samedi 27 octobre 2012

MARIE-TOI DANS TA RUE MON FILS de hubert zakine


Carmen avait présenté ses parents au rabbin qui n’avait rien caché de la difficulté d’être convertie à la religion juive mais avait précisé que, Carmen était une petite « bien comme il faut » qui avançait sur le chemin d’une conversion réussie. Ce « bien comme il faut » avait fait tiquer papa Solivèrés mais son épouse avait calmé son désir d’en débattre avec le rabbin.
L’entrevue s’était bien passée et avait été très courtoise. Carmen vivait dès lors sur un nuage et la félicité qui se voyait dans son regard azuré trouva son apothéose dans la lettre qu’elle ouvrit au sortir de la synagogue. Richard y décrivait la permission de quinze jours qui lui avait été octroyée et qu’il passerait en France. La joie maquilla son joli minois de larmes et la fontaine qui coula de ses yeux ne cessa d’inonder son visage qu’au moment où son père la prit dans ses bras, troublé par tant de jubilation. Sa fille aimait ce garçon, cette fois il en était sûr.
La maman de Richard n’avait pas encore reçu la lettre lui annonçant sa permission que Carmen lui tendit. Elle la relut  plusieurs fois avant d’embrasser sa future belle fille porteuse de la bonne nouvelle. Déjà, elle songeait aux menus qu’elle offrirait  « aux yeux de ses yeux », des repas à base de plats qu’il adorait et « que le pauvre  y doit en être privé depuis bientôt deux ans». Et des repas  consistants par ce que les cuisiniers de l’armée  « y z’ont pas le temps pour lui faire ce qu’il aime, les pauvres y z’ont pas que lui à contenter, y faut les comprendre. »
Lisette avait le chic, quand l’émotion croisait son chemin, pour répondre aux questions qu’elle se posait. Elle avait ainsi une façon bien à elle d’être toujours d’accord avec elle-même. Carmen s’en amusait car elle savait qu’elle aurait toujours le dernier mot.
Rosette aussi pensait mettre les petits plats dans les grands pour la réception du fiancé de sa fille. Elle posait mille questions sur la façon d’accueillir un juif à déjeuner ou à diner et Carmen se confondait en excuse pour lui  faire comprendre que Richard mangeait  de la viande « cachir » et pas de porc.
--« Mais alors, qu’est ce qu’il mange, que du poisson ? »
--«  Mais non manman ! C’est une  toute autre façon de se nourrir tout simplement ! Je suis en train d’apprendre avec madame Benaïm ! »
--« Alors, tout ce que j’t’ai appris, ça  a servi à rien ! »
--« Mais non maman ! Tu crois que c’est le moment d’en parler maintenant ? »
--« Mais oui ! Y faut qu’je sache comment elle va manger ma fille ! Alors, je pourrais jamais inviter mon gendre ? Tu avoueras que c’est bizarre quand même ! Mais qu’est ce qu’y mangent les juifs ? »
--«  Y mangent des p’tits enfants ! »
--«  C’est ça moques toi de moi ! Mieux, dis que ta mère elle est folle ! »
Carmen prit sa mère dans ses bras et en riant déposa un baiser sonore comme sa grand-mère le faisait quand elle était petite.
--« Tiens je vais chez Mamie ! Pour lui apprendre la bonne nouvelle ! »
--«  Tu manges avec elle ? »
--« Bien sur ! »



