Sans
contrainte, il papillonna auprès de charmantes demoiselles avant de
feuilleter un joli roman d’amour qui ne dura que l’instant d’un
rêve. Toute déception avalée, son métier lui ouvrit tant de
fleurs qu’il s’éloigna de la relation sérieuse qui aurait pu
emprisonner son cœur. Marseillais d’adoption, son ami d’enfance
lui vanta les mérites du climat provençal et il ne lui fallut guère
de temps pour se remémorer la douceur de la méditerranée. A
quarante ans, il débarqua avec armes et bagages dans le Var où il
rencontra LA femme de sa vie. Finies les amours d’une nuit, il se
rangea aux côtés de cette âme blessée qu’il eut bien du mal à
apprivoiser. Stabilisé dans sa vie affective, il ouvrit un studio
photo dans la cité balnéaire de Saint-Cyr les Lecques. L’aubade
des cigales accompagna ses journées ensoleillées entre amour,
photographie et littérature. La vie lui paraissait sereine, il
écrivait, se baignait, aimait et était aimé. Du moins le
croyait-il avant son AVC.
Aujourd’hui,
la jolie mouette avait déserté le rivage marin. Au handicap de son
corps meurtri se greffa celui de son cœur qui le laissa désemparé
mais la vie capricieuse s’agrippa à ses basques.
A
présent, il laissait le vent, la pluie et le soleil lui dicter son
emploi du temps. Au hasard des jours, il attendait.
--Hé
qu’est-ce tu veux qu’il m’arrive de plus?
--Et
je sais moi? Il faut toujours espérer! Tu m’as parlé de cette
fille, là. A savoir si elle va pas te sauter dessus!
Julien
était le même. Toujours le mot pour rire. A la limite de la
plaisanterie de potache, il retrouvait l’exubérance de ses quinze
ans dès qu’il rencontrait une amitié d’enfance. De temps à
autre, il lui faisait la surprise en fin de semaine. Les mains
toujours pleines de denrées orientales, Il n’oubliait jamais les
tramousses de leur enfance dont ils raffolaient. Assis à la
table préférée de Richard, ils décortiquaient avec soin ces
graines de lupins très prisées en Algérie en sirotant une
Orangina. Boire une Orangina était, en quelque sorte, un moyen de
prolonger le pays au même titre que l’indispensable et
traditionnelle khémia qui accompagne toute anisette.
L’Orangina avait pris naissance sur les bords de la Mitidja. Léon
Beton, natif de Boufarik s'inspira de l'invention d’un pharmacien
espagnol pour en tirer son goût inimitable.
--Tu
l’as draguée?
--Mais
tu as des œillères ou quoi? C’est fini, la drague pour moi!
--Et
pourquoi, tu n’es pas bossu, quand même!
--Allez,
va te faire, va!
--Mais
ma parole Richard, les filles elles ne réagissent pas comme nous. Ma
femme elle est persuadée que tu peux lever……
--
Des sacs de pommes de terre, je peux même plus lever.
Julien
insistait lourdement mais croyait fermement que la vie amoureuse de
son ami était loin d’être finie.
--Une
femme ne te demandera pas de lever des sacs de pommes de terre. Si tu
es capable de la faire monter au septième ciel, le tour est joué.
Soudain
inquiet, il interrogea Richard:
--Tu
es capable, hein?
Richard
toisa Julien et en souriant affirma.
--Grâce
à dieu, de ce côté-là, ça marche!
--Et
alors qu’est-ce tu attends? Tu ne crois quand même pas qu’elles
vont te tomber toutes rôties?
--
Lâche-moi la grappe, un peu! J’ai fait une croix sur ma vie
sexuelle comme je l’ai fait dans d’autres domaines! Un point
c’est tout! Tu crois que je peux nager, me couper les cheveux,
faire des photos, conduire, même conduire je peux plus! Et tu veux
que je drague?
Il
amplifia son propos en se tapotant l’index sur le front en
ajoutant: ça
va pas la tête!
*****
SOUVENIRS,
SOUVENIRS
La
bande s’était connue sur les bancs de la maternelle de la rue
Rochambeau à Bab El Oued dans ce pays où l’amitié s’écrivait
en lettres majuscules et trouvait un terrain propice sur le chemin
des écoliers. Car là-bas, lâchée dans les grands espaces de la
vie, l’enfance appréhendait l’amitié dès le plus jeune âge.
Des hordes de gamins désertaient les appartements, coursives et
paliers des premiers émois pour s’émanciper par la rue qui
devenait, alors, le principal terrain de jeux.
A
présent, la bande d’Alger, amputée de deux membres qui avaient
mis en pratique la profession de foi l’an prochain à Jérusalem
en rejoignant la terre promise, se portait secours en
resserrant les liens de jadis contre l’épouvantail de l’oubli.
