L’après midi, Richard reçut une leçon de vie à la rue
Borély La Sapie. Leçon de vie qu’il récita si parfaitement que Clara en
maîtresse savante lui décerna un billet de satisfaction qu’il remit en jeu
aussitôt. Le diplôme le motiva comme jamais et la nouvelle année débuta de la
plus généreuse des façons. L’élève avait rejoint le professeur dans une joute
où tous les coups furent permis. Quand le lit sombra dans la quiétude des corps
assoupis, que le silence régna dans la chambre alourdie de senteurs poivrées et
que le froissement des draps annonça le repos de la chair, le sommeil les
emporta sur l’île dévastée de l’amour.
La ville d’Alger ne pensait que Platters, ne respirait
que Platters, ne discutait que des Platters. Carla proposa à Richard de lui
payer une place dans les premiers rangs auprès d’elle et de sa sœur. Mais le
client de « chez Prosper » avait réussi à se débrouiller trois
billets pour Norbert, José et Richard et
les trois mousquetaires toujours privés de Kader, quatrième maillon de la chaîne
de l’amitié, préféraient savourer la présence de Tony Williams, Paul Robi,
Herbert Reed, David Lynch et Zola Taylor ensemble afin de mieux en parler
lorsque les Platters continueront leur tournée en Afrique du Nord.
Colette désirait entraîner ses parents dans cette
quête de l’Amérique mais s’ils refusèrent, ils acceptèrent par contre l’idée de
voir leur fille accompagner sa tante. Ainsi, le soir de la représentation tout
le monde se retrouva dans le grand amphithéâtre du Majestic pour applaudir les
Platters qui firent un triomphe comme jamais Alger n’en avait connu.
Le lendemain, en se rendant au lycée, un bruit circula
parmi les enfants du boulevard Guillemin d’un clash entre les Platters et le
pianiste du groupe qui serait logé par Padovani en attendant le retour des
vedettes américaines par Alger. Toute la matinée, Richard se morfondit mais
pour en avoir le cœur net, il « tapa cao » l’après midi pour enquêter
sur le fameux pianiste des Platters. La fortune souriant aux audacieux, il se
rendit dans la salle des mariages de Padovani et là celui que Padovani appelait
Chris, démontra toute sa virtuosité au piano devant quelques amis du maître des
lieux, pour disait-il, se dégourdir les doigts. Durant toute l’après midi, le
pianiste des Platters improvisa sur des morceaux du répertoire français pour le
plus grand bonheur de Richard et des rares privilégiés qui avaient eu vent de
cette bonne fortune musicale. Et cela dura toute la semaine, le temps pour les
Platters de se réconcilier ou de casser le contrat qui les liait « au
pianiste de Padovani ». Cela, Richard et ses amis ne le surent jamais.
Le lycée Bugeaud n’attirait plus Richard. Il avait
dressé une montagne que chaque lycéen escaladait à grands coups de pédale,
certains plus motivés que d’autres,
équipier modèle ou leader, avec
la peur d’arriver hors des délais impartis. Norbert et José, après Kader
avaient abandonné leur co-équipier qui ne trouvait plus le même charme à la
poursuite des études. Il s’en ouvrit à son père qui tenta vainement de lui
faire miroiter la situation que les diplômes laissaient entrevoir. Mais,
tailleur depuis l’âge de treize ans, William Durand savait, mieux que
quiconque, la dose d’incertitude d’une existence consacrée aux études. Alors
qu’un bon métier entre les mains........
Il conclut son exposé par une phrase que n’aurait pas
désavoué la fatalité orientale. « Tu
feras comme tu le sens, mon fils ! Mais sois sûr de toi ! »
C’était sans compter sur sa mère, sa douce sur laquelle tous les malheurs du
monde semblaient lui tomber sur la tête si ce qui était prévu était bouleversé.
Et comme ses sœurs et belles-sœurs, fatalité orientale oblige, partageaient le
même point de vue, le débat n’était pas gagné d’avance.
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