mercredi 18 novembre 2015

Extrait de LE SOUFFLE DU SIROCCO de Hubert Zakine. (à paraitre)

Extrait de LE SOUFFLE DU SIROCCO de Hubert Zakine (à paraitre)
Paulo faisait la grasse matinée et personne n’osa le réveiller avec un grand verre d’eau comme ce fut le cas des dizaines de fois lorsque la joyeuse bande faisait partie des scouts juifs d’Alger. A présent, la plaisanterie de l’enfance n’avait plus sa place dans le concert d’amitié qu’interprétaient avec douleur les quatre cavaliers de l’apocalypse.
--Le voilà ! s’écria Roland qui faisait face à la fenêtre.
Il avait la mine réjouie d’un enfant qui découvrait, au matin, ses jouets au pied du sapin de Noël. Ses amis étaient tous là, autour de la table. Leur présence était son plus beau cadeau. Dans ses rêves les plus fous, il avait espéré les revoir avant le grand départ pour l’au-delà mais ne se faisait guère d’illusion. Ses amis ne pouvaient accourir des Etats Unis, d’Israël et même de France à la moindre brise . Comment pouvaient-ils imaginer que ce coup de sirocco qui l’emportait était un appel au secours si puissant qu’il serait entendu par-delà les mers……… Et pourtant, il fut entendu !
L’amitié avait su déceler sans en connaitre la nature, l’importance de cet appel au secours.
--Allez viens boire un kaouah ! L’invita Jacky en versant du café dans un bol.
--Putain, vous vous rappelez le gros et le petit kawa qu’elles faisaient nos mères avec les pois chiches! Paulo profitait de la présence de ses amis pour redonner des couleurs à sa mémoire affligée.
-- C’était le bon temps ! Yaraslah !
Le petit déjeuner dura une bonne heure puis ce fut le moment de la toilette.
--On va faire comme quand on était petit. Juste un chouïa derrière les oreilles, la raie bien droite, le dentifrice et Aya zoumbo, on tape la pancha dans la mer. Proposa Victor aussitôt approuvé par Richard, Jacky et Paulo traités de « dégueulasses » par Roland qui semblait oublier qu’il avait été un oualione.
--Chochotte attache-toi et fais du vent ! Lâcha Richard en se souvenant de cette expression familière employée par les femmes de son pays envers une personne qui se prenait pour la duchesse de Windsor.
La méditerranée de leur enfance ouvrit ses bras pour les tenter mais la fraicheur de l’eau freina leur ardeur.
--Putain, chez nous, même pas on hésitait pour taper le plongeon. Ici, il faut faire une règle de trois pour savoir si on va attraper une syncope ou une électrocution.
Victor défia les courageux qui n’en menaient pas large.
--Allez, vous avez fini de jouer les gamates ! Criez aya zoumbo et plongez
--On plonge et on meurt !! Ajouta Roland qui s’aperçut qu’il avait fait la plaisanterie de trop devant Paulo qui insista auprès de ses amis afin qu’ils ne prennent pas de gant.
--C’est la meilleure façon de me faire oublier…..
A ce moment, le vent se leva et emporta le Bob de Jacky qui le rattrapa au vol en riant.
Paulo y vit une manière de se rappeler au bon souvenir de ses amis lorsqu’il aura franchi le Rubicon des vivants.
--Putain, c’est un signe. Chaque fois, qu’un coup de vent vous décoiffera, jettera à terre votre chapeau ou relèvera la jupe de vos femmes, vous penserez à moi. Ma parole d’honneur, ça me ferait vraiment plaisir de me rappeler à votre bon souvenir Ce sera un signe d’amitié que je vous enverrais d’où je serais…….!
Richard comprit très vite la volonté de son ami tandis que les autres restaient atterrés par les propos de Paulo. La plaisanterie resta sa seule alternative.
--Putain, tu es un déconneur de première, de deuxième et de troisième catégorie!
Un éclat de rire nerveux entraina la bande vers un simulacre d’approbation.
--Et je veux ! Conclut Paulo en se dirigeant d’un pas décidé vers les flots. Les amis ne purent faire autrement que de le suivre avec crainte car la pâleur du soleil ne les inspirait pas.
--Allez bande de péteux ! A la guerre comme à la guerre ! De toute évidence, Paulo désirait entrainer ses amis dans sa quête d’absolu. Jacky s’exécuta en lâchant le cri de Tarzan suivi de Richard et Roland qui se contentèrent de plonger dans un style peu académique. Paulo était heureux et, là, était bien l’essentiel. Richard plaisanta sur la médication des mamans d’Algérie.
--Tu as ramené d’Alger des ventouses si jamais on attrape une broncho-pneumonie ?
--Oh, purée, les ventouses. Mon père, il adorait ça ! Jacky venait de faire un travelling arrière douloureux. Il avait perdu son père en 1956. Tout au long de son veuvage, sa mère s’était consolée en pensant qu’il n’avait pas connu l’amputation de sa terre natale.
--Bon, moi, je suis moins musclé que vous ! Je rentre ou sinon je me transforme en esquimau. Déclara Roland habitué au soleil chaleureux de Miami.
Toute la bande en fit autant pour se regrouper au café de plage. Des vieux jouaient au rami au fond de la salle.
--Chof, les vieux comme à la Grande Brasserie, déjà, ils tapent le carton ! Et à les entendre, ils sont de chez nous !
--Je les connais ! Tous les jours, ils font l’ouverture et la fermeture. Il y a trois algérois et un constantinois. Commenta Paulo.
--C’est aujourd’hui qu’on déjeune chez ta mère ?
--Putain de morfal ? Il t’arrive de penser à autre chose ? Plaisanta Richard en s’adressant à Victor qui louchait sur le sandwich que préparait une serveuse.
--Hé j’ai faim !
*****

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