LE PRINTEMPS A BAB EL OUED
L’hiver s’épuisait face aux rayons d’un soleil indulgent avec ses enfants
de méditerranée. La pluie délaissait, enfin, la ville blanche pour aller se
faire voir ailleurs.
Le premier Pourim, loin de la casbah, se déroula de la
meilleure des façons. Il faut dire que Vidal, le boulanger, transfuge de la rue
Marengo en plein cœur de Guillemin, se chargea de la cuisson des galettes et
autres friandises de la fête dans son nouveau four de la rue Thuillier.
Chaque
jour qui passait, voyait Bab El Oued supplanter dans le cœur de la famille
Durand l’ombre de la casbah. Les événements y étaient pour beaucoup car, chacun
s’évertuait à ne pas parler du passé, sans doute pour ne pas écorcher les
souvenirs heureux d’une époque hélas révolue.
Le clan de Bab El Oued, Nadine, Lydia,
Rose se retrouvaient souvent au jardin quand ce n’était pas chez Hélène, la
mère de Richard d’où le balcon plongeait sur le boulevard Guillemin. Elles
regrettaient que ces « parota » de Lisette et Paulette se soient
exilées aussi loin de Bab El Oued mais elles faisaient contre mauvaise fortune
bon cœur en songeant que leur exil s’apparentait à une promotion de
mieux-vivre. Les enfants étaient chargés de porter des boîtes en fer où étaient
déposés délicatement les plus beaux gâteaux de la fête. Car il fallait faire
goûter ses mekrodes, knéglettes, dattes fourrées ou galettes blanches à la
famille afin qu’un satisfecit soit délivré par chacune des sœurs et belles
sœurs. C’était la coutume à Bab El Oued comme dans la casbah et dans toute
l’Algérie. La cuisine était une des perles de la maisonnée pied noire et aucune
n’y dérogeait, juive, catholique ou musulmane, la femme se voulait bonne
maîtresse de maison, bonne épouse, bonne mère mais aussi et surtout bonne
cuisinière.
Pourim était une fête qui commémore la délivrance des Juifs par le
roi de Perse Assuérus. Les Juifs se trouvaient en effet sous domination perse
après la prise de Babylone, où ils avaient été gardés en captivité depuis le VIe siècle
av. J.-C. La fête de Pourim est caractérisée par l'envoi mutuel de colis
d'aliments et boissons, les dons aux démunis, et un festin de célébration.
Pourim est également riche en coutumes, des mascarades et déguisements. Mais
dans l’Algérie des années 50, seul l’échange de douceurs et le festin avaient
résisté au vent de modernisme qui soufflait sur le monde.
*****
Le printemps prenait ses aises à Alger.
Du haut de son balcon, Richard
admirait le panorama qui se déroulait jusqu’aux contreforts de la casbah. La
clarté du ciel allumait chaque mouvement d’une méditerranée endormie et
décorait les arbres de bourgeons multicolores. Dame nature jouait une symphonie
que le chant des oiseaux cadençait au rythme de sa fantaisie.
Richard était
bien. En ce samedi matin, il ne se pressait pas. Au jardin Guillemin, des gosses
imitaient les vedettes locales en tapant dans une balle de deux sous, sous
l’œil intéressé de quelques vieux messieurs élégants.
Le samedi ainsi que le
dimanche, Alger conservait la bonne habitude de se « mettre sur son
31 » pour voir et être vu. Des jeunes accrochaient aux vestons des
passants une petite canne blanche des « aveugles de France ». En
compensation, l’adulte glissait une pièce de monnaie dans la tirelire en fer
décorée d’une croix rouge qui était remis à l’association si tôt remplie.
Colette passait toute la matinée au lycée Lazerges. Aussi Richard eut tout
loisir d’aller dire bonjour à Carla pour savoir si l’après midi se déroulerait
rue Borély la Sapie. Il descendit quelques douceurs pour Carla :
« c’est pour Kader » mentit-il.
Le marché Nelson, contrairement à
celui de Bab El Oued qui débordait dans les rues avoisinantes, était enfermé
derrière les grilles du jardin. Carla se tenait à l’entrée du marché, toujours
aussi souriante et chamarrée de couleurs exubérantes. L’italienne dans toute sa
splendeur, pensa Richard en songeant aux films napolitains de Sophia
Loren. Chaque fois que son regard s’attardait, de loin, sur cette femme
excessive, dans son comportement, son maquillage ou son habillement, Richard
doutait de l’intérêt qu’il suscitait en elle mais au fur et à mesure qu’il s’en
approchait, il lui fallait se rendre à l’évidence ; ce volcan en éruption
était tout à fait humain tant son accueil était gracieux et la beauté de son
sourire frisait la perfection.
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