De
bon matin, j’adore prendre le pouls de ma rue, en sirotant le café au lait que
me prépare ma mère. En tricot de peau, bien éveillé par mes frères qui se
préparent à prendre le chemin de l’école, j’écoute la chanson de mon quartier
qui entonne un hymne à l’amour et à la joie de vivre.
Déjà, les petits
commerçants relèvent leur rideau de fer
et s’interpellent à qui mieux-mieux, élevant le ton pour se faire
entendre. Le garagiste fait pétarader sa
Terrot en enfumant le quartier, le menuisier accompagne le chant de sa scie circulaire sous un ciel qui
colore ses joues de bleu pervenche et le
marchand d’habit commence déjà sa tournée.
Allez,
il est temps de rejoindre les amis de la Grande Brasserie avant d’aller
travailler pour rendre beaux les vilains. Parce que les jeunes hommes qui
travaillent, enfin ceux qui sont pas gavatchos et qui ont des poils aux pattes,
y z’aiment bien jouer les Cary Grant avec leurs costumes prince de Galles.
Alors, y viennent chez bibi pour se faire raser les trois poils qui leur
poussent au menton. Je leur passe plein de pommade. Pas style Vitapointe mais style
tu es le plus beau du monde et des
alentours. Y repartent du salon satisfaits
de leur dégaine mais sans oublier de payer. Par ici, la monnaie ! Et
pourquoi je travaille, alors ? Pour la gloire ? Rien que ça y
manque !
Le boulanger Mullor y m’apporte un morceau de pitse. Avec Blasco
de Villa Grossa, ils se font de la concurrence pour obtenir mes faveurs. Y faut
dire qu’ils se font face de chaque côté de l’avenue de la Bouzaréah.
Zarmah, je suis
important. Mais quand même, quand même, je suis considéré depuis que je suis un
commerçant du quartier. Avant, j’étais un oualione
qui avait été exempté du service militaire. Alors, bien sûr, les amis y se sont pas gênés pour me
traiter de planqué.
--Ta sœur elle est
générale ?
Ils savaient que j’avais pas de sœur ou sinon c’était la guerre de 100 ans qui
recommençait.
--Tu es pistonné
parce que tu as la tchopisse ?
--Non, il est
truch des oreilles !
La
vérité, c’était la peine que je réponde ?
Quand
je leur ai mis la raison de ma dispense de service militaire sous les yeux, on
a entendu les mouches voler : En tant qu’orphelin de père, j’étais soutien de
famille! Purée, le froid que ça a jeté ! Le Labrador à Alger. Les r’mhars du
quartier, ils savaient plus où se mettre. Surtout que ces falampos, y me connaissaient depuis l’enfance mais, jamais, ça leur est venu à leur
cerveaux atrophiés , qu’être orphelin ça exemptait de service
militaire. S’ils l'avaient su, les connaissant comme je les connais, ils
auraient été capables de tuer leur père pour échapper à cette corvée
patriotique. J’exagère à peine !
Tout
ça je dis, total, ça m’en touche une sans faire boucher l’autre parce qu’une
seule chose compte, je continue à seconder ma mère auprès de mes jeunes frères.
--Viens, y a un
match contre la rampe Valée.
--Le métier de
coiffeur c’est pour les tapettes !
--Avec tous les
chauves, les fartasses et les chiches qui se coupent les cheveux tout seul,
comment tu vas gagner ta vie ?
Je
repense à ces instants d’apprentissage en faisant la barbe d’un fainéant que
même pas y prend le temps de se raser chez lui pour économiser. Eh, c’est qu’un
sou, c’est un sou et comme elle dit ma mère, la fortune, elle viendra pas en
dormant…….mais en travaillant….. et en économisant. Je sais une seule chose
c’est qu’on trouve pas l’argent sous les sabots d’un cheval!
La
vérité, qu’est-ce qui vient faire un cheval dans ma réflexion ? Pourquoi
pas un hippopotame !
Purée,
il est à peine 9 heures et demie et les clients, déjà, y rappliquent. Je
vais finir ma semaine sur les rotules. Sans me mettre les yeux, si je continue
sur le même rythme, je paierais le salon les doigts dans le nez. Purée,
l’expression ! Les doigts dans le nez, ce doit être un dégueulasse qui l’a
inventée. Un sale comme Nadal, un copain qui a toujours la bornona qui lui pend
au nez. Alors, obligé son surnom de Bornayen y lui colle à la peau comme le liquide visqueux qui sort de son naze.
Dimanche,
le Gallia y rencontre Bel Abbès en coupe d’Algérie alors bien sûr, les
supporteurs y supputent.
--Putain, juste
sur Bel Abbès y sont tombés ! Pendant, ce temps, l’ASSE elle joue à Mascara. Ma parole, il y a
combine.
--Qué combine !
Tu crois qu’aller gagner à Mascara, c’est facile ?
Moi
rien que je les écoute. Je souris. Je repense à cette famille qui emménagé cette semaine dans mon immeuble en
provenance du Tunisie. Leur fille est belle comme un cœur. Le père est rabbin
et la mère est déjà, cul et chemise avec ma mère qui lui a porté une assiette
de gâteaux de bienvenue. Depuis, elle a qu’une idée en tête : voir son
fils convoler en justes noces avec la fille du rabbin.
--Mon fils, tu t’rends
compte, la fille d’un rabbin !
Je
reçois cela comme une plaisanterie. Je réponds sur le même tempo.
--La vérité, je préfèrerais la fille d’un
milliardaire !
Man,
qu’est-ce que j’ai pas dit !
--Bouh, mon fils !
tch’as pas honte de te moquer d’un homme de dieu !
Où
j’ai dit du mal ? Où ?
Ma
mère, quand on parle de mon avenir, elle est pas à prendre avec des pincettes. Un
mot de travers et illico presto, elle sort le bureau des pleurs.
C’est
vrai qu’elle est belle cette petite tunisienne avec ses cheveux noirs, ses yeux
en amandes bleus et son teint mat. Et bien sûr, des creux et des bosses là, où
il faut !
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