RICHARD
Richard la regardait. Toute en féminité, elle attirait
les regards masculins. Si autrefois, se promener au bras d’une jolie fleur le
flattait, il éprouvait une certaine gêne de paraître le vilain petit canard
auprès de cette délicate personne.
--Vous avez un
petit ami?
La question la surprit mais pas autant que lui d’avoir
osé la poser.
Avec un sourire adorable, sans un mot, elle ferma les
yeux et hocha la tête de droite à gauche.
--Vous n’avez
personne?
--Non! J’attends le
prince charmant, tout simplement! Répondit Marie
avec une pointe de malice.
--C’est très
étonnant. Les hommes sont aveugles ou
imbéciles.
--Qui sait, je suis
peut-être trop difficile.
--Être difficile,
ce n’est pas un défaut……. Je me suis rangé depuis si longtemps que je ne sais plus comment les jeunes réagissent
devant l’amour…………….
-- C’est toujours
la même rengaine. Hier comme aujourd’hui, l’amour est volatile. Si on n’y prend
pas garde, il s’en va sans qu’on s’en
rende compte. Alors, avec l’expérience, je préfère prendre mon temps.
-- Le temps passe
si vite, petite Marie!
Chaque fois qu’il se retrouvait seul, il ne pouvait détacher son esprit du regard azuré de Marie.
Il savait la blessure qui l’avait marquée si gravement. La force de l’amour qu’elle portait à son père
lui semblait comparable à la pureté de celui qu’il vouait à sa mère. A la
première confession, il avait compris son mal, blessure si profonde et si
difficile à cicatriser. En taisant ses
propres tourments, il avait écouté sa
peine. Mais il savait bien que la douleur est égoïste. Elle ne se partage pas.
Ne se quantifie pas. Même pour celui qui sait regarder. Comment évaluer une
douleur? Il se souvenait des mères musulmanes qui s’arrachent le visage devant
la mort. Il se remémorait les mamans pieds
noirs dans leurs vêtements endeuillés. Ressentaient-elles la même douleur?
Bien sûr que oui!
L’image de Marie lui revenait tel un boomerang quand il
tentait de la chasser de son esprit.
Il est vrai que les raisons de s’épancher sur des moments
de grâce n’étaient pas légion. Mais chaque fois, la sagesse l’emportait. A quoi
bon rêver! Sa voie était toute tracée. Enfermé dans sa solitude, il devait
faire face. C’était cela ou le néant. Vivre au jour le jour. Ne pas se poser de
questions. Prendre la vie comme elle vient. L’insouciance pour seule complice.
Le dialogue avec lui-même pour se persuader que là était son salut. Mais
comment admettre l’inaction? Comment se résoudre à la léthargie de l’esprit? Le
combat que menait Richard était inégal
tant sa volonté de s’en sortir se heurtait à son handicap.
Avec qui partager ses heures, ses angoisses et sa
solitude? Avec qui rire et pleurer, aimer à en mourir? Impossible de ne plus
éprouver de sentiments, impossible de vivre comme un zombi, sans attache ni
espoir d’une vie meilleure!
Il lui semblait
bien illusoire de rester
spectateur de sa vie sans se
rebeller contre l'injustice, sans agir pour rendre ses journées supportables.
N'existait-il pas un ange qui saurait le
regarder avec les yeux de l'amour? Questions restées sans réponse mais qui le
torturaient bien souvent.
Lorsque ses pensées se parfumaient d'amertume, il savait
que les murs de sa prison restaient son
seul refuge. Alors, il rentrait chez
lui, allumait l'étrange lucarne de la solitude et attendait que revienne la
nuit. La lune annonçait l'heure de
fermer la porte au vent mauvais du monde
extérieur et seul, au milieu du
souvenir, il oubliait le temps présent pour un flash-back complice. Personne ne
remarquait, alors, qu’il était un handicapé. Il était enfin l’égal des hommes.
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