vendredi 7 septembre 2012

LE DESTIN FABULEUX DE LEON JUDA BEN DURAN de Hubert Zakine


Au milieu d'un brouhaha indescriptible provoqué par les jeunes officiers qui refusaient la capitulation et demandaient la défense de la ville, HUSSEIN ordonna à sa garde personnelle de faire évacuer les alentours de la "cassaubah" envahie par une foule inquiète.

Le Dey imposa d'une voix forte et péremptoire le renoncement au suicide collectif. Entouré de ses ministres, de BRACEWITZ, Jacob BACRI et Léon Juda, le visage défait, il posa son chasse-mouches sur son trône puis prit connaissance des conventions accordées par les autorités françaises à ses biens et à sa personne.

Du  haut de sa terrasse mauresque, il assista, ensuite,  impuissant, à la curée. Son peuple fuyait EL DJEZAIR que la FRANCE baptisait déjà du nom d'ALGER. Le port était la proie d'une folie collective qui voyait les embarcations filer sur CAP-MATIFOU, presqu'île ignorée par les hommes de DE BOURMONT. La porte BAB AZOUN devenait le théâtre d'une ruée vers l'Est, de nombreuses familles qui désertaient la ville pour CONSTANTINE et  sa région.

En quittant la "cassaubah" par l'étroite rampe qui montait à la citadelle, Léon Juda et Jacob se félicitèrent des libertés de culte et de commerce énoncées dans l'ordonnance de capitulation entérinée par HUSSEIN PACHA. La ville semblait en proie à une réelle panique. Les "janissaires", les maures, les arabes, les juifs, hommes, femmes, enfants s'engageaient vers le palais du Régent malgré les conseils de ceux qui savaient. N'écoutant que les propos alarmistes, la foule pleurait, vociférait, hurlait, priait mais ne répondait pas aux appels au calme.

La synagogue SARFATI communiait dans un silence étonnant pour un peuple amoureux de la vie, donc du bruit. Une fois de plus, elle s'offrait au sacrifice si telle était la volonté de l'Eternel. Ses fidèles attendaient le message divin avec une discipline que, seule, la foi peut instituer.

Le message vint des deux ennemis d'hier, à présent réunis dans un même combat.

--" Mes amis! le jour de gloire est arrivé! la FRANCE a vaincu l'armée ottomane et le DEY  renonce à la bataille........"

A cette nouvelle, le Temple explosa d'une joie trop longtemps retenue. Jacob BACRI réussit à grande peine à poursuivre.

--" Une ère nouvelle commence! Demain, à 9 heures, les troupes françaises entreront dans EL DJEZAIR qu'il faudra appeler dorénavant à la française, ALGER.. DURAN et moi, nous irons demain au devant du commandant en chef. Fêtez les nouveaux maîtres du pays avec vos femmes et vos enfants! montrez leur votre joie de devenir les sujets du Roi de FRANCE. Que vos femmes se parent de leurs robes de cérémonie, les bras chargés de cadeaux pour nos sauveurs. Respectez ces consignes et la FRANCE saura vous récompenser."  

YYY

La nuit marine enveloppait la ville blanche d'un nuage de silence. Silence pesant, feutré, étouffé. Armée d'ombres désarmées qui frôlaient les murs et pressaient le pas. Slalomant entre les tâches de lumière déposées par un disque lunaire, filtrées par l'étroitesse des ruelles.                              

De sa terrasse bercée par le bruissement de la campagne  environnante, Léon Juda, cerné par les serpentins de papier tue-mouches qui descendaient en cascade de la tonnelle, s'impatientait de la langueur de cette nuit qui ralentissait son sommeil, comme si elle désirait savourer le calme après la tempête, la joie après le pathétique, ALGER après EL DJEZAIR.

Dernière nuit aux mille parfums ottomans qui s'évaporaient déjà, chassés par le souffle violent d'une histoire en marche.

