samedi 27 avril 2013

MARIE TOI DANS TA RUE MON FILS! DE HUBERT ZAKINE

Léon et Prosper, assis à la terrasse de la Brasserie de la plage, contemplaient le paysage qui s’offrait à leur vue, deux jolies nymphettes s’ébattaient dans l’onde argentée, une famille parisienne, la peau blanche fraichement débarquée sur la côte, se réchauffait  au soleil généreux de Cannes, l’été éclaboussait de lumière les établissements du bord de mer où la jeunesse s’en donnait à cœur joie entre musique et vespa pétaradante, c’était l’été, l’insouciance, le bonheur.

Lisette se promenait dans les allées du marché parmi les couleurs et les effluves qui lui rappelaient tant Alger. Elle faisait le trajet à pas lents, soupesant un melon qu’elle sentait , le faisait crisser sous ses doigts en écoutant son cœur comme au temps jadis du marché de la rue Randon de sa jeunesse, prenant tout son temps pour choisir les blettes de la t’fina ou les fèves du couscous au beurre et au petit lait, rencontrant une amie ou une connaissance pour faire un petit  brin de causette, enfin elle joignait l’utile à l’agréable au milieu des gens, des fleurs et des épices.

Ce samedi s’annonçait tranquille entre sieste, promenade et repas frugal. Comme d’habitude, comme toujours. Mais une boule à l’estomac empêchait  Lisette de goûter ces instants de quiétude sans savoir quelle en était la raison. Elle mit cela sur le compte d’une mauvaise digestion et ne s’en soucia plus. Sa future belle-fille arriva sur le coup de quinze heures pour aller faire les magasins de la rue d’Antibes. Il était quinze heures vingt quatre exactement quand le téléphone retentit. La nouvelle tomba, glacée et suffocante à la fois, telle une dérision qui se dérobait  à la vérité, sournoise et cinglante comme un coup de fouet pris en plein visage, qui donne envie de rire et de pleurer, que l’on ne croie pas tellement la nouvelle est énorme, angoissante et envahissante. Non, ce  n’était pas vrai, c’était une plaisanterie, on allait se réveiller pour reprendre la vie telle qu’on l’avait quittée, heureuse auprès de cette fille de feu qui adore ce fils bien aimé. La voix au téléphone qui parle et que l’on écoute plus, le fils qui est sorti d’affaire mais qui se trouve à des milliers de kilomètres si loin des bras de sa mère, de sa famille, des siens. Le bourdonnement qui s’estompe, la fiancée dont le regard reflète  son angoisse, son visage dessiné pour le bonheur et que la stupeur a démaquillé, des paroles qui se veulent rassurantes mais allez dire à une mère juive de laisser passer l’orage sans se faire du mauvais sang, et le mari, le père de Richard qui se pavane sur la plage ou qui joue aux cartes, insouciant et heureux, pendant que son fils, les yeux de ses yeux, se tord sur un lit de douleur, seul, si loin de sa mère. Non, il faut aller le voir, même si c’est loin, même si ça coute cher, il faut  qu’il sente tout l’amour qui danse autour de lui, le soutenir dans ces moments difficiles, il n’y a que sa famille qui est importante, sa famille et sa fiancée. Le téléphone raccroché, hébétée, la mère regarde la belle fille en devenir, comment apprendre la terrible nouvelle sans éclater en sanglots, sans transmettre l’angoisse qu’elle doit apprendre à apprivoiser avant que de connaître la monstrueuse  vérité. Pourtant, le cœur  renferme des ressources insoupçonnées lorsqu’il est confronté à l’insoutenable. Seules les deux femmes se réconfortent en répétant comme une litanie : « se jours ne sont pas en danger. »

Lisette, dans un état second, remerciait le ciel, le bon dieu, Hachem et même Allah réunis dans une même prière œcuménique alors que Carmen calculait déjà comment se rendre en Israël.

--« Ne t’en fais pas, ma fille. On t’emmène  avec nous ! »

Puis après un silence qu’elle avait sans doute mis à profit pour trouver la meilleure façon de protéger son époux.

--« Comment je vais le dire à mon mari ? »

Lisette désirait le préparer avant de le confronter à l’inéluctable, la fatalité judéo-arabe faisant le reste. Elle décida d’aller à la plage pour lui apprendre la déchirure devant ses amis, dans le brouhaha d’un café autour d’une partie de belote, il n’oserait pas exprimer toute sa peine, pensait-elle. Elle prit bien soin de préciser que son enfant était blessé mais  que ses jours  n’étaient pas le moins du monde en danger. Léon et Prosper reçurent ce coup dur avec retenue, taisant leur émotion qui transparaissait pourtant mais que tous les amis respectèrent.

La rentrée à la maison se fit silencieuse, entrecoupée de colères rentrées masculines et de lamentations féminines.

La soirée se passa au téléphone pour les préparatifs du voyage en Israël, la garde des enfants, un crève-cœur pour Lisette qui rechignait toujours à se séparer pour la journée de ses petits comme s’ils partaient à Tombouctou alors qu’ils se rendaient chez leur tante, deux rues plus loin. Mais aujourd’hui, toute la famille faisait front pour contrecarrer le mauvais sort et soutenir Richard dans  cette épreuve ô combien douloureuse.

 
A SUIVRE..........................
 

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