vendredi 11 septembre 2015

Extrait de mon dernier ouvrage LE COIFFEUR DE BAB EL OUED de Hubert Zakine



De bon matin, j’adore prendre le pouls de ma rue, en sirotant le café au lait que me prépare ma mère. En tricot de peau, bien éveillé par mes frères qui se préparent à prendre le chemin de l’école, j’écoute la chanson de mon quartier qui entonne un hymne à l’amour et à la joie de vivre.
Déjà, les petits commerçants relèvent leur rideau de fer  et s’interpellent à qui mieux-mieux, élevant le ton pour se faire entendre. Le garagiste fait pétarader  sa Terrot en enfumant le quartier, le menuisier accompagne le chant  de sa scie circulaire sous un ciel qui colore  ses joues de bleu pervenche et le marchand d’habit commence déjà sa tournée.
Allez, il est temps de rejoindre les amis de la Grande Brasserie avant d’aller travailler pour rendre beaux les vilains. Parce que les jeunes hommes qui travaillent, enfin ceux qui sont pas gavatchos et qui ont des poils aux pattes, y z’aiment bien jouer les Cary Grant avec leurs costumes prince de Galles. Alors, y viennent chez bibi pour se faire raser les trois poils qui leur poussent au menton. Je leur passe plein de pommade. Pas style Vitapointe mais style tu es le plus beau du monde et des alentours.  Y repartent du salon satisfaits de leur dégaine mais sans oublier de payer. Par ici, la monnaie ! Et pourquoi je travaille, alors ? Pour la gloire ? Rien que ça y manque !
Le boulanger Mullor y m’apporte un morceau de pitse. Avec Blasco de Villa Grossa, ils se font de la concurrence pour obtenir mes faveurs. Y faut dire qu’ils se font face de chaque côté de l’avenue de la Bouzaréah.
Zarmah, je suis important. Mais quand même, quand même, je suis considéré depuis que je suis un commerçant du quartier. Avant, j’étais un oualione qui avait été exempté du service militaire. Alors,  bien sûr, les amis y se sont pas gênés pour me traiter de planqué.
--Ta sœur elle est générale ? Ils savaient que j’avais pas de sœur ou sinon c’était la guerre de 100 ans qui recommençait.
--Tu es pistonné parce que tu as la tchopisse ?
--Non, il est truch des oreilles !
La vérité, c’était la peine que je réponde ?
Quand je leur ai mis la raison de ma dispense de service militaire sous les yeux, on a entendu les mouches voler : En tant qu’orphelin de père, j’étais soutien de famille! Purée, le froid que ça a jeté ! Le Labrador à Alger.  Les r’mhars du quartier, ils savaient plus où se mettre. Surtout que ces falampos, y me connaissaient depuis l’enfance  mais, jamais, ça leur est venu à leur cerveaux atrophiés , qu’être orphelin ça  exemptait de service militaire. S’ils l'avaient su, les connaissant comme je les connais, ils auraient été capables de tuer leur père pour échapper à cette corvée patriotique. J’exagère à peine !
Tout ça je dis, total, ça m’en touche une sans faire boucher l’autre parce qu’une seule chose compte, je continue à seconder ma mère auprès de mes jeunes frères.
 
Et en plus, ça m’a permis de parfaire le métier que je me suis choisi un jour de colère. Pour ma bar misvah, mon coiffeur, y m’avait tellement mal coupé les cheveux, mi-bol-de-loubia, mi-fartasse que j’ai découvert un débouché à ma fainéantise scolaire. Je serai coiffeur pour qu’aucun garçon ne se retrouve avec une tête pareille. Et je suis devenu coiffeur ! La classe ! Mais attention, il m’a fallu bousculer ma fainéantise légendaire pour obtenir mon diplôme. C’est que les amis y me pourrissaient le moral.
--Viens, y a un match contre la rampe Valée.
--Le métier de coiffeur c’est pour les tapettes !
--Avec tous les chauves, les fartasses et les chiches qui se coupent les cheveux tout seul, comment tu vas gagner ta vie ?
 *****
Je repense à ces instants d’apprentissage en faisant la barbe d’un fainéant que même pas y prend le temps de se raser chez lui pour économiser. Eh, c’est qu’un sou, c’est un sou et comme elle dit ma mère, la fortune, elle viendra pas en dormant…….mais en travaillant….. et en économisant. Je sais une seule chose c’est qu’on trouve pas l’argent sous les sabots d’un cheval!
La vérité, qu’est-ce qui vient faire un cheval dans ma réflexion ? Pourquoi pas un hippopotame !
Purée, il est à peine 9 heures et demie et les clients, déjà, y rappliquent. Je vais finir ma semaine sur les rotules. Sans me mettre les yeux, si je continue sur le même rythme, je paierais le salon les doigts dans le nez. Purée, l’expression ! Les doigts dans le nez, ce doit être un dégueulasse qui l’a inventée. Un sale comme Nadal, un copain qui a toujours la bornona qui lui pend au nez. Alors, obligé son surnom de Bornayen y lui colle à la peau comme  le liquide visqueux qui sort de son naze.
Dimanche, le Gallia y rencontre Bel Abbès en coupe d’Algérie alors bien sûr, les supporteurs y supputent.
--Putain, juste sur Bel Abbès y sont tombés ! Pendant, ce temps, l’ASSE  elle joue à Mascara. Ma parole, il y a combine.
--Qué combine ! Tu crois qu’aller gagner à Mascara, c’est facile ?
Moi rien que je les écoute. Je souris. Je repense à cette famille qui  emménagé cette semaine dans mon immeuble en provenance du Tunisie. Leur fille est belle comme un cœur. Le père est rabbin et la mère est déjà, cul et chemise avec ma mère qui lui a porté une assiette de gâteaux de bienvenue. Depuis, elle a qu’une idée en tête : voir son fils convoler en justes noces avec la fille du rabbin.
--Mon fils, tu t’rends compte, la fille d’un rabbin !
Je reçois cela comme une plaisanterie. Je réponds sur le même tempo.
--La vérité, je préfèrerais la fille d’un milliardaire !
Man, qu’est-ce que j’ai pas dit !
--Bouh, mon fils ! tch’as pas honte de te moquer d’un homme de dieu !
Où j’ai dit du mal ? Où ?
Ma mère, quand on parle de mon avenir, elle est pas à prendre avec des pincettes. Un mot de travers et illico presto, elle sort le bureau des pleurs.
C’est vrai qu’elle est belle cette petite tunisienne avec ses cheveux noirs, ses yeux en amandes bleus et son teint mat. Et bien sûr, des creux et des bosses là, où il faut !



 

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