dimanche 11 mars 2012

HORIZONS BLEUS "le cabanon des gens heureux" de Hubert Zakine

Le mois de Juillet il est passé comme un avion à réaction. Colette et Bibi, c’est une affaire qui marche. Tout le monde, y nous regarde l’air de pas avoir l’air. Total, y z’en pensent pas moins.
Oubliés tous les Tarzan, les Ramsès et tous les Zorro de la planète. Ch’uis champion du monde et des alentours toutes catégories des grands séducteurs. Hollywood y me tend les bras. Attends-moi, Cary Grant, j’arrive ! Ma petite chinoise, comment elle va faire pour se passer de moi, la pauvre quand l’été il ira chez sa mère ? Aouah, mieux je pense au présent. Et le présent c’est l’anniversaire de Marraine.

Marraine, qui c’est qui la considère pas de la famille ? Les grands et les petits on l’appelle marraine total elle est marraine de rien du tout mais tellement elle est pleine d’affection pour les uns et les autres que tout le monde on l’a adoptée. Aussi, chacun il y va de sa sollicitude. Pour les femmes de chez nous, un anniversaire sans une tonne et demie de gâteaux arabes, espagnols, juifs, italiens, sénégalais, chinois et martiens, c’est pas un anniversaire soûa-soûa. Alors, rien qu’elles pétrissent, qu’elles décortiquent les amandes, qu’elles tapent les galettes blanches, la pastière, les macarons, les cigares aux amandes que les juifs y z’appellent remchets , du nougat aux dattes et aux amandes and so on… Cette expression, c’est tout c’qui me reste de ma première année d’anglais que le professeur y parlait cette langue avec un accent pied noir, j’vous dis pas.

La vérité, un garçon ou une fille de Bab El Oued, vous croyez vraiment que c’est fait pour parler la langue de Shakespeare ? Roubi or not Roubi, that is the question. Roubi c’est l’asile de fous d’Alger.

Revenons à nos moutons, comme y dit Fernandel dans Topaze.

Les enfants, sous les ordres de Papa Vals, rien qu’on se fait engueuler pace que on a décoré la terrasse avec des petites ampoules de toutes les couleurs qui se donnent la main comme si elles sont des sœurs. Total, on a aligné les ampoules à la six-quatre-deux. Une grosse, une petite, une moyenne, une verte, une bleue, une jaune. Papa Vals y voit rouge. Il en peut plus. Sa femme, rien qu’elle se moque de lui. Les autres hommes, c’est pas un poil qu’y z’ont dans la main, c’est la tignasse de mon frère Jacky que tout le monde on l’appelle « touffu ».

C’est bizarre les femmes de chez nous hein ! Toujours y faut qu’elles pleurent ! Une fête. Tac !elles pleurent ! Un décès, ça la vérité c’est normal, elles pleurent. Pas une d’anormale,va !Un film triste, re-tac, elles pleurent !

Même les films comiques, elles pleurent. De rire mais quand même, quand même, elles trouvent le moyen de pleurer. Pourquoi,j’vous dis ça ? Ah oui ! Parce que Marraine, elle descend sur la terrasse, elle voit les lampions, les cadeaux, les grands et les petits qu’on s’est mis sur notre trente et un et demi, qu’est ce qu’elle fait ? Elle pleure comme une madeleine qui ressemblerait à une marraine. Purée, les autres femmes du cabanon, elles imitent Marraine en dissimulant leurs larmes pace qu’elles connaissent leurs maris et leur sourire narquois. Ces hommes, j’te jure ! Pas un pour racheter l’autre ! Des sans cœur !

Une fois la terrasse séchée, (et bien sur bande de babaos, les larmes, ça mouille !) El Gato Montès il a déclenché la ruée vers la piste de danse. Les gens de chez nous, c’est les champions du monde du tango et du paso-doble. Papa Vals avec son pantalon en alpaga qui lui va comme un béret basque, y s’approche de Marraine et y s’prend pour Fred Astaire. Marraine la pauvre, elle est toute émue. C’est que son cavalier, il a mis les formes, avec un baise main et tout. Après papa Vals, c’est papa Serrano qu’il a pris le relais et ainsi de suite. Raïben, Marraine, sara-sara, elle s’prenait pour une toupie mais au fond, au fond, elle était heureuse comme une enfant devant un beau sapin de noël.