 *****

Richard avait maigri. C’est ce que sa mère avait vu au premier regard et déjà, le mauvais sang avait pris le pas sur toute autre considération. Son père l’abreuvait de questions « de première nécessité » avant que Carmen et sa femme ne s’emparent de lui pour lui faire passer un interrogatoire en règle.
--« Papa, il faut que tu viennes, tu pourras constater par toi-même que Netanya c’est un petit Alger. C’est une ville israélienne habitée par des pieds noirs. Viens, je te jure, tu tombes amoureux de cette ville. »
--« On a tout le temps d’en parler, mon fils ! Laisses moi te regarder, tu sembles avoir mûri, t’ch’es un homme maintenant! »
Lisette se taisait. Elle écoutait ses deux hommes échanger des banalités, des mots mis les uns après les autres pour en faire des phrases, le temps d’évacuer l’émotion trop présente après deux années de séparation. Elle les voyait parler sans les écouter, appréciant ces instants de tendresse partagée entre un père et son fils, fils prodigue dans la maison de son père, heureuse tout simplement. Richard entra sans la chambre qu’il partageait avec son jeune frère. Il en ressentit une douce quiétude qui baignait l’appartement tout entier, le replongeant dans une enfance trop nostalgique dont il restait des souvenirs éparpillés entre Alger et Cannes.
Lisette et Carmen avaient caché la nouvelle relation qui les réunissait pour le bonheur de Richard. Elles avaient également tu le travail entrepris par Carmen en vue de sa conversion et le feu vert de ses futurs beaux parents. Richard avait téléphoné dés qu’il avait posé le pied à Nice pour lui donner rendez vous le lendemain afin de consacrer sa première journée à sa famille. Elle était heureuse car son premier coup de fil avait été pour elle, cela prouvait s’il en était besoin qu’elle occupait prioritairement les pensées de Richard et que le temps n’avait en rien tamisé le sentiment qui les unissait. Mais il était à mille lieues de se douter que Carmen était attendue pour déjeuner à ses côtés dans la maison de ses parents.
--« Mon fils, fais toi beau parce que ya une surprise à midi ! »
--« Une surprise ? Tata paulette ? Mamie ? Tonton, il est déjà là. »
--« Tu verras, mon fils, tu verras ! »
Richard fronça les sourcils et donna sa langue au chat.
--«  Allez, dis moi ou sinon je repars en Israël. »
Il se fit plus tendre en enlaçant sa douce et lui donna un baiser franc et sonore comme elle le faisait avec ses enfants, grands et petits. C’était une habitude des femmes de la famille Benaïm qui démontraient la force de leur amour par la sonorité de leur affection. Les enfants s’en amusaient sauf ceux qui s’essuyaient le visage pour preuve de leur aversion ou qui se bouchaient les oreilles en tendant la joue.
Richard entra dans la salle de bains pour se faire une beauté sur ordre de sa mère qui jubilait à l’idée de la surprise qui attendait son fils. L’oncle  Prosper qui était de toutes les fêtes n’aurait voulu pour rien au monde rater ce doux moment d’euphorie si rare depuis la déchirure de l’abandon de l’Algérie. Il avait eu la douleur de perdre sa femme sur le marché de Bab El Oued, fauchée par une rafale de mitraillette tirée à l’aveuglette  par une bande  descendue de la Casbah, le quartier de naissance  de Prosper et de Blanche, son épouse. Depuis, il avait épuisé son chagrin sur l’épaule de son  cadet. Ses deux autres frères qui habitaient Nice depuis 1961 l’avaient soutenu mais c’est auprès de Léon et Lisette qu’il se sentait le mieux, Lisette étant l’amie d’enfance de Blanche. Elle avait développé une tendresse particulière pour cet homme tout en gentillesse et en fatalité, en hommage à cette belle-sœur que la vie lui avait offerte  le jour de ses dix huit printemps. Depuis, Prosper et Blanche s’étaient conduits en aînés jusqu’au jour de la déchirure qui les surprit en plein bonheur par une rafale assassine.
Richard était prêt à accueillir la divine surprise. La table était mise, le repas jetait une douce odeur d’épices dans la maison, la sonnette fit le silence dans l’appartement. Les enfants se disputèrent le privilège d’ouvrir la porte sur la personne qui allait déclencher le bonheur. Elle apparut, rayonnante dans une superbe robe bleu ciel assortie à son regard azuré. Richard, mit quelques secondes à dénouer les fils de sa raison, les larmes au bord du cœur, il s’approcha de Carmen, encercla son fin visage et contempla le bonheur dans sa plus belle expression. A cet instant, le monde se résumait à ce visage, à ces yeux si joliment maquillés, à ces lèvres dessinées par un peintre de génie que Richard, oublieux des convenances, embrassa longuement, très longuement, sous le regard attendri de la famille partagée entre le rire et les larmes. Après ce doux moment d’éternité, Richard transgressa le silence.
--« Alors là, je comprends plus rien. Je suis complètement largué ! »
--«  Ne t’en fais pas, mon fils ! Avec Carmen, c’est le bonheur qui est rentré dans ta maison. Tout est arrangé ! Ses parents, sa conversion, elle te racontera, tu verras, tu vas pas en revenir. Mais c’est à elle de te raconter tout ça. »
--« Entres ma fille ! »
Richard était sur un nuage. Il avait suffi qu’il aille faire son service militaire en Israël pour que tout ce qui obscurcissait sa vie future s’illumine comme par enchantement, comme par miracle. Il n’était pas loin de croire à une intervention divine tant le changement s’était opéré dans la douceur et surtout sans sa présence à Cannes. Comme si Hachem avait voulu le libérer d’un souci  récurent afin de mieux se consacrer à la mission sacrée de défendre son pays. Les questions lui brulaient les lèvres mais sa mère avait raison, les explications de ce bouleversement revenaient de droit à Carmen. Pour le moment, ses parents, son oncle, son frère, sa petite sœur et sa fleur de Perrégaux étaient sa priorité et les questions fusaient de partout sur Israël, sur l’armée israélienne, sur Netanya, sur son ami Victor, sur son isolement et surtout si son désir de partir de France était toujours d’actualité. Il s’époumona tout au long de l’après midi à vanter ce petit pays qui, à présent, lui collait à la peau, où il avait l’intention de s’installer le service militaire terminé.
--« Vous aimerez ce pays, d’abord parce que c’est le pays de nos ancêtres, ensuite c’est un pays neuf où tout est à faire et là-bas, on se sent chez soi, enfin chez nous. »
 Tout en parlant, il regardait tour à tour sa mère et Carmen, cherchant dans leurs regards un encouragement car il savait que seul l’agrément féminin prévaudrait dans la décision de faire l’alyah de la famille.
Richard raccompagna Carmen, s’isolant des regards indiscrets pour échanger baisers et caresses avec celle qui avait occupé ses pensées jour et nuit. Elle comprit le sacrifice de celui qu’elle aimait tant. Aussi, lors d’un baiser plus appuyé, elle promit
--« Puisque plus rien ne nous en empêche, demain je serai à toi ! j’en ai envie autant que toi. ! »
--«  Cette fois, je suis d’accord à deux cent pour cent ! Et je doute fort que tu en aies envie autant que moi, ça je te l’assure, mon amour. »
Un baiser scella leur accord et le rendez vous pour le lendemain leur parut une éternité.

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A SUIVRE..................

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