Colette
et Julia, voisines de palier à Bab El Oued, avaient partagé leurs
enfance avec Paulo et Jacky au cours de jeux bien innocents. Puis
l’amour avait émancipé leurs relations qui s’étaient
poursuivies à Paris et ce qui devait arriver, arriva. Deux mariages
simultanés pour une entente des deux couples quasi parfaite où
l’amitié et l’amour se conjuguaient à tous les temps du verbe
Aimer. Les quatre membres de cette grande famille par l’affection
conquise s’étaient portés secours sur l’île de la nostalgie
sans même s’en rendre compte et l’adaptation à la vie
parisienne en fut grandement facilitée. L’image brûlante de leur
terre natale était toujours là mais la douleur de leur exode se
diluait entre souvenirs et regrets d’une enfance incomparable. Les
deux Algéroises étaient chagrinées de voir le couple de Roland et
Bernadette se dissoudre dans la tempête de l’incompréhension et
se félicitaient chaque jour de s’être mariées dans leur rue même
si le quartier de leur enfance voyageait au large de la méditerranée.
Le
repas se passa dans la bonne humeur, l’ironie et la dérision en
fer de lance jusqu’à une heure avancée qui fit déclarer à
l’hôtesse qu’il faudrait mettre les matelas parterre
selon une vieille coutume qui avait cours sur l’autre versant de la
Méditerranée. Proposition qui étonna Bernadette et déclencha
l’hilarité générale. Cette fille du nord se voyait sans cesse
confrontée à l’humeur vagabonde et primesautière de la bande qui
semblait ne pas prendre la vie au sérieux. Le tape-cinq et la
raillerie en bandoulière, toujours prêts à rire de rien et de
tout, ils prolongeaient leur enfance douloureusement interrompue.
--Vendredi,
vous faites shabbat avec nous? proposa Paulo à la ronde.
--Moi,
je suis chez mes parents! Objecta Roland
--Encore?
Se lamenta Bernadette jetant un froid qui glaça l’atmosphère que
Roland accentua en répliquant de bien mauvaise humeur:
--Ne
t'en fais pas, bientôt ils vont aller s'installer à Cagnes sur mer!
Tu auras plus à les supporter!
Richard tenta de
détendre l'atmosphère en donnant la raison de son refus.
--Moi
je shabbat à la maison avant de sortir avec une petite cochonne!
*****
LE
RETOUR AUX SOURCES
Le
samedi matin, tous les amis se retrouvaient "au rendez-vous des
Algérois" pour taper l'anisette et se replonger dans l'ambiance
de là-bas. Un grand mur blanc reflétait l'image du pays perdu sur
un grand tableau représentant "leur" Alger avec le
littoral qui s'étendait jusqu'à Saint Eugène dominé par la
basilique de "leur" Notre Dame d'Afrique. Le regard des
clients caressait le tableau à chaque gorgée et chacun se
remémorait le paradis perdu en sirotant une petite anisette qui
adoucissait la nostalgie omniprésente de ce coin d'Algérie au cœur
de Paris.
Ce
rendez-vous n'était pas un prétexte pour boire comme des ivrognes
mais pour respecter la tradition des enfants de Bab El Oued qui
aimaient partager l'amitié autour de la blanche anisette,
fidèle compagne de l'amitié des gens de ce pays. En berne à Paris,
l'identité méditerranéenne des enfants d'Algérie encore
traumatisés par un exode désarmant, avait besoin de recharger les
accus auprès d'une clientèle exclusivement "rapatriée".
Dans
cet établissement de la rue d'Hauteville où les tape-cinq et les
rires tonitruants résonnaient d'orientalisme, les disputes de bonne
santé prenaient le pas sur les discussions en catimini. Converser à
voix basse au risque de ne pas se faire entendre n'était pas
recommandé dans ces lieux tonitruants. Le samedi était un jour béni
pour ces orphelins de pays qui recherchaient des amis sinon de la
même ville, du moins du même département d'Afrique du nord. Là,
bien calés sur leurs nostalgies, ils refaisaient la guerre
d'Algérie, ironisaient sur "la grande Zohra", regrettaient
les occasions manquées du 13 Mai, invoquaient le départ de leur
terre natale mais préféraient se remémorer les rencontres de
football ASSE-GALLIA, leur enfance sur les plages de Padovani, de
Baïnem ou de la Madrague, les chitanes du quartier et le
souvenir de leurs maîtres d'école.
Rire
pour ne pas pleurer, telle était leur leitmotiv.
