mardi 3 mars 2015

extrait de ET LA VIE CONTINUE.............. de Hubert Zakine


RICHARD


Assis à la terrasse, Richard prolongeait ce moment magique, silencieux parmi la cohue de la plage. Son regard  se perdait  dans le flou de ses pensées. La multitude allait et venait sur la promenade des gens heureux. A nouveau solitaire, il revisitait  les instants délicieux qu’il partagea auprès d’une sirène de Bandol.

Ne pas rêver. Pour ne pas espérer. Même si cette rencontre lui avait révélé le bonheur d’effleurer un sourire féminin. Même si la vie lui semblait plus belle auprès d’une complice, il ne désirait pas prêter le flanc à une amertume de plus. Peut-on croire à une amitié platonique entre une jolie déesse et un homme qui aime les femmes?

Question restée en suspens, il décida de continuer à promener sa solitude sans se poser de questions. Une solitude qui sera, au fil du temps,  la compagne fidèle qu’il faudra bien apprivoiser. Se contenter de regarder les autres gesticuler en restant assis sur sa chaise. Comme ces jeunes gens, sur la plage, qui s’escriment à se disputer une suprématie de volleyeurs. Pour la première fois, il  prenait du plaisir à défier la jeunesse du regard. Marie avait peint une autre approche de sa vie d’homme handicapé. Il lui fallait faire abstraction de sa déchéance et profiter des joies réservées par sa destinée. Cela demandera  de la force de caractère mais les instants  de bonheur que lui soldait l’existence était à ce prix. Il lui fallait revenir à ses premières amours de l’insouciance. A quoi bon se lamenter sur son sort? Aller de l’avant, même sur un fauteuil  ou avec une canne. Changer son fusil d’épaule et croire encore à l’impossible. Était-ce encore possible, là était le problème.

*****

En regardant la jeunesse de Saint-Cyr gambader dans la méditerranée, il songea aux dimanches algérois de sa jeunesse. Les plages  de la Madrague et de Pointe-Pescade attiraient les dragueurs de la capitale car, disait-on, défilaient les plus jolies filles d’Alger. C’était une grande farandole de rires, de démesures, de rodomontades et de regards en coin. Richard faisait partie de ce monde pittoresque et chaleureux qui ne prenait que la mort au sérieux. Après le grand exode, les enfants du soleil d’Algérie avaient été ses seules fréquentations. Jamais, il n’avait cherché l’amitié d’un métropolitain. Tout au plus avait-il accepté d’entrer dans l’intimité d’un camarade de travail, refusant une relation avec des gens envers qui il gardait une rancune tenace. Sa mémoire n’était  pas parvenue à cicatriser la blessure de l’abandon de l’Algérie. Personne ne comprenait pourquoi la perte de son pays l’avait tant marqué. Aussi, s’était-il contenté de conserver ses amitiés d’enfance et de fermer la porte à l’aventure humaine. Parmi les siens, certains lui reprochaient son intransigeance. Il n’en avait que faire. A cœur perdu, il respectait le souvenir de son ami qu’une balle assassine avait fauché à l’aube de ses dix-huit printemps.  Et s’il n’en restait qu’un, il serait celui qui se souviendra.

*****

MARIE

Marie était satisfaite de son entrevue avec Richard. En quelque sorte, il entérinait, à travers  ses ouvrages et ses propos, l’amour de son père pour la capitale de l’Algérie. Elle était heureuse d’avoir mis un visage sur l’homme qui en parlait si bien.

Bien sûr, elle avait été secouée par la révélation de son handicap mais l’avait oublié sitôt la discussion entamée.

Muriel avait poussé son amie dans ses derniers retranchements tout au long de la journée. Très fleur bleue malgré son tempérament, elle avait imaginé une idylle entre l’auteur et la correctrice.

Marie s’employa à réfuter d’un revers de la main cette hypothèse.

--Cela aurait fait un bon scénario de film mais dans la réalité, ça ne se passe jamais ainsi!

--Alors, dis-moi, comment  est-il?

Marie renonça à lui dépeindre Richard tel qu’il était.

--C’est un gros patapouf! Si tu veux, je peux te le présenter! Plaisanta-t-elle.

Muriel parlait de tout et de rien, de son amant du moment, de son travail, de ses espoirs mais Marie ne l’écoutait pas. Elle pensait à son écrivain qui  n’avait rien du gros patapouf mais un homme d’une cinquantaine d’années bien séduisant. Chevelure à peine enfarinée et regard  très noirs, il était l’archétype du méditerranéen à la peau très mate. Il avait dû séduire bien des femmes sensibles à son charme oriental.

--Hou! Hou! A quoi tu penses?

Subitement revenue à la réalité, Marie n’eut d’autre réaction que la vérité.

--Je pensais à mon écrivain.

--Au gros patapouf?

--Il est loin d’être un gros patapouf. Au contraire, il pourrait même me plaire!

--Et pourquoi tu m’as menti, alors?

--je l’ignore! La réponse est sortie toute seule sans même réfléchir!

--Mais il te plaît vraiment?

Marie respira un grand coup avant de se caler sur sa chaise.

--Je ne t’ai pas tout dit.

--Quoi, tu ne vas pas me dire que tu as couché

--Mais non! Qu’est ce tu vas chercher là? On est restés toute l’après-midi à discuter! De mon père, de l’Algérie, de ses livres, de tout et de rien!

--Et alors?

--Il est handicapé!

Muriel hésita puis se laissa aller à une moue désolée.

-- Il est handicapé? Mais, tu ne m’as pas dit qu’il te plaisait ?

--Oui et pour corser le tout, il a une cinquantaine d’années.

Pour toute réponse, Muriel haussa les sourcils. Elle connaissait son amie qui ne faisait rien comme tout le monde.

--Ah, non, hein! Je t’en prie, tu as assez de soucis comme ça,  Déjà que ton refus de t’impliquer dans une véritable histoire d’amour avec un homme normal est incompréhensible, tu ne vas maintenant t’enticher d’un vieil handicapé!

--Tu fais les demandes et les réponses! Qui t’a dit que je voulais m’impliquer dans une histoire avec cet homme.

--De la façon dont tu en parles……..

--Ne te fais pas de soucis. J’ai la tête sur les épaules !

--Ah bon, un instant, tu m’as fait peur!

Restée seule, Marie pensa à la mise en garde de son amie. Cet homme, de par son âge et son origine, évoquait celui qui lui manquait plus que de raison. Elle savait que l’image de son père s’estomperait avec le temps mais elle ferait tout pour la conserver intacte dans sa mémoire. Le meilleur moyen d’y parvenir était d’entretenir la braise du souvenir. Au besoin de se transformer en conservatrice du musée dédié à son géniteur en écrivant le roman de sa vie. Et elle comptait sur la fréquentation de son auteur pour rafraîchir sa mémoire lorsqu’elle serait défaillante.


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