. Zarmah, on se lavait la figure un p'tit chouïa, on se faisait la raie bien droite dans la tignasse qui nous servait de cheveux, et en avant nous autres pour aller draguer les petites. Notre regard de velours y faisait le reste sauf si on était bichelaouères. Le trottoir de droite pour les garçons et les petites au regard fuyant sur le trottoir de gauche. Et en avant la grande parade des apprentis dragueurs.
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Ma rue, c'était la rue Thuillier. Elle était coincée entre l'avenue Malakoff et la rue Rochambeau. Tout au long des deux trottoirs, les champions du jeu des noyaux y s'agglutinaient en proposant leur plus petit noyau appelée tapette aux viseurs sachant viser. Les moins laouères y dégommaient la tapette pour gagner dix, vingt ou trente noyaux (plus le challenge, il était difficile et plus le lot de noyaux gagnés il était important).
Cette rue elle était le domaine des chitanes en culottes courtes qui s'adonnaient aux jeux d'enfants, toupie, savate, tchapp's, matches de tête dans une entrée de maison, taouète, papa vinga, carrioles etc......
Mais avec le jardin qui la jouxtait, on la délaissait aux grand soulagement des riverains. La particularité de ma rue était connue des tous ses habitants et seulement de ses habitants. En effet, contrairement aux édifices traditionnels, deux immeubles y tapaient la feinte en possédant une double entrée. Comme si les architectes y savaient que les chitanes de l'Esplanade, c'était voyou et compagnie ! Ainsi, dès qu'un agent de police y se pointait, on se taillait par la rue Thuillier et on ressortait rue Rochambeau ou avenue Malakoff. La classe. Ni vu, ni connu ! Encore aujourd'hui, les agents (on disait pas flic à l'époque) contrairement à la grande Zohra, y z'ont rien compris !
Attention, on était pas des gangsters. Raïeb de nous, on cassait pas trois pattes à un canard mais que des carreaux sans faire exprès, en se prenant pour Kopa, Fontaine et consort. Total, on jouait au foot comme des unijambistes.
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Un p'tit chouïa d'érudition pour ceux qui veulent pas mourir idiot ! Napoléon III qu'il était venu à Alger en 1861, il avait demandé à sa femme l'impératrice Eugénie d'aller voir si là-bas, il y était ! Elle avait du lui casser les bonbons ! Alors, elle s'est promenée dans les rues et elle a attrapé une insolation. Obligé, la pauvrette, elle avait dû oublier son ombrelle chochotte. A savoir ce qu'elle a fait à son empereur de mari pour regagner ses grâces, toujours est-il (ne croyez pas que je parle toujours comme ça, hein!) qu'elle a demandé à l'empereur de planter des arbres parce que, décidément, y avait trop de soleil, en Algérie.
Qu'est-ce qu'elle croyait, celle là-là ? Qu'en l'Algérie, y faisait un temps pourri comme à Paris ! Et mon empereur, cucu la praline comme tout, il a dessiné lui même les trouées des boulevards Laferrière et Général Farre futur Guillemin avec plein d'ombres et une tonne de verdure. Et voilà, l'histoire du jardin Guillemin! Ça vous en bouche un coin, hein ?
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Napoléon, c'est bien joli à Paris mais nous, à l'Esplanade, on avait aussi, quelques Empereurs. Prenez Antoine Espig qui s'installe rue Delacroix en 1876 pour le commerce du safran importé d'Espagne. De fil en aiguille, la famille crée la marque du fameux safran Spigol que tout le monde s'arrache et, pas seulement, en Algérie. C'est comme Grosoli, l'empereur du créponné, des tranches napolitaines et des bombes glacées où vous croyez qu'il s'est installé? Rue Lazerges, à l'Esplanade! Et le vin ne sera pas Monserrat comme le chante le fameux slogan mais le Royal Kébir de Frederic Lung même que ses entrepôts y sont situés au 9 avenue Malakoff. Idem pour les sommiers Royal indéformables, inusables et solides qui font concurrence aux sommiers Mondial.
Le Majestic qui appartient au maltais Seiberras (chof, l'érudition!) c'est paraît-il, le plus grand cinéma de France, et peut-être d'Europe et tant qu'on y est, pourquoi pas, du monde! Albert Yvel, enfant de Bab El Oued, y décroche son premier titre européen des poids lourds contre l’Espagnol Paco Bueno sur la scène du Majestic puis conserve sa couronne en 1947 au stade de Saint-Eugène contre l’Italien Tontini, au milieu d’une cohue indescriptible. Purée, qu'est-ce qu'on est fort à l'Esplanade.
Le sport, c'était la raison de vivre de la jeunesse. Les clubs y poussent comme des champignons: l’Elan de Bab El Oued, Pro Patria, C.C.B.E.O. club cycliste de bab el oued même que Hubert Ferrer, il a tapé quelques tours de France, Algeria Sports, Footbal Club Rochambeau où Marcel Salva il a fait ses premiers pas, Sporting Club Algerois, le fameux Spadegna, équipe des porteurs d’espadrilles, Joyeuse Union Algeroise, Racing Club Nelson, Sport Athletique Bab El Oued, Volley Club Habitations Bon Marche, j'en passe et des meilleurs.
C’est en 1949 que le stade Marcel Cerdan il est inauguré à la Consolation. Alphonse Halimi, apprenti-tailleur, chez mon oncle, y rangera définitivement son aiguille d’apiéceur et sa pelote d’épingles avant de donner une véritable tlérah à l’italien Mario D’Agata pour devenir champion du monde des poids coqs.
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A l'Esplanade, comme dans tout Bab El Oued, on aimait les vivants et on respectait les morts. A cause de la fameuse impératrice, vous savez celle qui gonflait les bonbons de Napoléon III, la percée qui aboutissait aux Bains des Familles délogea les anciens cimetières de l’Esplanade. Après un tcherklala pas possible entre les propriétaires de terrain, les promoteurs et les profiteurs, le projet vit le jour en 1880 grâce à la confiscation municipale d'un terrain appartenant à la famille Oualid, à Saint-Eugène, limitrophe de Bab El Oued. Limitrophe ou off-limits, that's the question?

1 commentaire:

  1. Merci pour cete description fidèle du quartier de mon enfance l'Esplanae de1945 à 1962.

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