jeudi 6 mars 2014

extrait de "IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED" de hubert zakine

Sylvio GUALDA est né dans un modeste appartement de la rue Maxime NOIRET au cœur de Bab El Oued. Il passe sa petite enfance à la maternelle de la rue Rochambeau. A cette époque, son papa Maccario dirige l’un des orchestres préférés des habitués de la piste de danse d’Algérie. Qui n’a pas tenté sa chance sur les slows veloutés, les tangos lascifs, les pasos endiablés, les rumbas ondoyantes de l’orchestre MACKER.
Bon sang ne saurait mentir. Le jeune Sylvio profite des jeudis et des vacances que lui octroie l’enseignement primaire dont il s’affranchit à l’école de la rue Franklin pour pousser la chansonnette au sein de la formation de son père. Le « petit » est doué pour le chant, donc pour la musique. Après l’étude du piano, il se tourne sur les conseils du timbalier de Radio-Alger, le professeur BLANQUAERT, vers la percussion. La voie royale ouvre, alors, ses allées fleuries au jeune homme après l’obtention du premier prix de l’Opéra d’Alger. Il quitte sa ville natale, son quartier, sa maison pour un ailleurs indécis. Le voyage au large de ses racines le déboussole et Paris ne le prend pas dans ses bras. La volonté décuplée par l’adversité, Sylvio se fait un devoir de faire découvrir la discipline de la percussion à la métropole. Le scepticisme, voire l’incompréhension des musiciens devant ce choix s’évanouissent au soir de son premier concert.
En 1968, à l’âge de vingt huit ans, il est nommé premier timbalier solo de l’Orchestre National de l’Opéra de Paris. Tout s’enchaîne alors. De grands compositeurs écrivent pour lui, il est le premier percussionniste occidental invité par la Chine, la SACEM lui décerne le grand prix en 1987 et après une période de boulimie de concerts, il se consacre à l’enseignement. La France l’honore en lui demandant de représenter son pays lors de l’exposition universelle de Séville en 1998. Mais si l’honneur le touche dans son approche de la musique, il sait que son pays est là-bas, sur la rive orientale de la Méditerranée, de l’autre côté de sa mémoire, à Bab El Oued. Son cœur alors bat la chamade et cogne si fort qu’il croit entendre le percussionniste qui sommeille en lui.
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Robert CASTEL est le fils du maître du Chââbi, le grand, l’immense Lili LABASSI. Bercé dès sa plus tendre enfance par la plainte des mélopées judéo-arabes, le petit Robert MOYAL partage son temps entre l’école Franklin, la musique orientale et le football à l’A.S.S.E. Ses camarades de classe se souviennent de sa propension à raconter des histoires drôles où son débit de paroles faisait merveille. Son talent comique se révèle au grand jour au sein de « la famille Hernandez » de Geneviève BAÏLAC dans le rôle de « Paulo le bègue ». Sa notoriété franchit la Méditerranée puis l’Atlantique. Après l’exode, une fantaisie musicale écrite en collaboration avec Jacques BEDOS « la purée de nous ôtres » lui permet d’élargir son registre de comédien. Il interprète avec une très forte sensibilité des chansons nostalgiques qui arrachent les larmes aux spectateurs et spectatrices originaires de « là-bas ». Au cinéma, il donne la réplique à Alain DELON dans « l’insoumis » puis c’est le grand voyage aux côtés de son épouse Lucette SAHUQUET. La mémoire au cœur, il invente un personnage, CAOUÏTO, qui additionne les particularismes des enfants de Bab El Oued. Cinéma, théâtre, télévision, il multiplie les apparitions qui comblent d’aise ses compatriotes pieds noirs. Mais il n’oublie pas pour autant la musique de son père et enregistre quelques morceaux orientaux en jouant du violon, le corps de l’instrument posé sur la cuisse, à la manière « Lili LABASSI ». Son dernier enregistrement « Ô FRANCAIS DE FRANCE. » rend hommage à son père, à son pays, à son quartier : Bab El Oued
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Lucky STARWAY, alias Lucien SERROR, fait hélas partie de ceux qui laissèrent la vie de l’autre côté de la Méditerranée. Chef d’orchestre fortement influencé par les mélodies de Glenn MILLER, d’où son patronyme, sa notoriété lui vaut de faire danser toute une jeunesse au Casino de la Corniche, justement réputé par sa situation exceptionnelle et son ambiance musicale de très haute qualité. La bombe installée sous la scène par un employé musulman tue et mutile à jamais ; parmi les victimes, le Chef d’Orchestre, véritable « armoire à glace », montagne de bonhomie et de gentillesse, musicien de talent, enfant de Bab El Oued, de cette avenue de la Bouzaréah qu’il sillonna tant de fois et qui résonne, encore de nos jours, de ces morceaux arrangés à la sauce américaine.
Lucky STARWAY fut accompagné par « son » peuple, « son » quartier, « son » pays jusqu’à sa dernière demeure rejoindre Glenn MILLER au Carnégie Hall de l’éternité.
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Philippe CLAIR, Polo le bègue de la famille HERNANDEZ, fut l’un des premiers enfants de Bab El Oued avec Robert CASTEL à connaître le succès en métropole. En tapant sur « la Grande Zohra » et les nouveaux maîtres de l’Algérie, il fit rire ses compatriotes qui se retrouvèrent dans ses propos. Le baume au cœur qu’il dispensait à ses frères de l’exil parvint aux oreilles d’imprésarios qui lui firent enregistrer plusieurs 45 tours qui s’arrachèrent. Appuyé sur un accent à couper au couteau, il se lança dans le cinéma et plus particulièrement dans la réalisation de films comiques. Avec Aldo MACCIONE et surtout Jerry LEWIS qui accepta le rôle principal de « Par où t’es rentré, on t’a pas vu sortir » (relevez la subtilité du titre !), il connût la consécration. Le rire étant pour le français considéré comme un art mineur, Philippe CLAIR semble avoir largué les amarres d’avec le cinéma comme il le fit en quittant sa terre natale. Définitivement ?
Nombreux sont les musiciens qui sortent du rang. Lucien ATTARD, l’élégant accordéoniste devenu chef d’orchestre à l’allure de dandy, une rose à la boutonnière, qui charme les femmes du Tantonville où il se produit lorsque ses contrats lui en laissent le loisir sous le regard critique de son épouse, la chanteuse Mary Lou ; Pierre MARC chef d’orchestre à la réputation flatteuse qui concurrence Lucky STARWAY ; Henri RIERA qui débute à Bab El Oued avant de réussir une brillante carrière à Paris ; Martial AYELA qui connaît la consécration nationale en accompagnant Enrico MACIAS de nombreuses années à l’instar de Michel GESINA de la Basséta et qui enregistre une superbe chanson où il laisse transparaître sa nostalgie de la ville natale « ALGER RETROVISION » ; René COLL et son orchestre qui fait encore danser les pieds noirs (et les autres) en métropole ; les chanteurs ne sont pas en reste avec la douce et jolie Anita MORALES, mélange de Gloria LASSO et DALIDA qui souffrit non pas de la comparaison mais seulement du manque d’imprésario sérieux à Paris mais qui réussit sa reconversion au sein de la « famille HERNANDEZ » ; le trio LOS ALCARSON, enfants de la Basséta, à la voix de velours, aux mandolines langoureuses et au répertoire puisant dans le large registre de chansons hispanisantes qui, malgré quelques 45 tours de belle facture, continue à officier dans les cafés de Bab El Oued à la grande satisfaction d’une clientèle conquise; Luc DAVIS « authentique pied noir » par ses origines antillaises, cible affectueuse de Bab El Oued, à la voix chaude et envoûtante qui cumule répertoire français et créole avec un égal bonheur, accompagné par son pianiste de toujours, Pierre SISTE, les derniers nés, enfants du trio RAISNER, les COMPAGNONS DE L’HARMONICA imitent leurs aînés avec toute la fougue de leur jeunesse.
Tout ce petit monde artistique se retrouve une fois par semaine aux « galas du Marignan » devant une foule d’initiés ou, plus prosaïquement, amateurs de chansons sous la houlette d’animateurs locaux tels Jacques REDSON, Paul TRINCHANT, Jacques BEDOS, PAULINET, le fameux chansonnier ou LANCAR surnommé DARBEZ, de l’A.M.A.B.E.O, roi des comiques de Bab El Oued.

