mercredi 4 mars 2015

il était une fois Bab El Oued

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED de Hubert Zakine.
EPILOGUE
Bab El Oued a perdu son âme en perdant ses bâtisseurs. Les pierres, les rues, les avenues, les places, les jardins, les plages lui survivent avec d’autres arguments, d’autres choix, d’autres sentiments. Les murs répercutent d’autres rites, d’autres voix, d’autres dialectes. Le pataouète a coupé le son de ses haut-parleurs et rompu le lien ombilical qui le liait au faubourg. Quant aux cafés devenus maures pour l’éternité, ils ignorent les chansons de Marino MARINI, Los ALCARSON ou Enrico MACIAS.
Les immeubles demeurent muets devant les dégradations dont ils sont les victimes expiatoires du « renouveau ». Les ascenseurs ont déserté les cages, les rampes de bois se sont envolées pour d’autres usages, jusqu’aux boites aux lettres qui pourraient raconter l’histoire de l’Algérie si elles n’avaient résisté à un vent de folie inexplicable qui les a arraché de leur socle.
Bab El Oued manque aux enfants du faubourg exilés qui revoient sans cesse défiler ce décor sublime, jadis invisible à force d’habitude mais devenu si beau à force de solitude. Dans le pays de nostalgie où ils ont posé les valises, ils songent à cette amitié d’enfance, fontaine de jouvence qui désaltérait leur enthousiasme sans en mesurer la prépondérance. Amitié dérobée, senteur familière éventée, lumière tamisée, le nouvel horizon de ces enfants du soleil et de la mer ressemble à une terre aride où ne poussent qu’amertume et regret.
Les familles disloquées par l’exode tentent de reconstituer le puzzle dont chaque morceau rappelle une rue, une place, une maison de Bab El Oued. Le fatalisme oriental qui imprégna l’enfant du faubourg se heurte à la rage, à la colère parfois, à la nostalgie toujours.
Le français de métropole se remémore des pans entiers de son enfance par une simple visite au pays de ses souvenirs. Revoir une rue, une école, un jardin le conduit à entrouvrir le musée d’autrefois. Il lui suffit de prendre sa voiture, le train ou l’avion et il court sur des chemins qui le reconnaissent. Et même si la révélation d’une image dépaysée par la course du temps s’est évaporée, le décor, ce tuteur de la mémoire revisitée, le renvoie inévitablement au passé.
Le pied noir de Bab El Oued ou d’ailleurs, le déraciné aux arbres calcinés, l’orphelin aux pieds nus, se gargarise d’histoires de là-bas, racontées, râbachées, éreintées lors de retrouvailles épisodiques ; ces rencontres, naviguant sur la vague mourante de réminiscences anciennes, s’appuient sur des images servies par des cartes postales jaunissantes.
La plupart de ces naufragés des temps modernes refusent de faire le chemin à l’envers de peur d’abîmer les souvenirs. Alors, ils parlent de là-bas, de Bab El Oued, du pays de leurs jeunes années mais cette vaccination orale contre le fléau de l’oubli ne les dédouanne pas de la pastellisation des images d’autrefois.
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Même délabré, même sali par les immondices qui encombrent les rues, même délabré par le manque d’entretien, Bab El Oued continue d’exister physiquement, géographiquement, historiquement. Mais, traversé par le souvenir d’une France latine, creuset de toutes les influences de Méditerranée orientale, barbouillé de tricolore et de patriotisme, vibrant d’un langage imaginé par ses enfants venus de partout et de nulle part, il voyage en pays de souffrance, orphelin d’Espagne, d’Italie et d’Israël depuis le tragique abandon de juin 62. Terre engloutie par la fureur marine du vent de l’histoire, il allonge la liste des mondes disparus qui s’effacera de la mémoire des hommes au dernier soupir du dernier des survivants pour se perdre à jamais en pays de nostalgérie.
Alors, l’oubli enveloppera de son épaisse fourrure couleur de deuil, la terre natale, la ville natale, le quartier natal : BAB EL OUED

1 commentaire:

  1. Oui Hubert, lorsque tous ses enfants partirons vers d'autres cieux, Bab el oued n'existera plus.
    Même si je raconte l'histoire de ce quartier à mes enfants de par mon vécu, le ressenti est différent.
    J'y vais tous les ans en pèlerinage et je constate cette dégradation flagrante des rues de Bab el oued. Quelle tristesse...

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