vendredi 16 mars 2012

MARIE-TOI DANS TA RUE MON FILS de Hubert Zakine

LA VICTOIRE EN CHANTANT



Le retour des kibboutzim fut le prétexte d’un gigantesque feu de joie. A Nahal Oz, aucun absent ne fut dénombré malgré le tribut payé par les enfants d’Israël. Toutes les guerres pleurent des larmes de sang sur les allées victorieuses et les sentiers hideux de la défaite. Le Moyen-Orient n’échappa pas à la règle mais le sentiment de fierté qui éclaboussa le « peuple élu » tamisa le chagrin des familles touchées par l’implacable nécessité de la guerre.


Richard et ses amis sortaient indemnes de cette semaine de folie mais s’imposait en eux l’absolue certitude que leur destin s’écrivait en lettres hébraïques au milieu de ce peuple auquel ils ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Victor et Richard en étaient déjà à commenter les arguments à développer auprès de leurs parents Mais Richard ajoutait :
-- Avant toute chose, il faut faire l’armée en Israël ! ».
Durant les huit jours qui restaient avant le retour en France, le débat s’installa entre les enfants d’Alger sur l’opportunité de rallier Tsahal ou l’armée française.
--« Tu te vois mobilisé par ceux qui t’ont trahi en Algérie? Des gens qui ont baissé le pantalon devant l’ennemi. Ici, on t’encourage à te défendre, là-bas, la France elle te traquait quand elle te tirait pas dessus comme rue d’Isly. Aouah ! Moi c’est tout réfléchi. Je fais l’armée ici ! » martela Victor.
Ses amis, ses frères pensaient comme lui mais la vie est ainsi faite qu’elle vous arrime aussi à une famille, à des priorités voire à des nécessités. Tenir compte des autres c’est aussi vivre sa vie. Egoïsme et famille ne font pas bon ménage Richard en était persuadé. Ses parents, son frère, sa sœur, Carmen, sa douce, tantôt inaccessible, tantôt espérée, toujours aimée se rendraient à l’évidence.


Le retour d’Israël fut silencieux. La séparation de l’amitié, douloureuse. Mais un sentiment patriotique renaissant de ses cendres s’était levé dans le jeune cœur des cinq garçons et tout compte fait, ce voyage avait enrichi leur avenir. A présent, l’espérance de prochaines retrouvailles avait colorié leurs joues. A présent, ils savaient. Vivre tous les cinq sur une même terre comme autrefois était à nouveau possible. L’exode d’Alger avait soufflé sur la flamme de l’amitié. Une amitié qui luttait pied à pied contre les vents mauvais tracés par l’espace et le temps. A présent, ce retour aux sources révélait d’autres perspectives, renouait d’autres sentiments, enfouissait d’autres racines au plus profond de la terre ancestrale. L’espoir au cœur, ils s’étaient quittés sans tristesse.


Carmen était toujours aussi belle. La mue s’opérait de jour en jour. Le joli papillon déployait ses ailes pour s’envoler vers d’autres horizons mais son regard s’arrêtait à Richard. Ce mois avait été une torture loin de l’homme de sa vie. Si elle avait pu en douter un seul instant, cette séparation révélait la certitude de l’absence. Le parfum de ses sentiments embaumait plus que jamais l’amour avec un grand A. Lors de leurs longues retrouvailles, Richard s’était ouvert de ses intentions de rallier Tsahal. Sa décision de remplir ses obligations militaires en Israël, première étape d’une aliah intensément désirée, son bonheur de participer à une aventure humaine qu’aucun autre pays ne lui offrait, son intention d’écrire quelques pages supplémentaires de l’histoire fabuleuse du judaïsme en terre promise après que d’autres aient effacé la belle épopée de la France en Algérie, son désir d’offrir ses bras et son cœur, sa vie même, à une terre qui ouvrait son ventre à l’enracinement de son arbre de vie, et puis l’évidente vérité, la préférence de vivre en osmose avec un peuple dont chaque membre est un frère. Là était son avenir, là se construirait sa Maison. Et il ajouta : « Avec toi si tu le veux ! »
Carmen se blottit alors dans ses bras.
--« Je le veux ! » se contenta t-elle de répondre.

Richard avait mûri. Sans s’en rendre compte, il avait traversé le trottoir qui mène de l’adolescence à l’âge adulte. La guerre des six jours avait servi de détonateur pour ce garçon qui retenait l’enfance sur les rives de la terre natale. La crainte, sans doute, de la voir disparaître à jamais avec l’âge des culottes courtes. En emmitouflant ses souvenirs dans un épais haïk au doux parfum de là-bas, en préservant le vieil album de cuir brun d’autrefois dont les photos racontent les moments magiques d’une épopée balayée par une bourrasque venue d’ailleurs ou bien en cultivant cette jolie fleur de nostalgie à l’abri des tentations de l’oubli. Oui, une peur de l’oubli par mémoire éreintée. Richard avait freiné la course du temps pour photographier les visages et les voix, les paysages et les nuits étoilées, les jours heureux et le nom des rues d’Alger.
Enfermé dans sa certitude du passé et le mirage d’un avenir lumineux, Richard savait gré à Carmen de lui avoir ouvert les portes de son enfer personnel afin de le guider vers l’espérance d’un prochain renouveau. Mais le doute était là ! Et Israël semblait la clé qui ouvrirait l’accès d’un monde qu’il croyait à jamais perdu.


