mercredi 5 mars 2014

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED DE HUBERT ZAKINE


 
 
 
 
CHAPITRE PREMIER
HISTORIQUE
LA NAISSANCE
Nous sommes en 1845. Hors les murs de la citadelle, un nommé LICHTEINSTEIN, de nationalité allemande, possède la jouissance d’un terrain de vingt-cinq hectares qu’il aurait acheté, pour « une poignée de figues », à un juif superstitieux, désirant se débarrasser de cet ancien cimetière........ israélite.
Son intention de créer une cité en lieu et place du conglomérat d’habitations utiles aux travailleurs qui œuvrent à l’édification et au renforcement des remparts de la ville est soumise au Président du Conseil, le Ministre Nicolas SOULT. Sitôt accepté, le projet voit le jour. La cité BUGEAUD sort de terre grâce au concours de nombreux industriels parmi lesquels quelques aventuriers, escrocs ou spéculateurs qui quitteront le pays, l’opprobre pour seul et unique bagage.
Bab El Oued naît dans la douleur. Les vieilles maisons de torchis, de bouse, de diss et de boue ne résistent pas à l’oued M’Kacel, lors des pluies diluviennes d’octobre qui enjambent le pont BAR CHICHA, construit sur le tombeau de ce grand Rabbin d’El Djézaïr. Pont qui sera détruit par l’oued, reconstruit et rebaptisé « pont de fer ».
Mais le ciel veille sur ce quartier qui comptera plus tard jusqu’à cent mille âmes. Au loin, se détachant sur l’azur, une masse claire se dresse, majestueuse et tentatrice. Cette carrière qui appartient au Procureur de la République à Constantine, Monsieur ROUBIERE, offre le calcaire bleu de ses entrailles pour bâtir le faubourg. Ceinturée de fours à chaux, non loin des jardins du Dey, la montagnette est vendue aux frères JAUBERT dont le nom restera accolé à la construction de Bab El Oued.
Les carriers valenciens retroussent leurs manches, imités bientôt par les maçons piémontais; les briqueteries et les fours à chaux tournent à plein régime, Bab El Oued troque ses habitations éphémères pour des maisons en dur. Suivent les commerces et les professions libérales. Les fortifications sont déplacées en 1848. Elles avancent vers le cœur de Bab El Oued, de la place MARGUERITTE du futur Lycée BUGEAUD à l’Esplanade NELSON, à hauteur du futur boulevard Général FARRE , à deux pas de la mer.
Bientôt, les écoles installent le savoir au centre du faubourg. De partout affluent des familles. La ronde des naissances ancre définitivement cette population issue de nulle part à ce quartier mythique.
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CHAPITRE PREMIER
HISTORIQUE
LA MORT
Bab-El-Oued l’Européenne meurt officiellement le jour de l’indépendance de l’Algérie. Mais ce quartier aux mille parfums d’épices, aux amitiés éternelles et aux fausses rancunes, aux coups de colère légendaires et aux visages burinés par le soleil et la mer a cessé d’exister avec le départ des premiers « exilés involontaires pour raison d’état ».
Le coup de grâce survient au mois de mars 1962 avec la signature des accords d’Evian, le blocus de Bab El Oued et la fusillade de la rue d’Isly. Dés lors, chacun s’emploie à prendre un billet d’avion ou de bateau afin de fuir la curée. Une tristesse indicible accompagne la descente aux enfers de ce peuple qui aurait pu donner des leçons d’optimisme et de joie de vivre au monde entier. Les pas des derniers promeneurs qui, par reflex d’habitude, par inconscience aussi, effectuent l’ultime « andar et venir1 », le dernier « paséo2 », la suprême « passegiata » de l’avenue de la Bouzaréah, se perdent dans l’assourdissante résonance d’un silence de mort. L’avenue ouverte aux quatre vents de l’amitié d’enfance, du voisinage des balcons, de la fureur des rues et du fou-rire de l’insouciance renvoie l’image d’un voyage au centre de la solitude. Les magasins aux yeux clos ont, pour la plupart, déjà tiré leur révérence. D’autres, vitrines exsangues et patrons sur le pas de la porte, attendent l’hypothétique clientèle. Ce petit homme au costume fané demeure à l’intérieur de son atelier d’horlogerie, dans cette autre maison où il a vu défiler les heures de sa vie et de son quartier. Devant sa machine à polir inerte, il écoute la musique insolite du silence. Comment prendre la décision de partir pour un ailleurs impossible et dérisoire ? Comment ?...
Le moindre bruit fait aujourd’hui sursauter des hommes et des femmes habitués à la fureur des pays méditerranéens où l’éclat de rire demeure le son le plus répandu. On se retourne machinalement pour s’assurer que personne n’a de mauvaises intentions ou dans l’espérance de voir une dernière fois un visage ami. Au détour d’un café dont le rideau reste désespérément baissé, la machine à remonter le temps entraîne vers la douceur des jours heureux lorsque la multitude envahissait ces temples de l’amitié qui s’égaraient parfois dans un verre d’anisette. Le temps s’est arrêté aux Trois Horloges lors du blocus de Bab El Oued. Ses aiguilles qui tricotaient la vie d’un petit peuple fier de la sueur des aïeux, qui battaient au rythme des chansons napolitaines, des mélopées judéo-arabes et des mandolines espagnoles avaient partagé les petites joies et les grandes peines de cette comédia dell’arte permanente qui sévissait dans le quartier. Elles se sont essoufflées à tenter de suivre la course endiablée de la jeunesse et le cœur fatigué, elles se sont éteintes avant l’heure, avant la déchirure, avant le grand départ. A jamais. A toujours.
Le cimetière des balcons accompagne le dernier convoi de l’exode. Des rangées d’épingles orphelines espèrent encore la grande parade multicolore du linge séchant au soleil. Témoignage de vie, témoignage de Méditerranée, les terrasses ouvertes sur la mer assistent au chaos d’un départ salvateur. Les persiennes de bois refermées, les immeubles semblent prolonger la sieste des fantômes du faubourg. La vie est partie de ce grand corps inerte. Le squelette de Bab El Oued mettra des années à se désintégrer. Les murs sont debout mais ils ne répercutent plus les bruits et les senteurs d’autrefois. Bab El Oued la française, Bab El Oued la tricolore, Bab El Oued l’européenne a glissé lentement de la réalité à l’imaginaire. Elle s’est fondue dans le moule commun du souvenir de ses enfants,
Elle n’est plus que NOSTALGIE.

