lundi 21 septembre 2015

Extrait de "LE SOUFFLE DU SIROCCO" de Hubert Zakine

Extrait de LE SOUFFLE DU SIROCCO de hubert zakine (à paraitre en 2016)
Le bonheur de Paulo était prioritaire et, tous unis, tendaient vers cet objectif : faire plaisir à leur ami et par ricochet à sa famille.
Après déjeuner, ils respectèrent la sacro-sainte sieste. Paulo s’assoupit sur le canapé tandis que la bande d’un commun accord, sortit sur la terrasse. Le moulin aux souvenirs entama, alors, un travelling arrière que nul n’eut envie d’arrêter.
--Vous vous souvenez, nos mères comme elles nous faisaient la guerre pour taper la digestion ?
Ils étaient ensemble depuis trois jours et les souvenirs s’égrenaient au fil des heures. Le plus prolixe semblait être Victor qui s’aperçut que Richard était pensif. Songeait-il au mal impitoyable qui rongeait Paulo et à la mort programmée qui bouleversait leurs retrouvailles.
Ce drame le ramenait quelques années en arrière, à cette effroyable tuerie de la rue d’Isly qui coucha Suzy pour l’éternité. La mort rodait dans son existence. Après Suzy venait le tour de Paulo. Le destin frappait sans compter les années. Suzy et ses dix-sept printemps ! Paulo qui entrait dans sa vingt-huitième année. Quelle dérision.
Roland rompit le silence qui devenait omniprésent.
-- A quoi tu penses, Richard ?......... Je sais pas si c’est l’ombre de Suzy que tu as dans la tête mais il est certain que tu es toujours là-bas! D’ailleurs, il me semble que tu n’as jamais fait ton deuil d’Alger.
Richard, Jacky et Roland furent ramenés à la réalité par cette intervention qui avait brisé la quiétude qui régnait sur la terrasse.
--Faire son deuil, c’est une expression toute faite qu’on emploie à tort et à travers. On peut pas faire son deuil d’un pays, d’une ville encore moins d’une personne qu’on aime ou qu’on a aimée!.......... Comment peut-on passer à autre chose quand ton premier amour est couchée au cimetière de Saint Eugène ……. comment faire son deuil d’une mère, d’un père, quand on peut même pas se recueillir sur leurs tombes ? Avant, à Rosh Hoddesh, ma mère, elle rafraichissait la tombe de mon père. A présent, Suzy repose au cimetière et moi je suis à Paris. C’est normal que tout me rattache à mon enfance et à Suzy. Comment peut-il en être autrement ? Si tu connais un mode d’emploi, je suis preneur !
Victor, Jacky et Roland ne se contentaient pas d’écouter Richard. Pour la première fois, ils l’entendaient. Avec attention. A ce moment-là, toute plaisanterie eut été déplacée. Peut-être ne s’était-il jamais confié de la sorte, peut-être l’éloignement avait-il ouvert les portes de la confidence ? Toujours est-il que l’amitié de l’enfance prenait, en ces jours sombres, l’apparence d’une route barbouillée de gris.
La semaine était, tout à la fois, la plus belle et la plus pénible de leur vie. La plus belle car elle renouait, par-delà les mers, les liens mais la plus pénible car elle sonnait le glas de leur belle, leur immense amitié par la révélation de la maladie de Paulo. Le rire de la connivence côtoyait l’abime de la peur dans une folle farandole de sentiments contradictoires. Mais comment peut-il en être autrement lorsque plane l’oiseau de mauvais augure aux griffes acérées ?
--Allez, les jérémiades, on les garde pour nous. Dans deux jours, Roland et moi, on prend l’avion, alors, plus de messes basses, que de l’optimisme et rien d’autre !
Jacky avait parlé. S’ils avaient le cœur à plaisanter, ils se seraient pissés dessus tant le sérieux n’avait jamais fait bon ménage avec Jacky. Quoiqu’il en coûte, le pacte de bonne humeur serait respecté à la lettre en présence de Paulo. Leur détermination était totale.
--Nous, on restera en contact avec lui et, si on doit revenir, on reviendra. Promit Richard approuvé par Victor.
 
Ils se persuadaient de leur connivence avec l’inéluctable. Il avait suffi de trois jours pour croire à l’incroyable, pour admettre l’inadmissible départ de Paulo.
--Ma mère me dit souvent que l’humain possède des ressources insoupçonnées qui se révèlent dans le malheur, et bien, on est en plein dedans ! Qui aurait pu penser qu’on admettrait ce qui arrive à Paulo ?
--Hachem nous permet de supporter de tels drames! Assura Jacky, le plus religieux de la bande.
--Ouais, mais il est bien gentil Hachem mais sans blasphémer, ce serait bien qu’il lâche Paulo un petit chouïa. Répliqua Richard aussitôt réprimandé par Jacky qui récita un verset en hébreu.
--Ouais, la religion, la religion mais tu peux me dire ce qu’il a fait Paulo pour subir pareille punition ? Il n’a tué ni son père ni sa mère, il a pas volé, il est pas un bandit de grand chemin. Alors pourquoi, lui ? S’emporta Richard devant l’aveuglement de Jacky.
Roland encouragea Richard par un argument frappé de bon sens.
--Et Suzy, raïben, qu’est-ce qu’elle a fait au bon dieu ?
-- Hachem a ses raisons ! On doit tout accepter quand on croit à une force supérieure ou alors, on est athée ! On croit plus à rien ! On peut pas comprendre Dieu, on est des hommes. Se défendit Jacky qui considérait l’intervention de Richard comme un blasphème.
Richard poursuivit son analyse.
--En attendant sans être irrespectueux envers quiconque, je suis très en colère! Toi, tu es persuadé que dieu existe ! Tant mieux si tu en es persuadé ! Moi, je regrette mais ça me suffit pas ! S’il existait vraiment, tu peux me dire pourquoi un enfant meurt avant un vieillard? Je t’aime Jacky mais je suis plus exigeant que toi. Tu vis en Israël, moi en France. Peut-être que là est la différence ? Tant que je n’aurais pas la preuve tangible que Dieu, je resterais sur mes positions.
--Et quelles sont tes positions ? Interrogea Jacky sur un ton laconique.
--Tant qu’il restera invisible pour moi, j’y croirais plus. Je suis comme Saint quelque chose. Déjà, le décès de Suzy avait ébranlé mes certitudes et maintenant, Paulo.
--Alors, tu es plus juif ?
--Qu’est-ce que ça a à voir. Je suis juif jusqu’au bout des ongles mais un juif qui réfléchit avec sa tête, pas un juif qui suit aveuglément ce qu’on lui a appris au Talmud Thora. Je veux être un juif ………sceptique.
Victor, qui n’aimait pas la tournure que prenait la discussion, opta pour la dérision.
--Moi, je suis un juif antiseptique !
--Comme la fosse ! Ajouta Roland.
Jacky regarda Richard et, ne s’adressant qu’à lui, eut cette conclusion désolée.
--Tu veux discuter sérieusement avec cette bande de r’mars ?

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