mardi 26 juillet 2011

LES AILES BLANCHES D'ALGER de Rosalind Ferrara -11 -

CHANT VII
SECONDE ELEGIE POUR NOS FAMILES EN DEUIL
Mon autre grand-père, mon père, mes grands-mères, mes tantes...
Les souvenirs tracent de grandes lignes blanches comme des avions fusent dans le ciel, et vous restituent la beauté de la mémoire, pareille à une grande fleur pleine de poésie… C’est pourquoi, ce qui fut douleur, souffrance, laideur, s’estompe dans le flou des pensées, et l’on ne retient que son souffle à l’apparition des plus belles réapparitions de l’enfance bénie sur les ailes des anges…
Ce furent d’étranges parents que les miens, si contrastés, un père sicilien, une mère anglo-alsacienne, lorraine, autrichienne, espagnole, surprenant mélange, dont je sens dans mes veines toute l’immense force créatrice, très différents, mais très beaux tous les deux. Deux familles si dissemblables et pourtant chacune dans son genre ouverte au BEAU et pourvue de dispositions artistiques… Les parents de mon père venaient de Sicile, de Catania plus précisément. Quand ils sont arrivés en Algérie, ils ne parlaient pas français. Mon grand-père marié à l’époque avait déjà des enfants. Mais il rencontra Arduina MALAVOLDI. Le divorce par consentement mutuel n'étant pas possible à cette époque, il se sépara tout simplement de son épouse. Les amoureux vécurent dix-huit années sans pouvoir se marier au grand scandale de mes grands-parents maternels très conservateurs ! Mes grands-parents siciliens donnèrent le jour à plusieurs enfants dont mon père.
Je garde de ma grand-mère, un souvenir très affectueux et à consonance artistique : après m’avoir emmenée voir Faust, cette petite femme s’était inventé un prénom « Marguerite », … Quant à mon grand-père sicilien, sec et maigre, pourvu d’une fine petite moustache, il était doté d’un caractère volcanique. J’adorais les « petits canards » au rhum sur un sucre qu’il glissait dans ma petite bouche gourmande…
Je me souviens de beaucoup de remue-ménage dans cette famille si peu calme et fort remuante. Je la voyais très souvent, car, à cette époque déjà, mes parents vivaient une séparation flagrante et douloureuse

Le petit appartement de mes grands-parents siciliens, rue de la Tour d’Auvergne, était situé dans les étages supérieurs de l’immeuble. Ses galeries intérieures reviennent souvent encore hanter mes rêves… C'était pour moi le plus bel appartement du monde. Il était bien rustique en réalité et n'avait rien de bien attrayant, si ce n’est la chaleur affective qui y régnait. On entrait directement dans une immense pièce, qui servait de chambre à mes tantes, meublée d’un cosy discrètement transformé en lit le soir, d’une table ronde où des bouquets de fleurs fraîches, parfois immenses pour la petite fille que j’étais, souvent des glaïeuls, jaillissaient dans les sillons joyeux du soleil entré insolemment par l’immense fenêtre toujours ouverte dans mon souvenir. J'y regardais danser des grains de poussières étoilées dans les fines dorures de l’astre pénétrant et peu discret, tandis qu’il me tardait qu’une de mes tantes ouvre le grand coffre de bois mystérieux. De là ne manqueraient pas d'apparaître, pour mon bonheur, de merveilleux trésors délicatement enfouis : jupes de toutes les couleurs aux allures gitanes, jupons bouffant en cascades intrépides... Et je ne cessais de rêver du jour où je pourrais porter toutes ces belles choses !...
Puis, il y eut des mariages, les grands mariages de mes tantes, et d'abord toute la préparation solennelle qu’ils suscitaient : les courses dans les beaux magasins dont les robes immaculées, les diadèmes fantastiques me fascinaient... Et voici que moi-même j'avais une nouvelle robe, une belle robe de demoiselle d’honneur montée et cousue à même de mon fier petit corps plein de vie !...
Initiée par mon entourage familial, j'étais déjà bien consciente de ma féminité naissante : dès l’âge de huit ans, ma grand-mère maternelle me donnait à lire Caroline chérie et les Amours de France, et m'offrait de belles robes achetées au Magasin Général, sorte de Galeries LAFAYETTE de l’époque… Il y avait aussi les colliers de bois d’olivier qu’elle posait à mon cou dans les grandes occasions et qui faisaient de moi, à mon humble avis, la plus belle des princesses… Elle me chantait « Vous avez l’éclat de la rose et le parfum du jasmin… ». Alors, comment ne pas être belle, oui, la plus belle des petites du monde, comment croire que tout cela, un jour s’effeuillerait avec le temps et les années.