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Alger, terre de feu et de ciel, terre d’amour et de miel, de courage et de contrastes attire les artistes de tous poils. Les écrivains GIDE, MONTHERLANT, DAUDET, LOTI , FROMENTIN ouvrent la voie à toute une pléiade de plumitifs en mal d’inspiration.
Les artistes-peintres découvrent, alors, l’exotisme aux portes de Marseille. Un orientalisme qui va bouleverser leurs existences et par delà, leur œuvre.
DELACROIX, MARQUET, GERICAULT plongent en ce pays avec la force de leur peinture dans le monde mystérieux d’un Orient fascinant. Ils enfanteront nombres d’artistes reconnus ( DINET, LEROY, BROUTY ) qui s’enticheront de la villa ABD EL TIF, maison mauresque sur les hauteurs de Mustapha à la mesure de leur ambition et de leur éblouissement. Regroupés sous le nom d’Ecole d’Alger, ces peintres ressentent une certaine perception du pays qu’ils délivrent au sein de leurs ouvrages. Les sculpteurs Paul BELMONDO et André GRECK s’y rattachent, entraînant d’autres artistes derrière eux. Des pieds noirs feront partie de cette école d’Alger. Armand ASSUS, Emile AUBRY, Eugène DESHAYES, Marcello FABRI, Louis FERNEZ, Augustin FERRANDO, Constant LOUCHE, Louis RANDAVEL.......
Bab El Oued apportera sa modeste contribution à l’art pictural algérien grâce à Sauveur GALLIANO « lauréat de la  casa VELASQUEZ », Vincent BAEDA, Yves BACARISAS qui fut également pensionnaire de la Villa VELASQUEZ et quelques autres qui peignirent leur terre natale avec pour seule ambition de conserver les images heureuse du pays natal.
L’un des plus grands compositeurs français Camille SAINT-SAENS qui se rendit célèbre par son opéra SAMSON ET DALILA , sa DANSE MACABRE et son CARNAVAL DES ANIMAUX s’ouvrit à ce pays avec délectation. Il lui dédia en 1879 une SUITE ALGERIENNE majestueuse dont nul ne sait si l’inspiration d’une telle œuvre ne lui fut pas, pour tout ou partie, révélée par Bab El Oued qu’il arpenta de long en large lors de ses nombreuses visites.
Il mourut à Alger où il résidait en 1921 et la ville blanche lui rendit hommage par son superbe Boulevard SAINT-SAENS

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