vendredi 28 septembre 2012

MARIE-TOI DANS TA RUE MON FILS ! de Hubert Zakine


Dehors, une averse rafraichissait la ville. Léon et son frère se dirigeaient vers la synagogue le cœur content, plaisantant à chaque instant comme des jeunes hommes sur le passage de jolies filles en fleurs. Le shabbat s’annonçait et des grappes d’hommes s’agglutinaient devant le centre communautaire. La guerre des six jours avait eu un écho retentissant auprès du monde juif en rapprochant les idées et les hommes. Depuis, le lien détendu dans la moiteur d’un confort de bon aloi s’était renforcé pour devenir le rempart inexpugnable et le cocon où les membres de la communauté aimaient se retrouver pour confronter leurs opinions et refaire le Moyen-Orient entre mythe et réalité. Les deux frères n’auraient raté pour rien au monde ces prières qui montaient dans le ciel Cannois tous les vendredi en fin d’après midi. Agrémentées par la présence de nombreux vacanciers, ces soirées sentaient bon les retrouvailles avec le temps pas si lointain des shabbats d’Algérie où tout le monde sortait sur les balcons pour souhaiter la fête alentour. Mais la raison essentielle tenait en quelques mots que, jamais, les deux frères n’oseraient prononcer devant autrui et qui concernaient Richard, soldat de l’armée d’Israël à des milliers de kilomètres de là. Même entre eux, ils évitaient d’évoquer  le nom de cet être pourtant si cher à leur cœur mais la superstition judéo-arabe était passée par là et rien n’y faisait.
Le ciel s’était éclairci pendant l’office offrant un joli arc en ciel à la croisette. Un groupe d’hommes s’était formé autour d’une femme qui gesticulait plus que de raison. Les deux frères se frayèrent un chemin en jouant des coudes pour entendre des bribes de phrases sur Israël s’envoler au dessus de leurs têtes. Il s’agissait d’une patrouille prise pour cible en plein Tel Aviv par un terroriste palestinien avant d’être abattu.
--«  Ca y est ! Ca recommence, ça leur a pas suffi. Jusqu’à quand ça va durer. »
--«  Ca durera tant que les Arabes y voudront pas comprendre qu’il vaut mieux vivre en paix avec nous. Aouah, y veulent faire la guerre, pendant ce temps le peuple y se pose pas de questions. C’est comme ça depuis la nuit des temps ! »
Les avis fusaient de partout, seuls les frères Benaïm demeuraient silencieux. Ils songeaient à Richard en première ligne à la frontière égyptienne, à l’angoisse qui s’emparerait du peuple d’Israël, diaspora comprise si d’aventure les arabes remettaient ça. Même si la victoire était dans tous les esprits, une guerre est toujours une guerre avec son cortège de visions apocalyptiques, de drames collectifs ou personnels, de jeunes tués ou  mutilés.
--«  Aouah ! Ils ont pas les moyens de remettre ça ou sinon, y prendront une tannée dont ils se souviendront. »
--«  C’est un attentat comme y en avait à Alger. Seulement en Israël, on tergiverse pas. On discute pas. Ya pas, un terroriste on l’abat. Un point, c’est tout ! »
Rassérénés par ces quelques mots, les deux frères regagnèrent l’appartement de Léon Bénaïm où les attendaient Lisette et Carmen,  pour un shabbat en famille. Les deux frères avaient d’un commun accord décidé de ne pas parler de l’incident israélien afin de ne pas empoisonner la soirée. Durant le repas, le rire succéda au fou-rire mais le sujet de conversation principal  débouchait inévitablement sur Richard et sur la conversion de Carmen.
--«  Que longue et parsemée de roses soit la route qu’ils emprunteront. Que notre fils chéri y rentre en bonne santé. Dieu bénisse. Et que tu nous donnes plein de chitanes parce que les enfants, c’est du bonheur dans la maison. »
Carmen faisait à présent partie de la maison. Elle était couvée par toute la famille qui se sentait investie d’une mission sacrée, prendre sous son aile la fiancée de Richard.
--« Alors, ma fille où tu en es avec le rabbin Zekri ? »
--« Il veut à présent rencontrer mes parents ! »
--« C’est normal mais tu n’avais pas dit que tu te chargeais de les faire accepter ta conversion ? »
--« Oui ! Et c’était pas une sinécure ; pour mon père, il a fallu que ma mère joue de la corde sensible. C’est dur pour eux, je le sais. Il fallait que je fasse de la peine à mes parents ou faire  une croix sur mon amour.   Le choix était simple.  »
Carmen reprit son souffle et continua :
«  Maintenant, quand ils  connaitront un peu mieux Richard, je le sais, ils l’aimeront comme je l’aime. Comme elle a dit ma mère, c’est pas parce que notre fille  se fait juive qu’elle sera plus notre fille. Seulement elle sera aussi la femme de Richard. »
--« C’est sur que ce doit être dur pour des parents !Mais le rabbin est au courant ? » s’inquiéta Léon
--« Je suis allée le voir avec votre dame. Il veut rencontrer mes parents la semaine prochaine avant de poursuivre mes études. »
Lisette écoutait Carmen avec des larmes dans les yeux, son cœur de mère écartelé entre le désir de lui faciliter la vie et l’absolue nécessité de la voir embrasser la religion de son fils pour fonder un foyer en harmonie avec les critères du judaïsme.  Elle voyait cette petite se démener, seule contre tous, pour répondre à l’attente de Richard et elle mesurait la puissance de ce sentiment qui guidait son choix. Au moment du départ, elle l’embrassa et lui glissa à l’oreille en guise d’encouragement
--« Quand Richard saura, il appréciera, crois moi, je connais mon fils ! »
--« Je n’en doute pas une seconde
 

  A SUIVRE.................                                      ///////

 

 

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