LA
DECOUVERTE DE BAB EL OUED
Richard
passait son temps libre entre Colette, petite fille sage au cœur
empli d’amour, Carla, lumineuse initiatrice au corps brûlant et le
café de son oncle, Prosper Timsit, où travaillait Norbert. Mais
comme toute la jeunesse du boulevard Guillemin et les alentours, il
témoignait une certaine préférence pour la Grande Brasserie de
« Pépete » Solivérés où se retrouvaient les garçons
du coin mais aussi les adultes qui se retranchaient derrière les
petites portes battantes pour « taper » des parties de
belote « pagnolesques ». Au moins, là, à l’abri du
tumulte de la jeunesse, les vieux pouvaient s’engueuler en paix. La
khémia attirait tous les « morfals » du quartier dans
une sarabande de rigolade devant le grand comptoir pour un apéritif
où la blanche anisette valsait de tournées en tournées jusqu’à
l’heure du déjeuner.
Il
s’apercevait, auprès d’autres copains, que l’amitié se
déclinait plus facilement dans les cafés, les squares, les places
et les ruelles du faubourg que dans la casbah où, seule, l’école
permettait à un tel sentiment de se développer. A Bab El Oued, la
rue semblait le dénominateur commun de toutes les aspirations tant
elle était courtisée par l’amitié tout au long de la journée.
Les hommes, à leur travail, abandonnaient les trottoirs à une
jeunesse exubérante et bon enfant qui célébrait à tue-tête les
noces de la mer et du soleil. Contrairement à la casbah où chacun
s’extériorisait en catimini, habitué à l’absence de
circulation automobile qui ne forçait pas la voix à tonitruer, le
quartier de « Cagayous » tonnait plutôt qu’il ne
parlait, invectivait plutôt qu’il parlementait, hurlait plutôt
qu’il élevait la voix. Richard commençait à nager dans cette
soupe méditerranéenne avec aisance et ne laissait pas « sa
part aux chiens » quand il s’agissait de se faire entendre.
Adopté par les Bab El Ouédiens qui maniaient la franche rigolade
avec ironie mais sans mauvais esprit, ses nouveaux compagnons
apprécièrent très vite l’esprit moqueur de ce garçon que la
casbah avait façonné à l’image des juifs qui vivaient dans le
quartier. Il maniait l’humour et la dérision naturellement et
s’apercevait que l’amitié de Norbert, Kader et José ressemblait
comme deux gouttes d’eau à celle déployée par les enfants de Bab
El Oued. Aussi, son adaptation à ses nouveaux amis comme à son
nouvel environnement s’en trouva vivement facilitée d’autant
plus que la présence de Colette et de Norbert, à une encablure de
son domicile, le rassurait.
La
boulangerie Vidal avait, elle aussi, quitté la rue Marengo pour
s’installer rue Thuillier tout près du jardin Guillemin, à Bab El
Oued. Ainsi, les trois mousquetaires renouèrent avec l’amitié de
l’enfance en espérant que Kader se joigne à eux le plus souvent
possible. Mais ils savaient que la route serait longue et les
obstacles difficiles à surmonter dans les esprits et dans les cœurs
des deux communautés. Pour preuve, les musulmans avaient renoncé à
descendre à Bab el oued si ce n’était pour travailler.
Le
soir, Richard s’asseyait au balcon. Nez au vent, face au superbe
panorama qui s’allongeait à ses pieds, il découvrait avec
émerveillement le plaisir des grands navires voguant vers l’horizon.
Du cinquième étage, son regard plongeait, à gauche, vers les
jardins Guillemin qui descendaient en cascade vers la mer, à droite
sur l’avenue Malakoff bordée par l’immensité de la méditerranée
et, en apothéose, la colline verdoyante de Notre Dame d’Afrique.
Son regard ne butait plus contre l’étroitesse de la rue Marengo
mais se perdait sur l’étendue indigo des cieux et les joyeux
moutons qui gambadaient au gré du vent sur la mer. L’appartement
de sa jeunesse lui parlerait toujours de son enfance, de ses parents
et de ses grands parents et même au delà du nom de la famille
Duran. Le Comte Drouet D’Erlon, alors gouverneur des possessions
françaises en Algérie, lassé de voir sur les papiers officiels de
la France « juif Duran », proposa à Léon Juda Ben
Duran, son conseiller intime, d’entériner le choix de « Sieur
Durand » en attendant sa prochaine naturalisation. Ainsi, la
famille Duran devint les Durand d’Alger par la grâce du comte
Drouet D’Erlon
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