lundi 11 janvier 2016

extrait de ET LA VIE CONTINUE de Hubert Zakine (à paraitre)


RICHARD

Richard la regardait. Toute en féminité, elle attirait les regards masculins. Si autrefois, se promener au bras d’une jolie fleur le flattait, il éprouvait une certaine gêne de paraître le vilain petit canard auprès de cette délicate personne.

--Vous avez un petit ami?

La question la surprit mais pas autant que lui d’avoir osé la poser.

Avec un sourire adorable, sans un mot, elle ferma les yeux et hocha la tête de droite à gauche.

--Vous n’avez personne?

--Non! J’attends le prince charmant, tout simplement! Répondit Marie avec une pointe de malice.

--C’est très étonnant. Les hommes sont  aveugles ou imbéciles.

--Qui sait, je suis peut-être trop difficile.

--Être difficile, ce n’est pas un défaut……. Je me suis rangé depuis si longtemps que je ne  sais plus comment les jeunes réagissent devant l’amour…………….

-- C’est toujours la même rengaine. Hier comme aujourd’hui, l’amour est volatile. Si on n’y prend pas garde, il s’en va sans qu’on  s’en rende compte. Alors, avec l’expérience, je préfère prendre mon temps.

-- Le temps passe si vite, petite Marie!


Chaque fois qu’il se retrouvait seul, il ne pouvait détacher son esprit du regard azuré de Marie.

Il savait la blessure qui l’avait marquée si gravement.  La force de l’amour qu’elle portait à son père lui semblait comparable à la pureté de celui qu’il vouait à sa mère. A la première confession, il avait compris son mal, blessure si profonde et si difficile à cicatriser.  En taisant ses propres tourments, il avait écouté   sa peine. Mais il savait bien que la douleur est égoïste. Elle ne se partage pas. Ne se quantifie pas. Même pour celui qui sait regarder. Comment évaluer une douleur? Il se souvenait des mères musulmanes qui s’arrachent le visage devant la mort. Il se remémorait les mamans pieds noirs dans leurs vêtements endeuillés. Ressentaient-elles la même douleur? Bien sûr que oui!

L’image de Marie lui revenait tel un boomerang quand il tentait de la chasser de son esprit.

Il est vrai que les raisons de s’épancher sur des moments de grâce n’étaient pas légion. Mais chaque fois, la sagesse l’emportait. A quoi bon rêver! Sa voie était toute tracée. Enfermé dans sa solitude, il devait faire face. C’était cela ou le néant. Vivre au jour le jour. Ne pas se poser de questions. Prendre la vie comme elle vient. L’insouciance pour seule complice. Le dialogue avec lui-même pour se persuader que là était son salut. Mais comment admettre l’inaction? Comment se résoudre à la léthargie de l’esprit? Le combat que menait Richard   était inégal tant sa volonté de s’en sortir se heurtait à son handicap.

Avec qui partager ses heures, ses angoisses et sa solitude? Avec qui rire et pleurer, aimer à en mourir? Impossible de ne plus éprouver de sentiments, impossible de vivre comme un zombi, sans attache ni espoir d’une vie meilleure!

Il  lui semblait bien  illusoire  de rester  spectateur   de sa vie sans se rebeller contre l'injustice, sans agir pour rendre ses journées supportables. N'existait-il pas  un ange qui saurait le regarder avec les yeux de l'amour? Questions restées sans réponse mais qui le torturaient bien souvent.

Lorsque ses pensées se parfumaient d'amertume, il savait que les murs  de sa prison restaient son seul refuge. Alors, il rentrait  chez lui, allumait l'étrange lucarne de la solitude et attendait que revienne la nuit.  La lune annonçait l'heure de fermer  la porte au vent mauvais du monde extérieur  et seul, au milieu du souvenir, il oubliait le temps présent pour un flash-back complice. Personne ne remarquait, alors, qu’il était un handicapé. Il était enfin l’égal des hommes.




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