Dehors, une averse rafraichissait la ville. Léon et son
frère se dirigeaient vers la synagogue le cœur content, plaisantant à chaque
instant comme des jeunes hommes sur le passage de jolies filles en fleurs. Le
shabbat s’annonçait et des grappes d’hommes s’agglutinaient devant le centre
communautaire. La guerre des six jours avait eu un écho retentissant auprès du
monde juif en rapprochant les idées et les hommes. Depuis, le lien détendu dans
la moiteur d’un confort de bon aloi s’était renforcé pour devenir le rempart
inexpugnable et le cocon où les membres de la communauté aimaient se retrouver
pour confronter leurs opinions et refaire le Moyen-Orient entre mythe et
réalité. Les deux frères n’auraient raté pour rien au monde ces prières qui
montaient dans le ciel Cannois tous les vendredi en fin d’après midi.
Agrémentées par la présence de nombreux vacanciers, ces soirées sentaient bon
les retrouvailles avec le temps pas si lointain des shabbats d’Algérie où tout
le monde sortait sur les balcons pour souhaiter la fête alentour. Mais la
raison essentielle tenait en quelques mots que, jamais, les deux frères
n’oseraient prononcer devant autrui et qui concernaient Richard, soldat de
l’armée d’Israël à des milliers de kilomètres de là. Même entre eux, ils
évitaient d’évoquer le nom de cet être
pourtant si cher à leur cœur mais la superstition judéo-arabe était passée par
là et rien n’y faisait.
Le ciel s’était éclairci pendant l’office offrant un joli
arc en ciel à la croisette. Un groupe d’hommes s’était formé autour d’une femme
qui gesticulait plus que de raison. Les deux frères se frayèrent un chemin en
jouant des coudes pour entendre des bribes de phrases sur Israël s’envoler au
dessus de leurs têtes. Il s’agissait d’une patrouille prise pour cible en plein
Tel Aviv par un terroriste palestinien avant d’être abattu.
--« Ca y
est ! Ca recommence, ça leur a pas suffi. Jusqu’à quand ça va durer. »
--« Ca durera
tant que les Arabes y voudront pas comprendre qu’il vaut mieux vivre en paix
avec nous. Aouah, y veulent faire la guerre, pendant ce temps le peuple y se
pose pas de questions. C’est comme ça depuis la nuit des temps ! »
Les avis fusaient de partout, seuls les frères Benaïm
demeuraient silencieux. Ils songeaient à Richard en première ligne à la
frontière égyptienne, à l’angoisse qui s’emparerait du peuple d’Israël,
diaspora comprise si d’aventure les arabes remettaient ça. Même si la victoire
était dans tous les esprits, une guerre est toujours une guerre avec son
cortège de visions apocalyptiques, de drames collectifs ou personnels, de
jeunes tués ou mutilés.
--«
Aouah ! Ils ont pas les moyens de remettre ça ou sinon, y prendront une
tannée dont ils se souviendront. »
--« C’est un
attentat comme y en avait à Alger. Seulement en Israël, on tergiverse pas. On
discute pas. Ya pas, un terroriste on l’abat. Un point, c’est tout ! »
Rassérénés par ces quelques mots, les deux frères
regagnèrent l’appartement de Léon Bénaïm où les attendaient Lisette et Carmen, pour un shabbat en famille. Les deux frères
avaient d’un commun accord décidé de ne pas parler de l’incident israélien afin
de ne pas empoisonner la soirée. Durant le repas, le rire succéda au fou-rire
mais le sujet de conversation principal
débouchait inévitablement sur Richard et sur la conversion de Carmen.
--« Que longue
et parsemée de roses soit la route qu’ils emprunteront. Que notre fils chéri y
rentre en bonne santé. Dieu bénisse. Et que tu nous donnes plein de chitanes
parce que les enfants, c’est du bonheur dans la maison. »
Carmen faisait à présent partie de la maison. Elle était
couvée par toute la famille qui se sentait investie d’une mission sacrée,
prendre sous son aile la fiancée de Richard.
--« Alors, ma
fille où tu en es avec le rabbin Zekri ? »
--« Il veut à
présent rencontrer mes parents ! »
--« C’est normal
mais tu n’avais pas dit que tu te chargeais de les faire accepter ta
conversion ? »
--« Oui !
Et c’était pas une sinécure ; pour mon père, il a fallu que ma mère joue
de la corde sensible. C’est dur pour eux, je le sais. Il fallait que je fasse
de la peine à mes parents ou faire une
croix sur mon amour. Le choix
était simple. »
Carmen reprit son souffle et continua :
« Maintenant,
quand ils connaitront un peu mieux
Richard, je le sais, ils l’aimeront comme je l’aime. Comme elle a dit ma mère,
c’est pas parce que notre fille se fait
juive qu’elle sera plus notre fille. Seulement elle sera aussi la femme de
Richard. »
--« C’est sur que ce doit être dur pour des parents !Mais le
rabbin est au courant ? » s’inquiéta Léon
--« Je suis allée le voir avec votre dame. Il veut rencontrer
mes parents la semaine prochaine avant de poursuivre mes études. »
Lisette écoutait Carmen avec des
larmes dans les yeux, son cœur de mère écartelé entre le désir de lui faciliter
la vie et l’absolue nécessité de la voir embrasser la religion de son fils pour
fonder un foyer en harmonie avec les critères du judaïsme. Elle voyait cette petite se démener, seule
contre tous, pour répondre à l’attente de Richard et elle mesurait la puissance
de ce sentiment qui guidait son choix. Au moment du départ, elle l’embrassa et
lui glissa à l’oreille en guise d’encouragement
--« Quand Richard saura, il appréciera, crois moi, je connais mon
fils ! »
--« Je n’en doute pas une seconde
A SUIVRE.................
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