dimanche 19 mai 2013

le destin fabuleux de LEON JUDA BEN DURAN "Sieur Durand d'Alger" de hubert zakine


Clauzel
CLAUZEL débarqua à ALGER le 10 août 1835. Léon Juda, Aaron MOATTI et Saül COHEN-SOLAL s'inquiétèrent, une fois de plus, du sort réservé à leur pays, à leurs coreligionnaires, à leur avenir.

Mais le discours prononcé par le nouvel homme fort des Possessions Françaises d'Afrique du Nord les rassura totalement. Il était question d'enracinement de la FRANCE en terre d'ALGERIE, de rétablissement de la paix, de commerce, d'industrie et d'agriculture, de chant d'espérance sous la bannière tricolore.

Même s'il se fit dans la douleur, l'élan qui avait poussé la communauté dans les bras de la conquête, semblait couronné de succès. Pour le moins, le rêve s'éternisait.

Le vieux Maréchal, malgré ses soixante trois ans, restait partisan d'une guerre totale. Finis les atermoiements, les "oui mais", les "ni guerre, ni paix, ni colonisation, ni occupation" comme aimait à le souligner le Ministre THIERS.

A la tête de onze mille hommes, il quitta ORAN, le 25 novembre 1835 en direction de MOSTAGANEM avec, à ses cotés, le Prince héritier, le Duc d'ORLEANS.
 
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Léon Juda était à ARZEW. Exploitant les salines pour le compte d'ABD EL KADER, il fut informé de l'avancée des troupes françaises par les courageux colporteurs qui sillonnaient, au péril de leurs vies, les routes du "Beylick" de l'Ouest. Malgré quelques accrochages, le Maréchal CLAUZEL volait de victoires en victoires mais il changea brusquement de stratégie et, délaissant momentanément MOSTAGANEM, marcha sur MASCARA, fief du Sultan des arabes.

Mais la capitale de l'Oranie, cité historique, forteresse haute de vingt six mètres, était considérée par ABD EL KADER comme sa ville, sa chose, le témoignage de sa puissance. Dix mille habitants dont une très nombreuse communauté israélite, y vivaient et y travaillaient. Pour y accéder, le conquérant devait emprunter une longue trouée visible de la citadelle, de part et d'autre des mamelons du BENI CHOUGRAN. Autant dire que la partie s'avérait difficile pour les forces françaises.

Décembre était froid. Les rigueurs de l'hiver rendaient pénible l'avancée des hommes et des bêtes. Les forces abandonnées lors des durs combats de l'HABRA manquaient et les jambes se dérobaient sous le sol boueux. La faim devint une obsession.

Dès le 2 décembre, Léon Juda et son frère Haïm avaient rejoint ABD EL KADER à MASCARA pour le prévenir de la nouvelle destination des Français. L'Emir savait. Désireux avant tout de renouveler la victoire de la MACTA, sûr de lui et de ses hommes, il commit la faute suprême de vendre la peau de l'ours avant de l'avoir terrassée. Il lança ses cavaliers sur la colonne française engluée dans un entonnoir naturel formé par la forêt. L'artillerie brisa net l'élan des hommes de l'Emir. Des centaines de victimes jonchèrent le sol. Ce fut la débâcle. La débandade. L'armée des croyants n'existait plus. MASCARA s'offrait, nue et orpheline, à la convoitise de CLAUZEL.

L'ordre d'évacuer la ville fut alors donné. Les habitants se ruèrent hors les murs de la forteresse, emportant avec eux leur maigre bagage. La politique de la terre brûlée fut, alors, érigée en absolue nécessité. Il n'était pas question de livrer la ville, la capitale de l'Emir, intacte, à l'infidèle. Léon Juda et son frère assistèrent, alors, au pillage du vieux quartier juif par des cohortes de fous sanguinaires, tribus d'ABD EL KADER en déroute, incontrôlées, qui massacraient les hommes, les femmes et les enfants, incendiant tout ce qui appartenait ou semblait appartenir à un membre de la communauté israélite, avant de s'attaquer à la cité. Le 7 décembre, le Maréchal CLAUZEL entra dans une ville morte, un champ de ruines déserté de ses habitants. Seuls demeuraient quelques centaines de juifs hagards, rescapés de l'égorgement généralisé, peu préparés à une nouvelle errance et quelques mozabites attentistes qui s'en remettaient à la sagesse d'ALLAH.Les frères DURAN échapperont à la mort grâce à la sollicitude d'ABD EL KADER qui, au plus fort de la tourmente, entraîna Léon Juda et Haïm dans son sillage, loin des tribus alliées de la FRANCE, qui continuaient leur chasse à " l'homme à la pèlerine" .Tribus qui rallièrent les hommes de l'Emir pour insulter le "Sultan El Ghaba", sultan de paille, l'abandonner dans le froid de la solitude, trainant son épouse dans la boue, confisquant le parasol, symbole flamboyant du commandement suprême, pillant la tente du Seigneur offerte par le Général DESMICHELS.

"Léon Juda Ben DURAN " demeura avec son ami, le Chef de la Guetna, écrasé par la trahison de ses guerriers fanatisés et aveuglés par la colère d'une pareille déroute. Ils passèrent au crible toutes les hypothèses résultantes de la cuisante défaite et l'abandon de la ville natale : une retraite au MAROC, un traité de paix définitive, une reddition avec les honneurs ou bien une reprise en main de son potentiel militaire et de ses troupes dispersées et livrées à elles-mêmes, en ce mois de décembre glacial.

--"Seigneur! Déposes les armes! Marches aux côtés de la France! Cesses la lutte armée et entraînes ton peuple vers la paix!. Que peux-tu espérer de guerriers renégats? Ils ne sont que le reflet d'une défaite annoncée! " plaida l'ami juif du Sultan.