Dans ces moments d'indicible bonheur, Léon Juda aimait à se souvenir. Chaque instant lui apportait son lot de moments privilégiés à partager avec la douloureuse absence. La mémoire est ainsi faite qu'elle emporte des impressions fugaces dans l'océan de l'oubli. Mais, une volonté farouche habitait l'aîné des DURAN pour conserver, intactes, les images d'autrefois. Son père et sa mère, la douce Aïcha BIBAS, assis tous les deux sur la terrasse auprès de lui. Il leur parlait d'hier et d'aujourd'hui, d'avant-hier et de demain. De la main de l'Eternel qui caressait son peuple du Maghreb par la FRANCE interposée. Enfin, la lumière! Enfin, la vie!

La méditerranée quitta sa robe argentée pour son habit de pourpre et de miel. Le jour s'était levé sur l'imagination de Léon Juda. Disparaissait avec les prémices de cette chaude journée d'été qui allait changer l'existence de ce pays, les visages, un instant ressuscités, de ses chers disparus. Le mirage de la nuit s'était évanoui pour laisser place au miroir de la vie, l'entrée des troupes françaises dans ALGER, ex-  EL  DJEZAIR.

YYY

Montés sur des chevaux harnachés de riches ornements, les deux chefs de la Nation Juive présentèrent leurs civilités aux nouveaux maîtres du pays. Derrière les deux notables s'étirait une longue et disciplinée file indienne de femmes, d'hommes, d'enfants, de mulets écrasés sous le poids des cadeaux de bienvenue aux libérateurs du peuple juif. Les "you-you" des femmes israélites, empruntées à la tradition festive arabe, étonnèrent les soldats français qui entraient dans ALGER en liesse en ordre parfait malgré l'étroitesse des rues. Contrairement aux juifs démonstratifs à souhait qui se déshabillaient, ostensiblement, de leurs vêtements de couleur sombre imposée par la Régence turque, les Maures ne laissaient transparaître nulle joie, nulle inquiétude, nul sentiment, semblant ignorer la présence des français. Pourtant, en basculant dans les bras de la FRANCE, la population de l'ex-Régence voyait, à n'en pas douter, sa condition évoluer vers les trois professions de foi énoncées au lendemain de la révolution de 1789: liberté, égalité, fraternité. Mais l'âme musulmane s'avéra insondable pour les nouveaux occupants qui en prirent conscience très vite. L'intendant militaire DENNIE reçût, dès le 6 juillet 1830, Léon Juda BEN DURAN et Saûl COHEN-SOLAL qui lui proposèrent  les services de la communauté pour les affaires financières, les études topographique du pays, la traduction des différentes langues et dialectes, la vente et la fabrication de vêtements adaptés au climat du moghreb, la vente et la livraison de chevaux, mulets, bêtes à cornes ainsi que le recensement des maisons abandonnées par les turcs et "koulouglhis".

Les autorités françaises prirent acte de la proposition des notables israélites de leur servir de révélateur du pays. Un pays dont elles ne maîtrisaient rien, sinon les points stratégiques et militaires.

 De son côté, Jacob BACRI, demeuré à ALGER contrairement à son frère, le "vieux" Joseph, replié à LIVOURNE,  proposa au Commandant en chef des forces françaises, le Général De BOURMONT, de l'accueillir dans sa somptueuse maison de la Bouzaréah. Le nouveau maître d'ALGER accepta l'invitation de cet homme connu du Tout-PARIS, ami de TALLEYRAND, qui déjeunait avec BONAPARTE et entretenait la danseuse étoile de l'opéra. Relations qui lui permettront de connaître la nouvelle de la chute de la monarchie le 10 août 1830, avant de l'apprendre à son illustre hôte.

Les efforts conjugués des deux ennemis d'hier encouragèrent les français à développer une étroite collaboration avec les fils de MOÏSE, nommés à des postes subalternes mais essentiels dans la compréhension du pays. On les vit, ainsi,  interprètes, secrétaires, conseillers, topographes militaires et surtout ambassadeurs de la FRANCE auprès des arabes.

YYY

A SUIVRE...................... 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire