samedi 28 avril 2012

MARIE-TOI DANS TA RUE MON FILS de Hubert Zakine

Victor, de Charm El Cheik où il était stationné depuis trois mois, découvrait la vie militaire telle qu’il la pressentait et cela lui convenait parfaitement. Il ne s’en plaignait pas, bien au contraire répétait-il dans ses lettres, il s’ancrait ainsi dans son nouveau pays en y entrant par la grande porte. La discipline lui semblait insignifiante comparée à celle de l’armée française mais chacun se sentait investi d’une mission sacrée qui passait forcément par le respect de l’uniforme. Par contre, les permissions semblaient exclues tout au moins pour le moment ce qui ne laissait aux deux amis d’enfance qu’une amitié par correspondance mais comme le soulignait Victor : A la guerre comme à guerre.



Richard faisait contre fortune bon cœur en se remémorant leur première rencontre dans leur enfance sur les bords de la grande bleue à Alger. Victor, nouvel arrivant dans le quartier de Bab El Oued, en provenance de son Maroc natal en pleine effervescence s’était présenté à lui sur la plage de Padovani.
--« J’habite rue Rochambeau et je cherche à rentrer dans une bande de copains. »
Sa spontanéité avait séduit Richard puis le reste de la bande alors que la sélection d’entrée dans ce groupe était réservée à quelques rares initiés, adeptes du jeu numéro un de la jeunesse du quartier : le football des rues. Chance suprême, il était un excellent footballeur.
Après avoir perdu le Maroc, il avait subi une autre blessure qu’il croyait mortelle en quittant l’Algérie. A présent, son dernier port d’attache qui lui avait ouvert les bras et dont il espérait tant s’appelait Israël. Ce double déracinement d’Afrique du nord sera le dernier, s’était-il promis et à présent, il savait. Sa nouvelle terre d’accueil était la terre où il enracinera sa vie.
Richard et Victor se contentaient de fouler la terre de leurs ancêtres pour être heureux, même si des centaines de kilomètres les séparaient, même si leur manquaient les parties de rigolade et bien autre choses encore, tous les deux buvaient chaque instant avec délectation. Mais ils savaient au fond d’eux-mêmes que leurs retrouvailles seraient définitives en terre sainte. Et leur désir de voir le reste de la bande les rejoindre le moment venu était plus que jamais d’actualité.

Pour le moment, Richard correspondait avec Carmen qui commençait à lui manquer plus que de raison. Son camarade blidéen l’invita lors de sa première permission. Il habitait Netanya avec ses parents et ses deux sœurs depuis septembre1961 date à laquelle le chef de famille avait répondu aux sirènes d’Israël qui envoyait des émissaires en Algérie. Ils vantaient le pays de leurs ancêtres et tous les avantages qui étaient consentis aux pieds noirs de confession israélite. L’Algérie, estimaient-ils, était perdue et quitte à partir, la terre sainte représentait un beau challenge à relever en même temps qu’une destination qui fêterait les nouveaux émigrants comme il se doit et non pas comme des chiens dans un jeu de quilles. Avec logement, prime d’installation et cours d’hébreu. Les Narboni n’eurent pas à regretter leur choix et aujourd’hui, ils résidaient dans un petit immeuble dans le quartier neuf de Netanya. Un shabbat dans une famille comme à Alger et comme à Cannes, Richard n’en avait pas vécu depuis qu’il vivait en Israël.
Grâce à Norbert Narboni il allait connaître ce bonheur qui lui rappellerait la douceur d’un foyer familial, le repas de fête avec le pain juif et toutes sortes de pâtisseries dont les pieds noirs raffolent. Et comme les femmes juives aiment régaler leur famille………….
C’est une jolie jeune fille accompagnée de la maîtresse de maison qui vint ouvrir la porte. Les bras chargés d’un bouquet de fleurs, Richard eut tout le loisir de constater que la maman de Norbert ressemblait à toutes les mamans d’Algérie avec un amour démesuré et si démonstratif que Norbert en parut quelque peu gêné.
--« Oh, monsieur Richard, il ne fallait pas. » fut la formule de courtoisie qui accueillit Richard et son bouquet de fleurs.
--« S’il vous plait, Madame, je serais plus à l’aise si vous m’appelez simplement Richard et j’aurais l’impression de passer un shabbat en famille. »
--« Mais c’est exactement çà. Vous êtes en famille. Ici, c’est comme à la maison. ». Une voix forte venue de la salle à manger s’excusa :
--« Je suis en train de préparer le plateau du shabbat. C’est ma prérogative et j’y tiens. »
Papa Narboni paraissait un bon vivant tel que le lui avait décris son fils.
Ils représentaient la famille juive avec les filles qui aidaient la maman dans la bonne humeur un jour de shabbat et le fils cajolé et couvé du regard.

La soirée se passa dans la joie et la douceur d’un foyer comme l’avait connu Richard en France et en Algérie. Le repas terminé, les trois hommes prirent le frais en dégustant des remchets, pâtisseries orientales dont le goût et l’odeur de fleur d’oranger les replongèrent dans le doux parfum de leur jeunesse. Ils en profitèrent pour laisser libre cours à leur nostalgie en évoquant l’Algérie. Richard s’aperçut ainsi que si Netanya avait supplanté Alger dans les faits, le pays natal était toujours une blessure dont il fallait bien s’accommoder. Quand Richard se leva pour dire au revoir à la famille Narboni, la maîtresse de maison se rebella gentiment :
--« Vous restez ici. A la bonne franquette, comme là bas. Avec les matelas par terre. »
Comme Richard tenta de refuser, maman Narboni joua de la corde sensible.
--« Vous allez me vexer. Vous voulez pas me vexer, Richard ? ».
--« Pas le moins du monde, madame ! »

A SUIVRE.......................

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire