mardi 12 juillet 2011

TROIS HORLOGES de Hubert Zakine

EXTRAIT POUR VOUS DONNER LE GOUSTO
Le père de Richard regardait la vie qui se déroulait devant sa porte et pas au delà. La guerre 39-45 lui avait appris cela. Pendant sept années, il avait cumulé une période de deux ans pour le service militaire puis il avait enchaîné cinq autres années de guerre dans l’armée d’Afrique, de Monte Cassino jusqu’en Provence où Toulon fut la dernière étape. Il en avait vu défiler des images atroces qui l’avaient marqué à tout jamais, des épopées grandioses comme des petites misères d’une armée en campagne. Il disait que des hommes tuaient d’autres hommes qui ne leur avaient rien fait, simplement pour satisfaire la politique. Et cela lui avait appris à ne se mêler que de ce qui le concernait, c’est à dire, sa famille. Ce philosophe en pantoufle avait enseigné à Richard quelques maximes qui nourrissaient ses réflexions : Connaître les gens avant de les juger ; Ne pas s’appesantir sur les défauts mais exalter les qualités d’un camarade pour en faire un ami ; Ne pas suivre le troupeau mais savoir s’isoler au milieu de la foule et prendre le temps de la réflexion avant d’agir en son âme et conscience. « Les juifs, les arabes, les espagnols, les italiens ont tous des défauts et des qualités. Le tout c’est de séparer le grain de l’ivraie et de choisir ceux auxquels tu ressembles. » disait-il à son fils. L’amitié qui liait Richard et Kader semblait la meilleure preuve que la leçon avait porté ses fruits.
Richard suivait les conseils de son père sans vraiment y penser, simplement par mimétisme. Mais si ses parents avaient exigé l’obtention des baccalauréats avant de prendre une décision, Richard se serait plié à leur volonté sans rechigner car il avait une confiance aveugle dans leur jugement.
José arriva en plein milieu d’une partie de ping-foot disputée entre Richard et Gozlan qui avait « tapé cao » pour tenir compagnie à son adversaire du jour.
--Putain ! Vous savez que cet après midi ca va être la grosse barouffa. 
-- Aouah !  s’exclama Richard feignant la surprise. 
-- Hé, y faudrait être sourd pour pas le savoir, spèce de r’mar ! 
-- Vous y allez, j’espère !
-- Ouais, avec nos taouètes et nos fusils à bouchons ! plaisanta Gozlan. Plaisanterie reprise par Richard qui appuya :
-- Tch’amènes Sitting Bull !
-- Mais vous êtes des noeuds ! y parait que ca va tirer de partout !
-- Ah ouais, et nous les longs couteaux, on va encercler les indiens !
-- Arrêtez de dire des conneries ! Qui c’est qui t’a dit que ça va tirer partout ? C’est toi qui est nœud-nœud !Y vont au monument aux morts pour rendre hommage aux trois soldats tués par le FLN et basta !
-- Tu crois ca mais mon père y m’a dit que c’est qu’un prétexte !
-- Raison de plus pour pas s’en mêler ! Tout ça c’est d’la politique, alors comme y dit mon père, ch’uis pas assez intelligent pour faire d’la politique !
-- Putain, dé ! C’est pas de la politique ! C’est du patriotisme ! 
-- Nos pères, grâce à Dieu, y z’ont prouvés leur patriotisme alors le patriotisme derrière des drapeaux et les politiciens bien habillés, je le laisse où il est !
Pour la première fois, les enfants de la casbah n’étaient pas d’accord sur des sujets importants. Il est vrai qu’ils n’étaient plus des enfants et leurs engagements étaient plus tranchés qu’à l’âge où le consensus de l’amitié faisait sauter toutes les barrières. Norbert se rangea aux côtés de la famille Durand, laissant le soin à la multitude de suivre le cortège pavé de bonnes intentions qui s’engageait sur une route dont nul ne connaissait l’issue. Pour oublier les griefs de José, Richard passa l’après midi au creux du la couche de Carla, se noyant dans les vagues mouvantes qui balayèrent les doutes pour le déposer sur des rivages ensoleillés où l’escorta l’impétueuse et aimante italienne. La raison l’emportait dans ce combat qu’il mena tout au long de l’après midi en songeant à José livré à lui-même, loin de ses frères d’amitié qui semblaient lui avoir lâché la main. C’était une sorte de désertion que Richard tentait d’oublier dans les bras de sa belle fleuriste qu’il malmena comme jamais dans ce combat d’amour où le gong ne retentit qu’au dernier round.
FIN DE L'EXTRAIT

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