vendredi 7 septembre 2012

MARIE-TOI DANS TA RUE,MON FILS de Hubert Zakine

Richard était à mille lieues de se douter de ce qui tramait dans son dos car les deux femmes avaient passé un accord tacite pour cacher le nouveau lien qui s’était noué entre elles. Sa maman tenait à ce que la divulgation de la conversion de Carmen appartenait à la jeune fille et à elle seule. Aussi, décida-t- de lui laisser tout loisir d’en fixer la date.
Richard avait pris ses marques et, à présent, tel un poisson dans l’eau, il se mouvait dans cette unité de l’armée israélienne comme un vieux briscard. Le soleil l’accompagnait dans toutes ses tâches, le torse nu et la tête protégée par une casquette  « à la Bigeard » lui rappelant l’impact du général français sur l’optimisme de la jeunesse de son Algérie. La chaleur ralentissait tous les gestes mais ici, point d’arroseur des rues qui rafraichissait  le quartier comme dans son faubourg de Bab El Oued à l’heure de la sieste. Parfois, la tête bouillonnante d’images de jadis, il se faisait violence pour les ranger dans l’armoire aux souvenirs afin de vivre l’instant présent. Alors il regardait sa nouvelle vie droit dans les yeux, à en perdre la vue, à en oublier la France  pour jouir du partage de la vie des pionniers  de cette nouvelle colonisation. Ses camarades étaient, comme lui, des gamins sur les épaules desquels reposait la stabilité du pays obligé de faire feu des quatre fers pour maintenir des troupes sur ce bout de terre convoité par trois cent millions d’arabes.
 
Il se sentait investi d’une mission sacrée que chaque juif relayait dans son foyer, au sein de chaque communauté, au cœur de chaque synagogue, partout où  le souffle divin d’un enfant se fait entendre. Il était bien dans ce pays des rois d’Israël, il s’y sentait chez lui, lui l’orphelin de terre natale. Il partageait la fierté qui éclaboussait la nation toute entière avec ce petit plus ressenti par un vaincu de l’histoire enfin récompensé par le destin. Un destin hors du commun d’un petit français d’Algérie qui avait opté pour le pays de ses ancêtres avec un slogan repris par tous les juifs de la planète : l’an prochain à Jérusalem.
Il repensait à l’émotion qui envahissait son père quand  de son exil involontaire, il rencontrait un ami du temps passé. Du temps lointain de son service militaire, de la guerre 39-45, de la fierté de servir la France, de Monte Cassino, de souvenirs douloureux dont il chassait l’image pour ne garder  que les instants privilégiés d’amitié qui restent gravés à jamais dans une mémoire dont il ne veut ni ne peut se défaire. A son tour, à présent, d’écrire les pages de sa vie militaire qui tourneront le dos à l’oubli pour se ranger aux côtés d’autres pages dans le grand livre de son arbre de vie.
 
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Carmen avait fait la connaissance de Léon Benaïm au cours d’un shabbat familial où l’argenterie avait été de sortie pour les beaux yeux de la petite fiancée de Richard. Elle avait été bouleversée par la prière en hébreu et les mots de bienvenu dans la bouche de l’oncle Prosper, tout heureux de la bonne fortune de son neveu qui n’aurait pas à choisir, comme lui, entre la raison ou la passion à cinquante années de distance. Depuis, Carmen et Lisette se voyaient chaque jour, échangeant les nouvelles venant de la terre sainte, puisant dans cette relation le soutien dont elles avaient besoin face à l’absence qui leur avait été imposée par la volonté de Richard. Souvent, Carmen venait prendre le café chez sa future belle-mère et le bavardage aidant, elle en repartait à l’heure de se mette à table. Elle ne s’ennuyait jamais et elle apprenait Richard en long, en large et en travers. Lisette parlait de son fils comme dans un livre ouvert, racontant dans le menu détail sa prime jeunesse. Sa scolarité auprès de monsieur Aïach, son instituteur préféré, adoré des élèves et des parents, sa Bar Misvah entouré des enfants du quartier pour une joyeuse journée, terminée au Marignan comme le voulait la coutume qui voyait le communiant payer le cinéma à ses jeunes invités, sa première place au concours du jeune footballeur, compétition très prisée en Algérie, les distribution des prix où Richard raflait tous les premiers prix de français, les étés lumineux que toute la famille passait aux Horizons Bleus, petite station balnéaire  à huit kilomètres d’Alger et une multitude d’anecdotes que Lisette racontait à Carmen en s’excusant de  « lui tenir la jambe » aussi longtemps. Les deux naufragées de l’amour se rendaient à l’évidence, Richard leur manquait, il occupait le terrain par son absence, une absence qui prenait heureusement un autre visage depuis leur rencontre. En se portant secours, elles se remontaient le moral à chaque lettre échangée, à chaque sourire ou fou-rire déclenché à la volée, à chaque mot chuchoté entre une mère et sa fille.
--«  Et alors, qu’est ce tu vas faire, tu vas renier ta fille parce qu’elle veut se marier avec un juif ? »
--« Et pourquoi pas ? Elle s’est demandé si ça me faisait mal, elle me connaît quand même, elle savait que je le prendrais pas avec détachement! Et puis, y avait pas assez de pieds noirs catholiques à marier, il a fallu qu’elle nous ramène un juif. »
Il s’arrêta un instant comme si ses mots le choquaient. Tous ses amis de Perrégaux étaient des espagnols mais également des juifs venus de Grenade, Valence ou d’ailleurs.
Il poursuivit :  
--« Attention j’ai rien contre lui ni contre les juifs, mais pour ma fille, je voulais un chrétien, qui va à l’église,  même qui va pas à l’église. Juste sur moi, c’est tombé. »
--« C’est tombé sur nous parce que ta fille, elle est tombée amoureuse d’un juif. Elle a rien calculé, c’est pas contre toi ni contre moi. Le seul fautif, c’est l’amour. Et puis, je connais ma fille, elle fera rien contre nous, elle sera simplement la femme de Richard. Et elle restera ta fille. Au contraire, elle nous sera reconnaissante d’être auprès d’elle et non contre elle. C’est sa vie. Notre devoir c’est de la rendre heureuse. Tant que tu donneras pas ton consentement, elle sera malheureuseCa, c’est incontestable !»
Joseph Solivérès se leva lourdement de son fauteuil sans dire un mot, Il déposa un baiser sur les cheveux de sa femme, enfila sa veste en gabardine et sortit de la maison. Rosette comprit alors que son mari se dirigeait vers la petite chapelle de Saint Augustin pour parler avec son fils endormi au cimetière de Perrégaux. Malgré l’émotion qu’elle ressentait à chaque évocation du monologue de son époux avec son fils disparu, elle savait que Carmen avait gagné.

 A SUIVRE......................

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