A
l'Esplanade, comme dans tout Bab El Oued, on aimait les vivants et on
respectait les morts. A cause de la fameuse impératrice, vous savez
celle qui gonflait les bonbons de Napoléon III, la
percée qui aboutissait aux Bains des Familles délogea les anciens
cimetières de l’Esplanade. Après un tcherklala pas possible entre
les propriétaires de terrain, les promoteurs et les profiteurs, le
projet vit le jour en 1880 grâce à la confiscation municipale d'un
terrain appartenant à la famille Oualid, à Saint-Eugène,
limitrophe de Bab El Oued. Limitrophe ou off-limits, that's the
question?
Quand
on veut, on peut expliquer le pourquoi du comment de la controverse
sur le off-limits de l'Esplanade.
On
l'a déjà dit, les émigrants espagnols fondent Bab El Oued. En
1830, aimable comme une porte de prison, l'entrée de la ville (ou
la sortie c'est selon si tu rentres ou tu sors. La palisse, c'est
bibi) se dresse, sous les anciens remparts ottomans,
sensiblement, à hauteur de la caserne Pélissier et du Lycée
Bugeaud. En 18 ans, les immeubles poussent comme des champignons et
la ville étend ses bras vers Bab El Oued. Plus le temps y passe, et
plus le génie militaire il est obligé de se rendre compte que la
ville elle étouffe. Ni une, ni deux, comme le génie il est
intelligent, en 1848, y se prend pour Hercule et y déplace les
fortifications sur la place du Général Farre futur boulevard
Guillemin.,
Encore
douze ans de construction et de tcherklala, et en 1860, les portes
sont envoyées chez leur mère. Plus de portes, plus de frontières,
plus de off limits! Alger s'aère. Bab El Oued respire. Bab El Oued
est émancipée! Les portes marquaient la frontière de Bab-El-Oued.
Bab El Oued devient un quartier d'Alger. Bab El Oued est réunifié.
C'est
la fiesta bohémienne mais y'a toujours des empêcheurs de tourner en
rond! Peut-être que ces ignares y pensent qu'il vaut mieux tourner
en carré! Yaré, yaré! Ils restent avec l'ancienne image des
portes de 1830. Des rétrogrades, quoi! Mais petit à petit,
l'Esplanade, bien qu'elle revendique sa propre identité, devient
fille de Bab El Oued.
Purée,
ma parole, j'aurais dû faire prof d'histoire! Avec une serviette
sous le bras, des souliers pas cirées et des lunettes de laouère.
Genre Topaze! Aouah, qué j'm'en fiche de Charlemagne et de Godefroi
de Bouillon et de Roland de Roncevaux! Ah, ça y est, je sais,
j'aurais pu être prof d'histoire de l'Algérie! Ouahhhhh! C'est ma
mère qui aurait été contente! Qué dommage, quand même, hein,
c'est pêché!
/////
Allez
arrêtons de rêver va! La réalité elle a dépassé la fiction. On
est parti de l'Esplanade, une main devant, une main derrière, loin
de notre quartier, loin de nos amis, de nos copains et de
l'Esplanade, de Bab El Oued et des Trois Horloges, de la Basseta et
des Messageries, de nos cinémas, de nos petites fiancées, de l'ASSE
et du GALLIA, loin de tout ce qui faisait notre vie. J'ai plus le
coeur à plaisanter.
Je
pourrais dire: kirikiki, mon conte est fini mais je préfère laisser
le mot de la fin à Jean Brune qui parle un français moins pataouète
que le mien:
Enfin
l’Esplanade est le seul quartier d’Alger qui communie aussi
intimement avec la mer. Alger peut lancer vers elle la passerelle
moderne de l’avenue du 8 Novembre. L’Esplanade reste un bastion
bâti sur un rocher face aux colères du vent du large et aux
brisants sur lesquels vint mourir jadis un bateau qui s’appelait «
La Reine Mathilde ».
Nulle
part ailleurs qu’à l’Esplanade la mer n’est plus proche de la
ville, on en devine nulle part autant qu’ici la prodigieuse
présence vivante et nulle part ailleurs la vie citadine n’est
mieux rythmée par les échos alternés des grondements et des
murmures de la Méditerranée.
Quand
l’hiver fait rage, les embruns battent les avenues de l’Esplanade
comme le pont d’un navire.
Quand
l’été sourit les parfums de l’iode enchantent les aurores et
les crépuscules… et quelle que soit la saison, on retrouve sur les
ferrures rongées des balcons et des portes, les stigmates qui
font la noblesse des vieilles cités maritimes.
Par
un étrange paradoxe, ce faubourg d’Alger qui a voulu se donner un
visage de quartier bourgeois, est peut-être celui où les souvenirs
de l’Alger barbaresque restent les plus vivants.
Vue
de la mer l’Esplanade semble à peine superposée à une vieille
lithographie. Les bastions dont les murs plongent dans la mer sont
les mêmes qu’autrefois. Ils ont seulement reçu une destination
différente.
FIN
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