samedi 31 mars 2012

LE DESTIN FABULEUX DE LEON JUDA BEN DURAN "SIEUR DURAND D'ALGER" de Hubert Zakine

MASCARA, principale cité de la plaine de l'Eghriss, culminait à quelques cinq cents mètres au-dessus du djebel CHOUGRAN et de l'Oued TOUDMAN.

Nichée sur un promontoire naturel formé de deux gorges qui aspirent les rafales de vent pour les expulser quelques centaines de mètres plus loin en un long murmure chaotique, la capitale du Beylick de l'Ouest attirait les voyageurs par une route parfumée de pistachiers, de vignes sauvages, d'asphodèles et colorée de "koubahs" blanches, vertes ou bleues.

Ceintes de murailles, entourant les trois faubourgs de la ville, les maisons de MASCARA renvoyaient le mirage d'une mer bleu indigo, couleur de la chaux badigeonnée sur les murs, afin de chasser les moustiques attirés par le ruisseau AIN BENT ES SOLTAN.

Le vent, venu de la mer, glissait sur les monts enneigés des BENI CHOUGRAN, se nourrissait de la pureté de l'air pour offrir à toute une population frigorifiée, une protection naturelle contre les maladies traditionnelles de l'Afrique du Nord.

MAHI ED DINE précéda Léon Juda en franchissant au pas, la porte de l'Ouest BAB EL GHERBY qui donnait accès à la route de MOSTAGANEM, ORAN et TLEMCEN.

L'homme de la Guetna répondant aux multiples sollicitations que lui valaient sa renommée et ses amitiés, le jeune juif profita de cette halte pour acheter, dans la grand-rue, un burnous noir mascaréen, célèbre dans tout le pays pour son adaptation climatique au froid comme à la chaleur.

Cette artère qui traversait la ville d'Ouest en Est rappela au chef de la Maison DU-RAN une autre rue commerçante tenue par sa communauté, la rue BAB AZOUN d'EL DJEZAIR.

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Les jardins de la résidence d'HASSAN BEY descendaient en cascades fleuries vers la place du marché aux épices.

Homme sans caractère, le BEY d'ORAN offrait l'image d'un turc corrompu, jouis-seur des avantages de la vie, délaissant volontiers les devoirs de sa fonction à quelques dignitaires proches du pouvoir.

Préférant la quiétude de son pavillon mauresque de MASCARA à l'agitation de son palais Oranais, HASSAN dirigeait le Beylick de l'Ouest à partir de l'ancienne capitale, évacuée par les Espagnols en 1792 après la victoire de MOHAMMED EL KEBIR.

MAHI ED DINE parvint, sans difficulté, à s'attirer ses bonnes grâces contre une promesse de neutralité dans le conflit permanent l'opposant au Marabout d'AIN MAHDI.

HASSAN signa le traité de la Guetna qui désignait Léon Juda fournisseur officiel du Beylick de l'Ouest sous la protection du Marabout de la plaine de L'EGHRISS.

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Léon Juda reprit la route d'EL DJEZAIR le coeur au vent et la tête dans les étoiles. L'arc de sa vengeance avait tiré une première flèche qui allait atteindre la cible BACRI de plein fouet.

MAHI ED DINE avait apposé son sceau sur le pacte d'alliance de la Guetna, lui servant sur un plateau d'argent, l'exclusivité du commerce des céréales, du fer, du cuivre, du soufre, des étoffes, du bétail et des chevaux.

Le convoi emprunta la superbe côte caravanière qui longeait les villes d'ARZEW, MOSTAGANEM, TENES, CHERCHELL, TIPASA et SIDI FERRUCH. Routes sinueuses éclairées de panoramas grandioses, rythmées par les cris des oiseaux marins et de l'assaut guerrier de l'onde cuirassée d'argent qui déchirait, en vagues pénétrantes et sublimes, le bastion de roches, imperturbable dans sa forteresse millénaire, dernier défenseur de l'élément solide contre l'envahisseur liquide.

Léon Juda revisitait cette mémoire dispersée à travers les siècles et les paysages, ornement d'un passé qui habilla son pays d'amphithéâtres de lumière, érodés par la magie du temps, vestiges de civilisations englouties par le grand tourbillon des conquêtes successives.

Au cours de chacun de ses déplacements, il recensait et notait la topographie des lieux et des monuments, des plaines et des crêtes, des routes et des baies, des ports naturels et des embarcadères, des villes et des villages, des massifs montagneux et des ravins sauvages. Mais jamais autant que lors de ce voyage

Etait-ce la perspective annoncée de faire mordre la poussière à l'instigateur du décès de son père ou bien tout simplement son humeur vagabonde qui lui dictèrent sa conduite ce jour là?

Il demanda à son chef chamelier de poursuivre la route sans lui.

Devant l'effarement du vieil homme, il lui fit la promesse de les rejoindre le jour suivant.

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TIPASA apparut toute nue. Sans son léger voile de brume qui la dérobait au regard du visiteur les matins de septembre. D'une pureté transparente, la mer impassible semblait avoir gommé la ligne d'horizon pour unir son azur à celui de la voûte céleste. Pour l'accueillir, TIPASA s'était parée de ses plus beaux atours, conjuguant le présent au temps passé, mêlant dans une heureuse harmonie de couleurs, le roux des ruines romaines, l’intensité de la verdure qui se penchait dans une homérique révérence sur la beauté du site et la violence d'un bleu omniprésent

La sérénité de ce temple voué à la transparence de l’éternité apaisa l'homme tour-menté qui chuchota une prière muette à l'oreille de cet amphithéâtre marin, somp-tueuse synagogue à ciel ouvert.

Mille senteurs happèrent l'odorat de Léon Juda en une farandole parfumée, caden-cée par le baiser salé de la mer sur la plage interdite. L'enchantement saisit l'âme du visiteur solitaire devant cette constellation d'amour et de beauté offerte par une palette incomparable de flore qui chavira ses sens et dispersa son regard.

Intrus sur cette terre bénie des dieux, Léon Juda se nourrissait de cette quiétude du bout du monde, bercé par le bruissement des palmes caressées par le souffle grisant venu de la mer. De son enfance contemplative, il avait conservé la faculté de toujours s'émouvoir face à la magie d'un paysage sublimé par la lumière cristalline du ciel d'EL DJEZAIR qui traçait des épées de feu sur une méditerranée agenouillée devant l'Eternel. Plus que partout ailleurs, il goûtait aux joies simples d'un regard posé sur la mer, la tête vide, scrutant l'irréel. Ici, à TIPASA, il réinventait sa jeunesse. Une jeunesse nue, lâchée dans les grands espaces du bonheur, prête à recevoir le sacrement généreux de dame nature, oublieuse du savoir des livres pour mieux développer sa sensibilité et sa sensualité.

Il resta ainsi, immobile parmi les pierres romaines, dans ce cimetière marin dépourvu de sépultures, témoin d'une mémoire juive sous le ciel africain. Puis, après un dernier regard sur l'enchantement, il enfourcha son noir cheval pour rejoindre le convoi du vieux MOKTAR.

A SUIVRE.......................

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