samedi 28 février 2015

MON ENFANCE A L'ESPLANADE de Hubert Zakine.


Mon enfance

a

l’esplanade

 

HUBERT ZAKINE

Dans mon quartier, on était une chiée plus quinze.
Les amis, les copains, et puis ceux qu'on pouvait pas voir en peinture, les camarades de l'école à qui on parlait du bout des lèvres parce qu'on pouvait pas faire autrement, ceux qu'on traitait de fils à pep parce qu'ils se faisaient la raie bien droite dans les cheveux et qui mettaient la gomina même qu'on se faisait un plaisir de décoiffer, ceux qu'on prenait pour des tapettes ( pédérastes) parce qu'ils mettaient les habits du dimanche pour aller à l'école, et puis y avait nous ! Les plus beaux, les plus musclés, les plus intelligents qui tapaient cao (école buissonnière) pour un oui, pour un non, les plus fainéants que leurs mères, les pauvres, elles les voyaient en futurs docteurs, nous autres les petits  tombeurs de première, les Errol Flynn ou Marlon Brando de pacotille qui se recoiffaient tout le temps pour impressionner les apprenties Lana Turner ou Brigitte Bardot, les dégourdis qui laissaient leurs cartables chez l'épicière en sortant de l'école au lieu d'aller faire leurs devoirs, en un mot comme en cent dix-huit mille, on était une bande de joyeux cancres.
Paulo, Roland, Jacky, Victor et moi, unis comme les cinq doigts de la main qui prenaient la vie par le bout de l'insouciance.
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Mon quartier, il était situé à la frontière de Bab El Oued. Zarmah,(soit disant)  il était off limites! Les anciens y disent que les remparts y commençaient place du Grand Lycée, des autres, c'était Boulevard Général Farre. Mais, nos anciens, y parlent encore du quartier de l'Esplanade. Nous autres, les descendants de nos anciens, (tu montes tu descends, on est leurs descendants!) on s'en fout comme de notre premier biberon de connaître nos ancêtres. Il sera bien le temps de fouiller dans le  grenier de l'histoire de nos familles quand on sera des vieux schnoks. Histoire de l'Algérie ou histoire de France, dieu seul y sait! A savoir si je suis pas l'héritier de Godefroy de Bouillon (ce serait pour ça que ma mère, sara-sara, (de temps en temps) rien qu'elle veut nous faire du bouillon de légumes!) ou de Jeanne d'Arc (ma mère, toujours elle se demande pourquoi j'aime les flambées d'alcool)
Les habitants des autres quartiers ils disent que l'Esplanade, c'est grand genre et petits moyens. Qu'on fait  du zbérote (cinéma)  quand on parle, du genre quoi! Que les jeunes ils mollardent (crachent)  pas par terre toutes les cinq minutes, qu'ils se dobzent (cognent)  pas dans les entrées de maison, que zarmah, on est respectueux (qué respectueux, on sait même pas ce que ça veut dire), qu'on sort les mots de l'armoire, enfin qu'on est des fils à pep, si on n'est  pas des chochottes (précieuses).
Bien faire et laisser dire! La caravane elle est passée depuis bien longtemps! Si j'étais british, je dirais "wait and see".
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La vérité, je sais pas si je relève l'insulte ou je la laisse choir avec dédain. (chof, le parler châtié des chitanes de l'Esplanade.) Mais aouah, je vais pas m'abaisser à discuter avec tous les babaos (abrutis) des autres quartiers de Bab El Oued sinon j'ai plus fini. Ralah (collant) et compagnie. Une parenthèse, mon professeur d'anglais, il s'appelait Moktari. Pour des petits pieds noirs et des petits musulmans à fort accent pataouète,  bizarre, vous avez dit bizarre, comme c'est bizarre!
C'est vrai qu'à l'Esplanade,  quand on tousse, presque 'on s'excuse de faire du bruit alors que les autres y rotent un maximum sans gêne, sans excuse et sans pantalon. Mais à part ça, on est pareils. Dans le même moule, comme si on avait qu'une seule mère. Comme deux gouttes d'anisette, on se ressemble. "Qui se ressemble, s'assemble!" S'assemble, ça  semble bizarre!
Louis Jouvet y doit se retourner dans sa tombe. J’le vois de là  à se demander d’où on vient avec ce drôle d’accent. Mi-arabe, mi-juif, mi-espagnol et mi-italien, même si ça fait quatre moitiés, nous autres, quand on aime, on compte pas!
Zarmah, le pathos, il a pas d’accent. Heureusement que Marcel Pagnol il a fait des films avec  Raimu, Fernandel, Andrex (je pourrais citer tout le bottin de Provence mais la vérité j’ai pitié de vous).  Sinon, on aurait pas de preuve à fournir au commissaire du 36 quai des orfèvres que son accent de Parisien y sent l'hôtel du nord à plein nez.
 


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