RICHARD
Assis à la terrasse, Richard prolongeait ce moment magique, silencieux parmi la cohue de la plage. Son regard se perdait dans le flou de ses pensées. La multitude allait et venait sur la promenade des gens heureux. A nouveau solitaire, il revisitait les instants délicieux qu’il partagea auprès d’une sirène de Bandol.
Ne pas rêver. Pour ne pas espérer. Même si cette
rencontre lui avait révélé le bonheur d’effleurer un sourire féminin. Même si
la vie lui semblait plus belle auprès d’une complice, il ne désirait pas prêter
le flanc à une amertume de plus. Peut-on croire à une amitié platonique entre
une jolie déesse et un homme qui aime les femmes?
Question restée en suspens, il décida de continuer à
promener sa solitude sans se poser de questions. Une solitude qui sera, au fil
du temps, la compagne fidèle qu’il
faudra bien apprivoiser. Se contenter de regarder les autres gesticuler en
restant assis sur sa chaise. Comme ces jeunes gens, sur la plage, qui
s’escriment à se disputer une suprématie de volleyeurs. Pour la première fois,
il prenait du plaisir à défier la
jeunesse du regard. Marie avait peint une autre approche de sa vie d’homme
handicapé. Il lui fallait faire abstraction de sa déchéance et profiter des
joies réservées par sa destinée. Cela demandera
de la force de caractère mais les instants de bonheur que lui soldait l’existence était
à ce prix. Il lui fallait revenir à ses premières amours de l’insouciance. A
quoi bon se lamenter sur son sort? Aller de l’avant, même sur un fauteuil ou avec une canne. Changer son fusil d’épaule
et croire encore à l’impossible. Était-ce encore possible, là était le
problème.
*****
En regardant la
jeunesse de Saint-Cyr gambader dans la méditerranée, il songea aux dimanches
algérois de sa jeunesse. Les plages de
la Madrague et de Pointe-Pescade attiraient les dragueurs de la capitale car,
disait-on, défilaient les plus jolies filles d’Alger. C’était une grande
farandole de rires, de démesures, de rodomontades et de regards en coin.
Richard faisait partie de ce monde pittoresque et chaleureux qui ne prenait que
la mort au sérieux. Après le grand exode, les enfants du soleil d’Algérie
avaient été ses seules fréquentations. Jamais, il n’avait cherché l’amitié d’un
métropolitain. Tout au plus avait-il accepté d’entrer dans l’intimité d’un
camarade de travail, refusant une relation avec des gens envers qui il gardait
une rancune tenace. Sa mémoire n’était
pas parvenue à cicatriser la blessure de l’abandon de l’Algérie.
Personne ne comprenait pourquoi la perte de son pays l’avait tant marqué.
Aussi, s’était-il contenté de conserver ses amitiés d’enfance et de fermer la
porte à l’aventure humaine. Parmi les siens, certains lui reprochaient son
intransigeance. Il n’en avait que faire. A cœur perdu, il respectait le
souvenir de son ami qu’une balle assassine avait fauché à l’aube de ses
dix-huit printemps. Et s’il n’en restait
qu’un, il serait celui qui se souviendra.
*****
MARIE
Marie était satisfaite de son entrevue avec Richard. En
quelque sorte, il entérinait, à travers
ses ouvrages et ses propos, l’amour de son père pour la capitale de l’Algérie.
Elle était heureuse d’avoir mis un visage sur l’homme qui en parlait si bien.
Bien sûr, elle avait été secouée par la révélation de son
handicap mais l’avait oublié sitôt la discussion entamée.
Muriel avait poussé son amie dans ses derniers retranchements
tout au long de la journée. Très fleur bleue malgré son tempérament, elle avait
imaginé une idylle entre l’auteur et la correctrice.
Marie s’employa à réfuter d’un revers de la main cette
hypothèse.
--Cela aurait fait
un bon scénario de film mais dans la réalité, ça ne se passe jamais ainsi!
--Alors, dis-moi,
comment est-il?
Marie renonça à lui dépeindre Richard tel qu’il était.
--C’est un gros
patapouf! Si tu veux, je peux te le présenter! Plaisanta-t-elle.
Muriel parlait de tout et de rien, de son amant du
moment, de son travail, de ses espoirs mais Marie ne l’écoutait pas. Elle
pensait à son écrivain qui n’avait rien
du gros patapouf mais un homme d’une cinquantaine d’années bien séduisant.
Chevelure à peine enfarinée et regard
très noirs, il était l’archétype du méditerranéen à la peau très mate.
Il avait dû séduire bien des femmes sensibles à son charme oriental.
--Hou! Hou! A quoi
tu penses?
Subitement revenue à la réalité, Marie n’eut d’autre
réaction que la vérité.
--Je pensais à mon
écrivain.
--Au gros patapouf?
--Il est loin
d’être un gros patapouf. Au contraire, il pourrait même me plaire!
--Et pourquoi tu
m’as menti, alors?
--je l’ignore! La
réponse est sortie toute seule sans même réfléchir!
--Mais il te plaît
vraiment?
Marie respira un grand coup avant de se caler sur sa
chaise.
--Je ne t’ai pas
tout dit.
--Quoi, tu ne vas
pas me dire que tu as couché…
--Mais non! Qu’est
ce tu vas chercher là? On est restés toute l’après-midi à discuter! De mon
père, de l’Algérie, de ses livres, de tout et de rien!
--Et alors?
--Il est handicapé!
Muriel hésita puis se laissa aller à une moue désolée.
-- Il est
handicapé? Mais, tu ne m’as pas dit qu’il te plaisait ?
--Oui et pour
corser le tout, il a une cinquantaine d’années.
Pour toute réponse, Muriel haussa les sourcils. Elle
connaissait son amie qui ne faisait rien comme tout le monde.
--Ah, non, hein! Je
t’en prie, tu as assez de soucis comme ça,
Déjà que ton refus de t’impliquer dans une véritable histoire d’amour
avec un homme normal est incompréhensible, tu ne vas maintenant t’enticher d’un
vieil handicapé!
--Tu fais les
demandes et les réponses! Qui t’a dit que je voulais m’impliquer dans une
histoire avec cet homme.
--De la façon dont
tu en parles……..
--Ne te fais pas de
soucis. J’ai la tête sur les épaules !
--Ah bon, un
instant, tu m’as fait peur!
Restée seule, Marie pensa à la mise en garde de son amie.
Cet homme, de par son âge et son origine, évoquait celui qui lui manquait plus
que de raison. Elle savait que l’image de son père s’estomperait avec le temps
mais elle ferait tout pour la conserver intacte dans sa mémoire. Le meilleur
moyen d’y parvenir était d’entretenir la braise du souvenir. Au besoin de se
transformer en conservatrice du musée dédié à son géniteur en écrivant le roman
de sa vie. Et elle comptait sur la fréquentation de son auteur pour rafraîchir
sa mémoire lorsqu’elle serait défaillante.
*****
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