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CHAPITRE DEUXIEME
ACTIVITES INTELLECTUELLES
ARTS ET LETTRES
Il est admis que l’une des raisons de la prise d’ALGER est due pour une grande part au consortium BACRI-BUSNACH. A la suite d’un tour de passe-passe dont ils avaient le secret, les deux négociants endettés auprès de la régence, revendirent à HUSSEIN DEY une lettre de créance que la France avait contractée envers le consortium. Le fameux coup d’éventail fut la conséquence de cette affaire mais non le détonateur de la conquête.
La « course1 » même si elle s’essoufflait considérablement et les prisonniers chrétiens furent selon les historiens les véritables raisons de l’engagement de la France dans cette aventure.
Toujours est-il que la famille BACRI a marqué de son empreinte l’histoire de l’Algérie et tous les ouvrages traitant ce sujet ne manquent pas de mentionner le rôle de Joseph « le vieux », Jacob qui se rendit au devant du Maréchal DE BOURMONT en tant que Chef de la Nation Juive dont l’intelligence influença plus d’une fois la politique française en Afrique du Nord.
Il me paraît tout naturel, à mon tour, de faire figurer dans cette mémoire de Bab El Oued deux descendants de cette illustre famille qui vécut dans la casbah judéo-arabe avant de « descendre au faubourg » rue du Roussillon.
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Le premier, car le plus âgé, est connu de tout un chacun pour ses calembours qui éclairèrent d’un jour nouveau « le Canard Enchaîné » de la grande époque. Il s’amusa tout au long de ses écrits à donner ses lettres de noblesse à sa famille, à son quartier et à sa ville natale.
Roland BACRI, c’est de lui qu’il s’agit, auteur entre autres de « et alors et voilà! », « le petit poète », « la légende des siestes », « le Roro », « l’obsédé textuel », « Trésor des racines pataouètes », « Le beau temps perdu », « les Rois d’Alger ». Il s’essaya sans se prendre au sérieux à la chanson, prétexte à des parodies désopilantes de la chanson pataouète sous le surnom de « RORO DE BAB EL OUED ».
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Son frère cadet versé, dès son plus jeune âge, dans la musique, n’est autre que Jean CLAUDRIC, pianiste, compositeur, chef d’orchestre de renom, arrangeur et accompagnateur des plus grandes vedettes de la chanson française. Né au 3 rue du Roussillon, à Bab El Oued en 1930, il « fait » le conservatoire d’Alger avant d’endosser le costume de pianiste au sein des orchestres de Lucien ATTARD et Lucky STARWAY. A 28 ans, sa virtuosité franchit la Méditerranée. Maurice CHEVALIER le choisit pour son prochain disque dont il sera l’arrangeur et le chef d’orchestre.
Lui emboîtent le pas, Joséphine BAKER, FERNANDEL, Les Compagnons de la Chanson, Marcel AMONT, Johnny HALLYDAY, Charles AZNAVOUR, Michel POLNAREFF, Mireille MATHIEU et bien entendu Enrico MACIAS pour lequel il compose nombre de succès tels « les filles de mon pays », « les gens du Nord » entre autres. Sous le pseudonyme de Sam CLAYTON, il écrit tous les succès de SHEILA et dirige parallèlement les orchestres symphoniques les plus prestigieux à travers le monde, tout en participant à de nombreux shows télé, spectacles de variétés et Eurovision. Il reçoit le grand prix de la SACEM en 1984.
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Sous le pseudonyme de DAXELY, Marcel BOUMENDJIL fit partie de ceux que l’on catalogua comme les acteurs fétiches du grand Marcel PAGNOL. Remarqué par le maître sur les planches de l’Alcazar de Marseille dont il fut pensionnaire de 1950 à 1966, il fit merveille sous la dégaine endiablée de Garrigou, le bedeau de la chapelle des « Trois messes basses » l’une des « Lettres de mon moulin ». Ses compositions de grand benêt hésitant dans la première version de « MANON DES SOURCES » ou dans celle du concierge de « MERLUSSE » marqua les esprits. Auprès de la capiteuse Tilda THAMAR, il tourna « La casaque dorée » avant d’accompagner Tino ROSSI dans « NAPLES AU BAISER DE FEU » interprétant avec talent le rôle de faire-valoir au cours d’une tournée qui dura…….six années.
Natif de Bab El Oued, oncle de Jean CLAUDRIC et Roland BACRI, ce comédien repéré par le « maître » provençal du cinéma français aurait pu faire une plus grande carrière si une sainte horreur des mondanités que certains prirent pour de la timidité, et un besoin viscéral de son environnement familial ne l’avaient ramené chez lui, à ALGER, à Bab El Oued
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Comment évoquer les gloires de Bab El Oued sans nommer celui qui est né le 23 Aout 1927 au quartier Guillemin, rue Thuillier exactement : Martial SOLAL.
Celui qui figure dans le grand dictionnaire du jazz débute à six ans. Il rejoint très jeune l’orchestre du regretté Lucky STARWAY avnt de passer professionnel en 1945.Il officie au sein d’orchestres prestigieux tels ceux de Aimé BARELLI ou Benny BENNETT . Mais ce qu’il désire avant tout c’est jouer au sein d’un quartet de jazz. Il crée sa propre formation et rencontre un énorme succès. En 1962, il est invité au festival de Newport
où son talent d’improvisateur génial lui vaut d’accompagner les plus grands, de Sydney BECHET à Django REINHARDT en passant par Art FARMER ou Stéphane GRAPELLY. Il compose quelques musiques de films dont « A bout de souffle » et « Léon Morin prêtre ».
Dans les pages de leur « Dictionnaire biographique des musiciens » les deux éminents spécialistes du jazz que sont BAKER et SLONIMSKY parlaient de l’enfant de Bab El Oued en ces termes : « Martial SOLAL est un musicien de génie dont le rôle dépasse largement les frontières du jazz et de l’Europe »
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A SUIVRE

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