samedi 12 avril 2014

MON ENFANCE A L'ESPLANADE DE HUBERT ZAKINE


A l'Esplanade, comme dans tout Bab El Oued, on aimait les vivants et on respectait les morts. A cause de la fameuse impératrice, vous savez celle qui gonflait les bonbons de Napoléon III, la percée qui aboutissait aux Bains des Familles délogea les anciens cimetières de l’Esplanade. Après un tcherklala pas possible entre les propriétaires de terrain, les promoteurs et les profiteurs, le projet vit le jour en 1880 grâce à la confiscation municipale d'un terrain appartenant à la famille Oualid, à Saint-Eugène, limitrophe de Bab El Oued. Limitrophe ou off-limits, that's the question?
Quand on veut, on peut expliquer le pourquoi du comment de la controverse sur le off-limits de l'Esplanade.
On l'a déjà dit, les émigrants espagnols fondent Bab El Oued. En 1830, aimable comme une porte de prison, l'entrée de la ville (ou la sortie c'est selon si tu rentres ou tu sors. La palisse, c'est bibi) se dresse, sous les anciens remparts ottomans, sensiblement, à hauteur de la caserne Pélissier et du Lycée Bugeaud. En 18 ans, les immeubles poussent comme des champignons et la ville étend ses bras vers Bab El Oued. Plus le temps y passe, et plus le génie militaire il est obligé de se rendre compte que la ville elle étouffe. Ni une, ni deux, comme le génie il est intelligent, en 1848, y se prend pour Hercule et y déplace les fortifications sur la place du Général Farre futur boulevard Guillemin.,
Encore douze ans de construction et de tcherklala, et en 1860, les portes sont envoyées chez leur mère. Plus de portes, plus de frontières, plus de off limits! Alger s'aère. Bab El Oued respire. Bab El Oued est émancipée! Les portes marquaient la frontière de Bab-El-Oued. Bab El Oued devient un quartier d'Alger. Bab El Oued est réunifié.
C'est la fiesta bohémienne mais y'a toujours des empêcheurs de tourner en rond! Peut-être que ces ignares y pensent qu'il vaut mieux tourner en carré! Yaré, yaré! Ils restent avec l'ancienne image des portes de 1830. Des rétrogrades, quoi! Mais petit à petit, l'Esplanade, bien qu'elle revendique sa propre identité, devient fille de Bab El Oued.
Purée, ma parole, j'aurais dû faire prof d'histoire! Avec une serviette sous le bras, des souliers pas cirées et des lunettes de laouère. Genre Topaze! Aouah, qué j'm'en fiche de Charlemagne et de Godefroi de Bouillon et de Roland de Roncevaux! Ah, ça y est, je sais, j'aurais pu être prof d'histoire de l'Algérie! Ouahhhhh! C'est ma mère qui aurait été contente! Qué dommage, quand même, hein, c'est pêché!
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Allez arrêtons de rêver va! La réalité elle a dépassé la fiction. On est parti de l'Esplanade, une main devant, une main derrière, loin de notre quartier, loin de nos amis, de nos copains et de l'Esplanade, de Bab El Oued et des Trois Horloges, de la Basseta et des Messageries, de nos cinémas, de nos petites fiancées, de l'ASSE et du GALLIA, loin de tout ce qui faisait notre vie. J'ai plus le coeur à plaisanter.
Je pourrais dire: kirikiki, mon conte est fini mais je préfère laisser le mot de la fin à Jean Brune qui parle un français moins pataouète que le mien:
Enfin l’Esplanade est le seul quartier d’Alger qui communie aussi intimement avec la mer. Alger peut lancer vers elle la passerelle moderne de l’avenue du 8 Novembre. L’Esplanade reste un bastion bâti sur un rocher face aux colères du vent du large et aux brisants sur lesquels vint mourir jadis un bateau qui s’appelait « La Reine Mathilde ».
Nulle part ailleurs qu’à l’Esplanade la mer n’est plus proche de la ville, on en devine nulle part autant qu’ici la prodigieuse présence vivante et nulle part ailleurs la vie citadine n’est mieux rythmée par les échos alternés des grondements et des murmures de la Méditerranée.
Quand l’hiver fait rage, les embruns battent les avenues de l’Esplanade comme le pont d’un navire.
Quand l’été sourit les parfums de l’iode enchantent les aurores et les crépuscules… et quelle que soit la saison, on retrouve sur les ferrures rongées des balcons et des portes, les stigmates qui font la noblesse des vieilles cités maritimes.
Par un étrange paradoxe, ce faubourg d’Alger qui a voulu se donner un visage de quartier bourgeois, est peut-être celui où les souvenirs de l’Alger barbaresque restent les plus vivants.
Vue de la mer l’Esplanade semble à peine superposée à une vieille lithographie. Les bastions dont les murs plongent dans la mer sont les mêmes qu’autrefois. Ils ont seulement reçu une destination différente.

FIN






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