vendredi 31 juillet 2015

extrait de LE DRAPEAU DECHIRE de Hubert Zakine


Dans cet ouvrage, j'ai volontairement utilisé, telle une rengaine le terme "français".
Je l'ai mêlé à toutes les sauces, à toutes les phrases. Pour un oui, pour un non.

J'ai également commis à son propos, nombre de répétitions.

Pourquoi ? Pour bien expliquer l'importance que revêtait ce mot dans ma vie et dans celle de mes frères d'Algérie. La politique et les politiciens, les métropolitains et leur égocentrisme, de Gaulle et ses mensonges m'ont amputé de ma fierté française.

J'abandonne le terme français puisque je suis l'Algérie et qu'elle a cessé d'être française.

Aujourd'hui, je ne revendique plus que les identités israélites et pieds-noirs, délaissant celle que m'offrit ma naissance sur le sol jadis français.


Ma naissance française. 25 mai 1944.


A cette époque, l'Algérie c'est la France. Une France en guerre. Une France libre. La plupart des hommes en âge de porter les armes défendent la patrie en Italie en Tunisie en Libye ou en métropole. En mai 1944, mon père se trouve à Drancy antichambre de Dachau. Grâce à l'habileté manœuvrière de compagnons d'infortune il s'échappe de ce camp ou transitèrent des milliers de juifs en partance pour les camps de la mort. La paix revenue, il rentre avec ses frères d'armes en Algérie, fier d'avoir défendu la patrie en danger, heureux de retrouver son épouse ses trois enfants, sa maison, sa ville natale.

Deux ans après, il meurt atteint d'un mal incurable. L'épisode de mon père est bref. Trop bref. Mais orphelin de sa présence à l'âge de trois ans, je ne peux me souvenir que de son absence.

Absence que ma mère s'efforça de combler à force d'amour, de douceur et de travail.

Mon identité nationale ne fut révélée comme pour tous les enfants du monde par mon entrée à l'école maternelle.

En 1949, la fierté d'être française éclaboussait l'Algérie tout entière, la recouvrait d'un immense drapeau tricolore. La patrie vaincue avait fait appel à ses fils nés de l'autre côté de la Méditerranée qui répondirent comme un seul homme à cette mobilisation générale. Musulmans et européens mêlés dans le même éloge, la métropole reconnaissante leur adressa un vibrant hommage par la voix du général De Gaulle en personne. Et ces enfants de la mer et du soleil en tirait une gloire nationale, locale et originelle.

En participant à la reconquête nationale, le petit-fils d'étrangers comme son aïeul de 1870, hérité de plein droit de l'identité française, ne serait-ce que par le sang qu'il ne manquât pas de verser. Cette reconnaissance  qu'il revendiquait sans en jamais recevoir l'absolue confirmation lui fut accordé à son retour triomphal sur sa chère terre d'Algérie.

Grandir dans cette atmosphère de fierté française, baigner mes premières années dans les trois couleurs de la France éternelle me révéla un sentiment dont je ne soupçonnais pas la trajectoire future : le patriotisme.

De cette époque, j'ai retenu la leçon suivante : le degré de patriotisme chez un individu est inversement proportionnel à l'âge où on le lui a inculqué. Plus le sujet est jeune, mais ce sentiment nationaliste  sera dans sa tête et dans son cœur. Plus difficile lui paraîtra la séparation, la rupture avec sa patrie.


1949


Ma maîtresse d'école écrit à la craie : « Alger », poursuit à la craie blanche :

« République » et il termine en rouge « Française ». Alger république française.

Durant toute l'année scolaire, cette affirmation tricolore nous aveugla. Nous ne pouvions lever la tête sans qu'elle ne nous sautât aux yeux. Elle enroba notre insouciance de papier bleu, blanc, rouge que notre maîtresse ravivait chaque fois que les couleurs se délavaient. Si l'on nous avait marqué au fer rouge, nous n'en aurions gardé le souvenir aussi vivace.

Puis ce furent nos ancêtres les gaulois, les plaines verdoyantes, les monts enneigés, Louis XIV et Charles le téméraire, Marie-Antoinette et la révolution de 1789.

Nous étions des Français comme ceux de métropole.

Personne ne se posait la question de savoir si le parisien, le lillois ou le marseillais était plus français que l'Algérois, l'Oranais le Constantinois.

Un homme ne s'interroge pas sur sa certitude d'être un homme. Il le sait une fois pour toutes. À la vie, à la mort.

Un Français non plus, il est français, un point c'est tout. Comme tous les autres Français.