Quel bonheur aussi de me rouler dans l’herbe verte, tous mes sens éveillés dans la fraîcheur du cresson dégringolant d’une petite butte qui faisait mes délices, et l’enivrante quintessence des marguerites coquettes que j' embrassais de toute la force de mes petits bras de soie blanche…
Mille et une joies sur les ailes des anges…
Reviennent bruire à vos oreilles, s’épancher, comme autant d’amours de jeunesse, tous les parfums, toutes les images, tous les chants divins du cantique aux murmures indicibles des voix, des mers, des êtres…Fontaines de jouvence face à l’éternité, qui ignore le temps indompté, les yeux écarquillés pour regarder le monde avec confiance, fascination, éblouissements si gais, si joyeux…Félicité de l’enfance mais sans facilité…et comment dire, ivresse d’être, premiers émois conscients et ingénus.
Tous ces bonheurs restent inoubliables, inscrits paisiblement, ils se gravent à jamais dans votre âme, et seront le socle de vos espoirs à venir. Toutes ces résonances de l’être, même à travers tant d’êtres différents, lentement tissent des myriades d’étoiles lumineuses dans le ciel de votre jeunesse… Alors il pousse des ailes au sein même de vos pensées d’enfant, telles celles que vous ne cessiez de contempler dans les églises, la tête renversée indolemment en arrière pour accrocher votre regard aux multiples symboles religieux planant au ciel immense de votre vie !

Rosalind a déjà, petite fille, une telle maturité d’être, consciente de bien des émotions pétillantes comme des notes de champagne, d’élixirs si joyeux. Petite reine silencieuse que l’on dit si posée, mais qui en fait, ne rêve qu’à jouer, courir, s’épancher, s’étirer, s’enivrer de tout, se grandir… Elle respire les parfums, car elle en est l’aimable rose, ses pensées sont si douces. Elle boit ce que l’on dit avec vivacité, et puis elle entonne des mélodies et les mélange à ses rires comme autant de mélopées…Elle est parfum léger, bouton de rose, insaisissable petit elfe, fragile comme une aile de papillon, elle est l’évidente vision de l’amour, la concrétisation d’un songe inaccompli… Son petit cœur bat au rythme de toutes les harmoniques l'enfance. Tout est, pour elle, éblouissement, découverte. Ses oreilles à l’écoute des moindres bruits, des plus petits cris d’oiseaux, restent entr'ouvertes pour capter la beauté des sons et des spectacles les plus parlants, mais aussi pour se charger de rêve, étincelles, poudroiements d’or, magiques silences, crépitements, lieux de délices aux senteurs de paradis… Bonheur candide, élan de vivacité, juvénilité au cœur battant, tant de chemins à faire, de traverses fleuries, de plaines et montagnes, mers et lacs à traverser…et surtout cette merveilleuse sensation d’être portée sur le long baiser des vents les plus rassurants et les plus chauds…

Rosalind se sentait ainsi si multiple, si intense, si pleine de mouvements, d’envie de faire, et de défaire, petit ange incandescent, petite fille croquant, à belles dents, la vie !... Mais si sage en apparence, à l’image de ce que sa chère mère très victorienne lui demandait d’être, très posée, souriante, ne contrariant jamais personne, petite poupée immobile, rendant des visites aux grands amis ( leur hauteur la laissait perplexe) de ses parents des avocats, des hommes d'affaires. En dépit de son jeune âge, elle avait saisit très vite les jeux et les obligations liés au bon fonctionnement de l’existence, subodorant tous les combats menés par les grandes personnes pour se faire une place au soleil, cet astre fait pour chacun de nous au fond de nos cœurs de solitude.
Cependant, cette petite fille aimait aussi être seule et rêver à son aise…

Oh douceur candide de l'enfant, qui découvre sa petite cambrure aérienne dans un miroir, et emprunte, en l’absence de sa mère adorée, les strass et rouge à lèvres pour être aussi ravissante et éblouissante que celle-ci, se regardant avec admiration dans le reflet de la grande glace de la salle à manger après avoir bu des gorgées de liqueur tourbillonnante cachée dans une crédence ancienne !…

Mais aussi parfois se levaient des profondeurs de l'âme enfantine des langueurs et des angoisses secrètes... Que cherchait-elle cette petite fille, qui terminait toutes les coupes de champagne des invités après de grandes fêtes mémorables ?...

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