Nous autres, les jeunes, on est descendu à la plage qu’elle était plongée dans l’obscurité. Noire pire que Blanchette, le marchand de beignets arabes du marché de Bab El Oued. Avec Colette, on a abandonné la bande de calamars farcis pour s’isoler dans le hangar à bateaux et là, mon ami, on a frotté un maximum. Mais les filles, c’est bizarre hein ! Comme leurs mères, rien qu’elles aiment se projeter dans l’avenir pour se créer des soucis. Encore si elle disaient « demain, y va faire beau et on va aller au cinéma, on va s’acheter des glaces, tu vas me toucher les tétés, et quand on sera plus grands, on va faire Pâques avant les Rameaux tous les jours de la semaine…. » mais aouah, rien qu’elles cherchent le mauvais sang. La vérité, on frottait comme des morts de faim, va savoir c’qui lui est passé par la tête :

--« Comment on va faire cet hiver pour continuer à se voir toi à Bab El Oued et moi rue Hoche? »

Amman ! Avec la chaleur de l’été algérois, sans parler du feu qui couvait dans nos jeunes corps adolescents, comment elle peut penser à l’hiver. Dites moi un peu ! Comment je vais faire pour vivre toute une vie avec une fille qui deviendra femme qui deviendra mère qui deviendra grand-mère et peut-être arrière grand-mère ? Elle va me transfuser un paquet de mauvais sang avec toutes les seringues de la terre. Pourtant, bon sang ne saurait mentir et la bonne humeur qui règne dans les foyers pieds noirs me rassure un chouïa et me ramène aux tétés de Colette.

Alors, je mens, j’invente, je projette, je philosophe.

--« Quand on veut, on peut ! » Ba, ba , ba ! La classe. Elle reste toute baba. Elle doit se dire « en plus qu’il est beau comme un demi-dieu, y parle comme l’autre moitié du demi dieu en question ! » Tan,tan,tan !Elle est conquise. Alors tel un conquistador, je pars à la conquête de sa poitrine. Mais cette fois, je cherche à déboutonner son chemisier.

Amman, qui c’est ce tordu de la cervelle qui s’est torturé la tête pour fabriquer des boutonnières plus étroites que les boutons ? Si ça tenait qu’à moi, j’arracherais ce chiffon comme Attila quand les Huns y violent leurs victimes. Mais si je fais ça, je vais me faire disputer par toutes les femmes d’Alger, pas seulement du cabanon.

--« Petit salopris que tch’es ! Tu sais combien ça coûte un chemisier comme ça ! »

--« Mais j’arrivais pas à le déboutonner ! »

--« C’est pas une raison, mal élevé que tch’es ! »

Ma mère elle m’aurait placé en pension et j’aurais eu que mes yeux pour pleurer.

Purée, ce chemisier, y me fait délirer. Et transpirer aussi. Y faut dire que ma gobia elle m’enlève tous mes moyens. Mes mains, debdébah, on dirait des gants de boxe, alors, bien sur.

Oh ! Ma petite dévergondée, elle m’aide. Quelle dextérité ! Ca y est. Je touche ses tétés. Pour de vrai ! Purée ! On dirait des vrais ! Enfin des vrais de femme ! Comme ceux des mamans du jardin qui donnent à téter à leurs bébés. Y sont durs et chauds comme les pains juifs qu’elle fait ma mère pour le shabbat. En plus, y sentent bon le soleil et la mer. La langue de ma petite chinoise elle repart en expédition. Elle me tape de ces baisers, j’vous dis pas ! Hé, obligé, je peux pas parler la bouche pleine. Ca me distrait un maximum. Mes mains, j’en ai pas assez. Y m’en faudrait deux de plus tellement j’ai des fourmis dans les doigts. Quand il a fallu s’arrêter, on était dans un état proche de la syncope.

Pour se refroidir les idées coquines, on s’est tapé un bain carabiné, bercés par la musique de Luc le coulo qui s’était auto déclaré préposé au tourne disque. Quand on est sorti de l’eau, on s’est dit que si on continuait sur ce rythme, Pâques on allait le faire bien avant les Rameaux. On savait qu’on était des petits « bien comme il faut » et que ça se faisait pas mais y fallait jurer de rien avec deux zigotos comme nous.

Purée, j’étais content ! J’avais touché pour la première fois de ma vie des tétés en vrai. Mes amis du quartier, les vrais eux aussi, y vont mourir quand je vais leur en parler. Eux, y se contentent de mater les photos de Diana Dors ou de Jayne Mansfield. Attention les yeux !

La soirée elle se termine avec un triple ban pour Marraine, Colette à mes côtés comme deux enfants sages.

A SUIVRE.....................

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