lundi 8 août 2011

IL ETAIT UNE FOIS BAB EL OUED de hubert zakine -35 -

En Algérie, le culte des morts jouit d’une très grande considération. Le défunt part en emportant dans ses bagages l’affection indéfectible de son entourage. La piété des uns, la superstition des autres entraînent une part d’irrationnel dans l’inconscient collectif. Ainsi, la maison des morts, situé au début de la rue Thuillier, à une encablure du jardin Guillemin, se trouve l’objet d’une polémique morbide. En effet, les locataires successifs d’un appartement du premier étage, décèdent dans l’année qui suit leur emménagement. Curiosité pour les uns, coïncidence pour les autres jusqu’au jour où le quartier apprend que l’immeuble fut construit à l’emplacement même de l’entrée d’un ancien cimetière juif. D’où son appellation de « maison des morts ». Inutile de préciser que l’appartement resta vide jusqu’à l’indépendance car les commères du quartier divulguèrent la nouvelle à chaque futur locataire qui pliait ses bagages sans coup férir.
L’histoire de la « maison hantée » du Triolet s’inspire des mêmes constatations avec des familles qui s’enfuient au bout de quelques jours de location. L’une d’entre elles, rendue célèbre par l’un de ses garçons, champion  de sa discipline sportive, en fit les frais.
Dans un cas comme dans l’autre, chacun s’accorde à reconnaître les faits par leur superstition avouée. La vie dans l’au-delà existe bel et bien pour ces enfants du faubourg, consommée sans doute par la présence toute proche de la casbah, ses mystères, ses guérisseurs, ses médiums et ses pleureuses.

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 CHAPITRE CINQUIEME
VIE QUOTIDIENNE
L’AMITIE
Comme un joli bateau qui danse au large de l’indifférence, sur les bancs de l’école ou des jardins publics, l’amitié prend naissance au royaume de l’enfance. Prédisposé pour ce sentiment irréversible, le Méditerranéen profite de sa propension à vivre dehors  pour le partage, l’aversion ou l’échange. Ce frère par le cœur élu, cet autre soi-même auquel l’on s’identifie et se rallie, emplit le verre de l’amitié offert sur le comptoir de la complicité.
Un ami me disait récemment : « un ami, c’est celui qui rit au même moment que toi et pour les mêmes plaisanteries. S’il sourit seulement, il sera tout au plus, un camarade !  »
Rien n’est plus juste car le rire demeure le dénominateur commun de cette connivence qui peut mener à l’amitié.
De toutes les misères occasionnées par la perte du pays natal, les Bab El Ouédiens rangent la perte de leurs amitiés comme l’une des plaies les plus difficiles à refermer.
Bab El Oued, par ses espaces aérés sur la « rue », par ses lieux  de vie au grand air que sont les jardins, par ses cafés où se rassemblent  autour d’une anisette un petit monde besogneux est une de ces terres fertiles pour ensemencer  une amitié entretenue par la permanence des rencontres. Par « l ‘avenue », à l’envi, parcourue.  Par une façon d’aborder l’existence via la richesse du cœur, aiguisée par  la communauté de pensée d’un voisinage omniprésent, le Bab El Ouédien s’enracine dans ses amitiés tel un chêne dans un sol accueillant.
Dans un premier temps, la « rue » sélectionne l’amitié. Puis, les affinités se révèlent plus précisément au sein de l’école. L’espoir de se voir placer par le maître aux côtés de son camarade demeure souvent lettre morte sauf si l’instituteur laisse le choix aux élèves.
L’adolescence prend ensuite le relais accompagnant cette complicité au delà de l’âge adulte, parfois de l’éloignement géographique et pour les enfants de Bab El Oued comme pour les « pieds noirs » dans leur ensemble, au delà de l’exode.
Les retrouvailles résonnent, alors, de tape-cinq, de rires et de sincères accolades. Dans les sous-bois enfumés d’odeurs de merguez, on récupère peu à peu ses quinze ans et l’on s’aperçoit que seul un ami partage le rire sur les mêmes plaisanteries.
L’amitié ne peut s’exprimer dans la solitude. Elle a besoin  du miroir  de cet autre soi-même, ce frère exilé, bafoué, trahi qui parcourt la vie, amputé de cette affection  éparpillée aux quatre vents de l’histoire par un référendum perdu d’avance.
Retrouvailles qui blessent autant qu’elles comblent de joie parce que temporaires. Alors, on se prend à rêver ce qu’eût pu être la vie si d’aventure, la séparation n’avait été qu’illusion, l’indépendance un mauvais rêve, si le partage de l’enfance puis de l’adolescence avait poursuivi son chemin au delà de 62, sur les trottoirs de Bab El Oued.
Parmi les gens branchés sur la même longueur d’ondes, à l’écoute des joies et des peines du faubourg.
Hélas, la dislocation de ces amitiés d’enfance s’avère bien réelle et l’image du bonheur se dilue dans les brumes du pays de France. La mémorisation de ces  visages perdus dans l’ironie des cheveux enfarinés et des tailles arrondies mesure le temps passé sans eux. Alors, les vieux albums de photos d’antan s’ouvrent dans la quête pathétique d’un retour vers les années de jeunesse  lorsque sévissait l’amitié.
Quand un quartier tout entier se cotisait pour s’offrir la balle en caoutchouc qui remplaçait avantageusement la boite de chique en fer blanc, la balle de tennis ou la pelote confectionnée avec des tombées de tissus pour disputer le sempiternel match de football entre deux égouts, au jardin ou entre deux passages de voitures dans la rue du faubourg. Quand les « chitanes »  se muaient, pour les beaux yeux d’un joli minois,  en de charmants garçons si bien élevés qu’ils étonnaient le voisinage habitué « aux sales manières de ces p’tits voyous ». Ainsi, tout au long des saisons se forgeait l’amitié, « le seul carburant qu’on connaisse qui augmente à mesure qu’on l’emploie » comme le chante si bien le regretté Herbert PAGANI. Une amitié galvaudée qui s’édulcore, de nos jours, à force d’être banalisée par tout un chacun alors que ce sentiment à la frontière de l’amour, cette offrande de l’innocence, cette découverte de l’enfance, demeure le plus beau sentiment de l’homme.  Bab El Oued possédait le rare privilège de respirer l’amitié à pleins poumons, une amitié écrite à l’encre indélébile dans le ciel d’Alger. Une amitié dont le A majuscule grandit chaque jour malgré l’espace et le temps, puisant, dans la séparation, le ferment du souvenir et dans l’adversité, l’émerveillement d’être passé un jour sur le chemin d’un tel sentiment. De l’avoir connu et d’en conserver la mémoire au cœur .
A SUIVRE.......

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