Dans
mon quartier, on était une chiée plus quinze. Les amis, les
copains, et puis ceux qu'on pouvait pas voir en peinture, les
camarades de l'école à qui on parlait du bout des lèvres parce
qu'on pouvait pas faire autrement, ceux qu'on traitait de fils
à pep
parce qu'ils se faisaient la raie bien droite dans les cheveux et qui
mettaient la gomina même qu'on se faisait un plaisir de décoiffer,
ceux qu'on prenait pour des tapettes
(
pédérastes)
parce qu'ils mettaient les habits du dimanche pour aller à l'école,
et puis y avait nous ! Les plus beaux, les plus musclés, les plus
intelligents qui tapaient
cao (école buissonnière)
pour un oui, pour un non, les plus fainéants que leurs mères, les
pauvres, elles les voyaient en futurs docteurs, nous autres les
petits tombeurs de première, les Errol Flynn ou Marlon Brando de
pacotille qui se recoiffaient tout le temps pour impressionner les
apprenties Lana Turner ou Brigitte Bardot, les dégourdis qui
laissaient leurs cartables chez l'épicière en sortant de l'école
au lieu d'aller faire leurs devoirs, en un mot comme en cent dix-huit
mille, on était une bande de joyeux cancres.
Paulo,
Roland, Jacky, Victor et moi, unis comme les cinq doigts de la main
qui prenaient la vie par le bout de l'insouciance.
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Mon
quartier, il était situé à la frontière de Bab El Oued.
Zarmah,(soit
disant) il était off
limites!
Les anciens y disent que les remparts y commençaient place du Grand
Lycée, des autres, c'était Boulevard Général Farre. Mais, nos
anciens, y parlent encore du quartier de l'Esplanade. Nous autres,
les descendants de nos anciens, (tu montes tu descends, on est leurs
descendants!) on s'en fout comme de notre premier biberon de
connaître nos ancêtres. Il sera bien le temps de fouiller dans le
vieux grenier de l'histoire de nos familles quand on sera des vieux
schnoks.
Histoire de l'Algérie ou histoire de France, dieu seul y sait! A
savoir si je suis pas l'héritier de Godefroy de Bouillon (ce serait
pour ça que ma mère, sara-sara,
(de temps en temps) rien
qu'elle veut nous faire du bouillon de légumes!) ou de Jeanne d'Arc
(ma mère, toujours elle se demande pourquoi j'aime les flambées
d'alcool)
Les
habitants des autres quartiers ils disent que l'Esplanade, c'est
grand
genre et petits moyens.
Qu'on fait du zbérote
(cinéma)
quand on parle, du genre quoi! Que les jeunes ils
mollardent (crachaient) pas
par terre toutes les cinq minutes, qu'ils se dobzent
(cognent)
pas dans les entrées de maison, que
zarmah,
on est respectueux (qué
respectueux, on sait même pas ce que ça veut dire), qu'on sort
les mots de l'armoire,
enfin qu'on est des
fils à pep,
si on n'est pas des chochottes
(précieuses).
Bien
faire et laisser dire! La caravane elle est passée depuis bien
longtemps! Si j'étais british, je dirais "wait and see".
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La
vérité, je sais pas si je relève l'insulte ou je la laisse choir
avec dédain. (chof, le parler châtié des
chitanes
de l'Esplanade.) Mais aouah,
je vais pas m'abaisser à discuter avec tous les babaos
(abrutis)
des autres quartiers de Bab El Oued sinon j'ai plus fini. Ralah
(collant)
et compagnie. Une parenthèse, mon professeur d'anglais, il
s'appelait Moktari. Pour des petits pieds noirs et des petits
musulmans à fort accent pataouète,
bizarre, vous avez dit bizarre, comme c'est bizarre!
C'est
vrai qu'à l'Esplanade, quand on tousse, presque 'on s'excuse de
faire du bruit alors que les autres y rotent un maximum sans gêne,
sans excuse et sans pantalon. Mais à part ça, on est pareils. Dans
le même moule, comme si on avait qu'une seule mère. Comme deux
gouttes d'anisette, on se ressemble. "Qui se ressemble,
s'assemble!" S'assemble, ça semble bizarre!
Louis
Jouvet y doit se retourner dans sa tombe. J’le vois de là à se
demander d’où on vient avec ce drôle d’accent. Mi-arabe,
mi-juif, mi-espagnol et mi-italien, même si ça fait quatre moitiés,
nous autres, quand on aime, on compte pas!
Zarmah,
le pathos,
il a pas d’accent. Heureusement que Marcel Pagnol il a fait des
films avec Raimu, Fernandel, Andrex (je pourrais citer tout le
bottin de Provence mais la vérité j’ai pitié de vous). Sinon,
on aurait pas de preuve à fournir au commissaire du 36
quai des orfèvres que
son accent de Parisien y sent l'hôtel
du nord à
plein nez.
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