Mais l'homme au burnous blanc opposa un refus catégorique à toute solution d'abandon de souveraineté préconisée dans l'urgence et la douleur.

--"Par ALLAH! Je te jure que les infidèles seront chassés de ce pays! Les Chrétiens seront rejetés à la mer. C'est écrit! "

--"Alors, dis-moi Seigneur, pourquoi ALLAH semble t'avoir abandonné comme l'ont fait les quelques tribus qui marchaient à tes cotés! Regarde autour de toi! Il ne reste que ruine et désolation, pluie, vent et froid. Et pire encore! Tu n'as plus que deux marchands juifs comme soldats et serviteurs!"

ABD EL KADER posa la main sur l'épaule de Léon Juda, porta son regard bleu sur le visage mangé par une épaisse barbe noire ruisselante, du seul ami qui lui demeurait fidèle et martela :

--"Je ne te le répéterai jamais assez, nous ne sommes pas un Emir et son serviteur. Nous sommes des frères!"

*****

Le feu de Dieu écorchait la nuit, illuminant les contours torturés de la masse nuageuse qui dressait un rempart au bout de l'horizon.

ABD EL KADER, silencieux sous les colères du ciel, Léon Juda dépêcha son frère à ARZEW puis, apaisé sous la fureur qui inondait la plaine de l'EGHRISS, entra en prière. Les deux hommes, unis dans la solitude de leur méditation, éclairés épisodiquement par les chandelles divines, s'enivrèrent de silence et de paix intérieure. Paroles muettes échangées dans un regard furtif, tacite complicité de deux âmes cherchant la voie de l'absolu et de l'espérance chuchotée dans ce pays parfumé de superstition.

Mille questions, pour la plupart restées sans réponse, assaillaient ABD EL KADER. La foi inébranlable en une "djihad" victorieuse ouvrirait-elle les portes de la reconquête des coeurs musulmans afin de chasser l'infidèle du grand livre de l'Islam d'Afrique du Nord ? Léon Juda, ce juif tenu en si grande estime par MAHI ED DINE, son vieux Marabout de père, n'enfourchait-il pas le cheval de la sagesse en prônant la paix des braves et l'alliance avec la FRANCE, l'ennemie d'aujourd'hui, l'amie de demain? L'aîné des DURAN, de son coté, semblait poursuivre une chimère en soutenant, par une présence assidue, le Sultan des Arabes. Il respectait, ainsi, la promesse faite à MAHI ED DINE sur son lit de mort, de guider son fils vers la lumière aveuglante de la sagesse qui habille tous les grands hommes. Mais il savait que sa démarche allait bien au-delà d'un serment. Le combat de l'Emir n'était ni le sien ni celui de sa communauté. Il eût pu se parjurer, se parer de mille raisons valables pour renoncer à cet engagement. Mais l'amitié se fiche de coupables conventions et Léon Juda tirait fierté de sa présence auprès d'ABD EL KADER et de l'accompagner dans sa descente aux enfers.

Alors que grondait le tonnerre de Dieu dans la vallée humide, l'errance des deux comparses dura quatre jours et quatre nuits. Sous une tente de fortune, ils refirent le monde, la faim au ventre et la volonté en bataille. Seule une vieille femme, sortie de nulle part, leur offrit un morceau de "Kesrah" et un verre de "kawah". De leur point de vue stratégique dominant la plaine de l'EGHRISS qui conduisait aux portes de MASCARA, ils avaient suivi l'évolution de la situation. Sous des averses incessantes qui les clouaient au sol boueux, les Français détruisirent les réserves de munitions, de soufre, de poudre, les magasins et les entrepôts avant d'offrir la ville aux pillards des tribus "maghzen". Les fortifications tombèrent ainsi que les établissements qui pourraient, un jour, servir les desseins des ennemis de l'autorité du Gouvernement français. Les incendies spontanés se développèrent à chaque coin de rue et la cité incandescente leur apparut plus belle, plus fragile, plus abandonnée.

Lorsque, au matin du cinquième jour, ABD EL KADER comprit que les troupes françaises, appelées sous d'autres cieux, pour d'autres conquêtes, avaient déserté la capitale de l'Ouest, il reçut cette vision comme le signal d'un renouveau imposé par le Dieu des Croyants. Alors, il enfourcha son magnifique coursier noir et, sans laisser le temps à Léon Juda de l'imiter, s'élança jusqu'aux portes de MASCARA.

Les deux hommes entrèrent dans une ville ravagée dont les maisons écroulées fumaient encore des cendres de sang. Les chacals et les corbeaux exécutaient leur sale besogne dans un bain de boue, de cadavres et d'immondices, sous un déluge dantesque. Léon Juda eût tôt fait d'analyser une situation qui tournait, encore une fois, à l'avantage de son ami par le seul départ des français. Peu importaient la cruelle défaite, les vexations, les abandons et les reniements. Passaient au second plan, les recommandations de Léon Juda. La reconquête des âmes et des coeurs demeurait encore possible mais, pour cela, il fallait faire vite et tirer immédiatement profit de l'incapacité du Maréchal CLAUZEL à garder MASCARA.Soutenu par le vieux "caïd" SIDI LARADJI, le Prince des Croyants rameuta à lui tous les égarés, assurant le pardon aux chefs des tribus repenties, et entraîna sous sa bannière, plus de combattants qu'il n'en avait jamais compté. Ses envolées lyriques, prêchant la guerre sainte, pénétrèrent l'âme musulmane, le fanatisme pour meilleure alliée
 
A SUIVRE.......................

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