*****
MON ENFANCE A L'ESPLANADE EXTRAIT
Dans
mon quartier, on était une chiée plus quinze. Les amis, les
copains, et puis ceux qu'on pouvait pas voir en peinture, les
camarades de l'école à qui on parlait du bout des lèvres parce
qu'on pouvait pas faire autrement, ceux qu'on traitait de fils
à pep
parce qu'ils se faisaient la raie bien droite dans les cheveux et qui
mettaient la gomina même qu'on se faisait un plaisir de décoiffer,
ceux qu'on prenait pour des tapettes
(
pédérastes)
parce qu'ils mettaient les habits du dimanche pour aller à l'école,
et puis y avait nous ! Les plus beaux, les plus musclés, les plus
intelligents qui tapaient
cao (école buissonnière)
pour un oui, pour un non, les plus fainéants que leurs mères, les
pauvres, elles les voyaient en futurs docteurs, nous autres les
petits tombeurs de première, les Errol Flynn ou Marlon Brando de
pacotille qui se recoiffaient tout le temps pour impressionner les
apprenties Lana Turner ou Brigitte Bardot, les dégourdis qui
laissaient leurs cartables chez l'épicière en sortant de l'école
au lieu d'aller faire leurs devoirs, en un mot comme en cent dix-huit
mille, on était une bande de joyeux cancres.
Paulo,
Roland, Jacky, Victor et moi, unis comme les cinq doigts de la main
qui prenaient la vie par le bout de l'insouciance.
/////
Mon
quartier, il était situé à la frontière de Bab El Oued.
Zarmah,(soit
disant) il était off
limites!
Les anciens y disent que les remparts y commençaient place du Grand
Lycée, des autres, c'était Boulevard Général Farre. Mais, nos
anciens, y parlent encore du quartier de l'Esplanade. Nous autres,
les descendants de nos anciens, (tu montes tu descends, on est leurs
descendants!) on s'en fout comme de notre premier biberon de
connaître nos ancêtres. Il sera bien le temps de fouiller dans le
vieux grenier de l'histoire de nos familles quand on sera des vieux
schnoks.
Histoire de l'Algérie ou histoire de France, dieu seul y sait! A
savoir si je suis pas l'héritier de Godefroy de Bouillon (ce serait
pour ça que ma mère, sara-sara,
(de temps en temps) rien
qu'elle veut nous faire du bouillon de légumes!) ou de Jeanne d'Arc
(ma mère, toujours elle se demande pourquoi j'aime les flambées
d'alcool)
Les
habitants des autres quartiers ils disent que l'Esplanade, c'est
grand
genre et petits moyens.
Qu'on fait du zbérote
(cinéma)
quand on parle, du genre quoi! Que les jeunes ils
mollardent (crachaient) pas
par terre toutes les cinq minutes, qu'ils se dobzent
(cognent)
pas dans les entrées de maison, que
zarmah,
on est respectueux (qué
respectueux, on sait même pas ce que ça veut dire), qu'on sort
les mots de l'armoire,
enfin qu'on est des
fils à pep,
si on n'est pas des chochottes
(précieuses).
Bien
faire et laisser dire! La caravane elle est passée depuis bien
longtemps! Si j'étais british, je dirais "wait and see".
/////
La
vérité, je sais pas si je relève l'insulte ou je la laisse choir
avec dédain. (chof, le parler châtié des
chitanes
de l'Esplanade.) Mais aouah,
je vais pas m'abaisser à discuter avec tous les babaos
(abrutis)
des autres quartiers de Bab El Oued sinon j'ai plus fini. Ralah
(collant)
et compagnie. Une parenthèse, mon professeur d'anglais, il
s'appelait Moktari. Pour des petits pieds noirs et des petits
musulmans à fort accent pataouète,
bizarre, vous avez dit bizarre, comme c'est bizarre!
C'est
vrai qu'à l'Esplanade, quand on tousse, presque 'on s'excuse de
faire du bruit alors que les autres y rotent un maximum sans gêne,
sans excuse et sans pantalon. Mais à part ça, on est pareils. Dans
le même moule, comme si on avait qu'une seule mère. Comme deux
gouttes d'anisette, on se ressemble. "Qui se ressemble,
s'assemble!" S'assemble, ça semble bizarre!
Louis
Jouvet y doit se retourner dans sa tombe. J’le vois de là à se
demander d’où on vient avec ce drôle d’accent. Mi-arabe,
mi-juif, mi-espagnol et mi-italien, même si ça fait quatre moitiés,
nous autres, quand on aime, on compte pas!
Zarmah,
le pathos,
il a pas d’accent. Heureusement que Marcel Pagnol il a fait des
films avec Raimu, Fernandel, Andrex (je pourrais citer tout le
bottin de Provence mais la vérité j’ai pitié de vous). Sinon,
on aurait pas de preuve à fournir au commissaire du 36
quai des orfèvres que
son accent de Parisien y sent l'hôtel
du nord à
plein nez.
/////
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