mercredi 3 juin 2015

extrait de TROIS HORLOGES de hubert zakine


LE PRINTEMPS A BAB EL OUED
L’hiver s’épuisait face aux rayons d’un soleil indulgent avec ses enfants de méditerranée. La pluie délaissait, enfin, la ville blanche pour aller se faire voir ailleurs.
Le premier Pourim, loin de la casbah, se déroula de la meilleure des façons. Il faut dire que Vidal, le boulanger, transfuge de la rue Marengo en plein cœur de Guillemin, se chargea de la cuisson des galettes et autres friandises de la fête dans son nouveau four de la rue Thuillier.
Chaque jour qui passait, voyait Bab El Oued supplanter dans le cœur de la famille Durand l’ombre de la casbah. Les événements y étaient pour beaucoup car, chacun s’évertuait à ne pas parler du passé, sans doute pour ne pas écorcher les souvenirs heureux d’une époque hélas révolue.
Le clan de Bab El Oued, Nadine, Lydia, Rose se retrouvaient souvent au jardin quand ce n’était pas chez Hélène, la mère de Richard d’où le balcon plongeait sur le boulevard Guillemin. Elles regrettaient que ces « parota » de Lisette et Paulette se soient exilées aussi loin de Bab El Oued mais elles faisaient contre mauvaise fortune bon cœur en songeant que leur exil s’apparentait à une promotion de mieux-vivre. Les enfants étaient chargés de porter des boîtes en fer où étaient déposés délicatement les plus beaux gâteaux de la fête. Car il fallait faire goûter ses mekrodes, knéglettes, dattes fourrées ou galettes blanches à la famille afin qu’un satisfecit soit délivré par chacune des sœurs et belles sœurs. C’était la coutume à Bab El Oued comme dans la casbah et dans toute l’Algérie. La cuisine était une des perles de la maisonnée pied noire et aucune n’y dérogeait, juive, catholique ou musulmane, la femme se voulait bonne maîtresse de maison, bonne épouse, bonne mère mais aussi et surtout bonne cuisinière.
Pourim était une fête qui commémore la délivrance des Juifs par le roi de Perse Assuérus. Les Juifs se trouvaient en effet sous domination perse après la prise de Babylone, où ils avaient été gardés en captivité depuis le VIe siècle av. J.-C. La fête de Pourim est caractérisée par l'envoi mutuel de colis d'aliments et boissons, les dons aux démunis, et un festin de célébration. Pourim est également riche en coutumes, des mascarades et déguisements. Mais dans l’Algérie des années 50, seul l’échange de douceurs et le festin avaient résisté au vent de modernisme qui soufflait sur le monde.
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Le printemps prenait ses aises à Alger.
Du haut de son balcon, Richard admirait le panorama qui se déroulait jusqu’aux contreforts de la casbah. La clarté du ciel allumait chaque mouvement d’une méditerranée endormie et décorait les arbres de bourgeons multicolores. Dame nature jouait une symphonie que le chant des oiseaux cadençait au rythme de sa fantaisie.
Richard était bien. En ce samedi matin, il ne se pressait pas. Au jardin Guillemin, des gosses imitaient les vedettes locales en tapant dans une balle de deux sous, sous l’œil intéressé de quelques vieux messieurs élégants.
Le samedi ainsi que le dimanche, Alger conservait la bonne habitude de se « mettre sur son 31 » pour voir et être vu. Des jeunes accrochaient aux vestons des passants une petite canne blanche des « aveugles de France ». En compensation, l’adulte glissait une pièce de monnaie dans la tirelire en fer décorée d’une croix rouge qui était remis à l’association si tôt remplie.
Colette passait toute la matinée au lycée Lazerges. Aussi Richard eut tout loisir d’aller dire bonjour à Carla pour savoir si l’après midi se déroulerait rue Borély la Sapie. Il descendit quelques douceurs pour Carla : « c’est pour Kader » mentit-il.
Le marché Nelson, contrairement à celui de Bab El Oued qui débordait dans les rues avoisinantes, était enfermé derrière les grilles du jardin. Carla se tenait à l’entrée du marché, toujours aussi souriante et chamarrée de couleurs exubérantes. L’italienne dans toute sa splendeur, pensa Richard en songeant aux films napolitains de Sophia Loren. Chaque fois que son regard s’attardait, de loin, sur cette femme excessive, dans son comportement, son maquillage ou son habillement, Richard doutait de l’intérêt qu’il suscitait en elle mais au fur et à mesure qu’il s’en approchait, il lui fallait se rendre à l’évidence ; ce volcan en éruption était tout à fait humain tant son accueil était gracieux et la beauté de son sourire frisait la perfection.  

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