La seule différence réside dans son accent ou sa couleur de cheveux. Dans sa religion aussi.


Mon appartenance à la communauté juive

Dans ma famille, à l'école, au jardin, j'entendais souvent prononcer le mot juif. Ce terme m'a poursuivi inexorablement jusqu'au jour où je me rendis compte qu'il allait me prendre par la main et le cœur pour m’emmener au bout du voyage de la vie.

Que je faisais partie, dès ma naissance, et par ma naissance, de ce que l'on a coutume d'appeler la nation juive. Israël ! Quel joli nom ! Je suis israélite, je suis juif.

--Maman je suis juif ou je suis israélite ?

--C'est la même chose mon fils.

--Je suis français aussi. C'est la même chose ?

A-t-on idée de poser pareille question à cinq ans !

--Français ça veut dire être né en France.

--Mais je suis né en Algérie !

--Oui mais l'Algérie c'est un morceau de la France

--Ah bon.

--Et juif, ça veut dire que tu es de religion juive

--Qu'est-ce que c'est la religion ?

--La religion c'est la croyance d'un peuple pour un dieu.

--Et notre Dieu il est juif ou il est français ?

La pauvre ma mère.

--Il est juif mais il est présent pour tout le monde, mon fils. Pour les juifs et pour les autres.

Je dois avouer que je n'avais pas tout compris mais deux certitudes ne me quittèrent plus. J'étais juif et j'étais français.

Les juifs, hier très nombreux dans la casbah d'Alger, s'étaient déplacés massivement dans les nouveaux immeubles de Bab-el-Oued. Aussi, on retrouvait une très importante communauté israélite au sein du populeux quartier de la porte de la rivière. À l'école Rochambeau, mes camarades de classe s'appelaient Lévy, Cohen ou Boisis. Nos parents, jadis écoliers rue de Toulon ou du Soudan, usèrent leurs fonds de culottes dans cette casbah judéo arabe. Aujourd'hui, dans ce quartier modernisé à l'européenne, ouvert sur la mer et la joie de vivre, ils nous transmettaient le relais de leur amitié d'autant plus aisée à assumer, qu'en Algérie la rue et les jardins étaient le domaine sinon exclusif, du moins privilégié des enfants.

Dès l'âge de cinq ans, nous nous accaparions de toutes les aires de jeux possibles ; les entrées de maison, les ruelles, les squares, les places, les escaliers très nombreux à Alger constituaient un tremplin idéal à la conquête de l'amitié.

Une amitié aussi facile à récolter que le muguet au mois d'avril tant le peuple d'Algérie secrétait de joie de vivre dans laquelle l'amitié prend racine et puise l'énergie nécessaire à son développement.

Qu'ils s'appellent Pappalardo, Bensimon, Nadal ou Hamad, nous leur offriions notre affection sans retenue si leur comportement le mériter.


1950

Les échos des difficultés que rencontrait le jeune État hébreu à s'établir dans la paix sur sa terre ancestrale me furent révélés un soir de décembre. Chaque année, en présence de toute la famille, nous organisions l'asguère en mémoire de mon père. Le rabbin de Bab-el-Oued nous fit part de ses inquiétudes quant à l'existence de ce nouvel État du Moyen-Orient. Harcelés, de tous côtés par leurs voisins arabes, les Israéliens, pensait- il ne pourraient résister longtemps.

Du haut de mes six ans j'enregistrais et retenais deux choses : Israël était un pays que les Arabes voulaient détruire.

Comment ai-je su que Kader était arabe, je ne saurais comment le dire mais un fait était sûr, je le savais. J'étais dans l'impossibilité de différencier un juif d'un catholique mais je reconnaissais l'arabe. Sans doute en raison de ma fréquentation assidue de la rue marengo, artère principale de la Casbah où résidait une tante ainsi que de nombreux descendants de juifs ibériques chassés de leur terre natale espagnole par l'inquisition de 1492.

Dans cette grande zébrure qui coupait en deux la vieille ville, je pus constater que les hommes arabes portaient la chéchia ou le turban et leurs femmes cachaient leur visage derrière une voilette et leur corps sous un haïk. Quant aux enfants, ils marchaient la plupart du temps pieds nus. Je notais également que les gosses musulmans qui habitaient Bab-el-Oued ressemblaient en tous point à leurs camarades pieds-noirs. Ils portaient alors les mêmes vêtements, les mêmes mévas en été et les mêmes pataugas l'hiver que le catholique des messageries ou le juif de l'avenue de la Marne.

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