--« Y pouvait rien t’arriver de mieux ! Lui chez les siens et toi chez les tiens. Lui en Israël et toi ici, en France ! » commenta papa Solivérès lorsque Carmen s’ouvrit du projet de Richard de s’installer en terre sainte.


--« Ah bon ! Parce que la France c’est devenu ton pays ! Hier encore tu la maudissais de t’avoir jeté sur un autre trottoir et maintenant tu la bénis simplement parce que le garçon que j’aime il est juif ! Tu imagines s’il avait été patos ? »


--« Mais attends ma fille ! Richard y t’a parlé de la loi du retour ? Que seuls les juifs y z’en bénéficient. Tu seras quoi toi, là bas ? »


--« Je serai la femme de Richard. Et la mère de ses enfants ! » répliqua Carmen avec un rien de provocation qu’elle regretta immédiatement. Aussi s’approcha t-elle de sa mère et déposa un léger baiser sur sa joue.


--« Qu’il fasse son service militaire en Israël et après le Bon Dieu il est grand. Y peut s’en passer des choses en trois ans ! Déjà, y peut changer d’avis et ne plus vouloir vivre là-bas. Ensuite, qui te dit que tu peux pas rencontrer quelqu’un d’autre ? A savoir. Et tu sais ma fille, trois années loin de ton chéri, c’est long, c’est très long ! »


--« Dis moi manman, rappelles moi ! Combien de temps tu as attendu papa avant de l’épouser, quatre ans, cinq ans ? » lança la jeune fille avec une pointe d’ironie qui fit sourire sa mère.


--« C’était la guerre, ma fille ! »


Une fois de plus, Rosette Solivérés joua les bons offices entre son époux et sa fille. « Deux têtes de mule ! » concluait-elle lors des sempiternelles prises de bec de ses deux amours.


--« Et puis d’abord, si y part, je pars avec lui ! » lâcha, péremptoire, Carmen.


Son père se leva en silence, le geste ralenti, comme si une vieillesse soudaine s’était abattue sur ses épaules. Il se figea devant sa fille, la toisa du regard, et dans un geste las, sortit de la salle à manger en maugréant. Alors, Carmen leva les yeux vers sa mère et ajouta d’une voix adoucie


--« Ma vie elle est auprès de Richard, Manman ! Peu importe où ce sera. En France, en Israël ou à Tombouctou. Fais lui comprendre à Papa! Je veux pas qu’il soit malheureux. ! »


-- « Je veux ! Je veux ! Tu as que ce mot à la bouche. Tu penses qu’à toi et même si c’est de ta vie qu’il s’agit, ne croies pas que ça se fera sans douleur pour ton père et pour moi ! Que tu vives en France ou en Israël ! Mais saches que malgré tout, je te soutiendrais quoi qu’il arrive. Même si ça doit coincer entre ton père et moi! ».


Elle reprit son souffle, puis d’une voix tamisée, elle reprit :


--« Tu sais, ma fille, les hommes y pensent pas comme nous et même si le bonheur est au bout de la route, y passent par des chemins détournés et parfois même tortueux pour arriver au même résultat. Je te dis tout ça ma fille parce que je t’aime. Mais n’oublies jamais une chose : ton père y t’aime aussi ! Y pense différemment simplement parce qu’il est un homme ! Et aussi parce qu’il veut le meilleur pour sa fille ! »


--« j’en doute pas manman, mais justement le meilleur pour moi, c’est Richard. Juif ou pas juif ! »


Ce qu’elle ne disait pas à sa douce comme à son chéri c’est que le train de sa conversion était en marche. Elle rencontrait assidûment le rabbin Zekri qui avait pris la mesure du sentiment qui unissait Carmen à Richard. La petite Perrégauloise avait trouvé auprès de l’homme de Dieu une oreille attentive et une compréhension affective dont elle lui était redevable.


--« Tu as besoin d’une volonté farouche pour aller au bout de tes rêves ! » lui répétait l’homme de Dieu.


« Mais ces rêves passeront par le filtre du judaïsme avant de passer par celui que t’inspire Richard. Ne l’oublie jamais. La conversion ne peut se contenter d’un engagement de raison mais d’une adhésion totale aux lois qui régissent le judaïsme. Plus tôt, tu appréhenderas cette nécessité que t’impose ton choix, et plus tôt les efforts consentis te paraîtront sources de joie. Mais si ces études t’apportent le savoir et ignorent le plaisir du cœur, alors ta conversion sera un échec.
Apprends, ma fille ! Et, lorsque l’histoire millénaire d’une civilisation à laquelle appartient l’homme que tu as choisis pour fonder ta famille entrera dans ton cœur, alors toutes les synagogues t’ouvriront leurs portes. La route est encore longue mais la lumière sera au bout de ton chemin. »


Il s’arrêta un bref instant, referma machinalement la fenêtre de son bureau ouverte sur la cour de la synagogue puis continua :


« Mais attention petite, demeurer dans sa propre foi est également un acte réjouissant pour la vie future de tout être humain. La lumière jaillit également. Elle n’est pas réservée aux enfants d’Israël mais il est question de ton avenir auprès de Richard si tu empruntes le chemin de la conversion. C’est de cela et de cela seulement qu’il est question. Ca ne m’empêche nullement de penser à tes parents que j’aimerais bien rencontrer un de ces jours car tu es mineure et je ne ferais pas la démarche définitive avant de connaître leurs sentiments. »


--« Je vous l’promets, monsieur le rabbin ! »

A SUIVRE..............

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