dimanche 17 juillet 2011

L’ENIGME de la «PIERRE de la MARTELLE» par Elise LEIBOWITCH

Je voudrais rendre hommage, à l’occasion de cet article, à Monsieur l’abbé Raymond Boyer, pour l’intérêt qu’il porte au Judaïsme, pour ses connaissances et sa science du patrimoine juif, et enfin pour la simplicité et la disponibilité avec lesquelles il répond quand on le sollicite.
Le « Chemin du Kiosque » à Ollioules est signalé comme impasse et rien n’indique que plus loin, dans une courbe, face à l’entrée de la propriété « La Burelle » se dresse une dalle gravée de 1,60m sur 44cm, dite « Pierre de la Martelle ». Aucune mention de son classement au titre des monuments historiques en 1953.

MON COUSIN JEAN PAUL JONAS  DURAND DEVANT LA STELE

L’inscription de 14 lignes est nette, elle se développe sur deux colonnes dont les caractères hébraïques carrés se détachent avec précision. Le texte hébreu fut transcrit, traduit et étudié par l’abbé Raymond Boyer . Il confirme qu’il s’agit d’une pierre tombale, gravée de l’épitaphe de Jonah Duran décédé le 2 Nisan 5385 soit le 9 avril 1625, date contenue dans le chronogramme « hash-shekinah » ligne 12 .Une erreur dans le tracé d’une lettre de ce mot, ainsi qu’une autre à la ligne précédente, laisse penser que le graveur n’était peut-être pas juif.
L’émotion est grande devant cette dalle dressée, isolée en pleine campagne, à l’ombre de trois hauts cyprès, grossièrement protégée par un muret en béton. Vulnérable… Sur le rebord du talus où elle est posée, des bougies ont laissé couler des volutes de cire blanche. Un liquide s’est répandu sur la terre du chemin, des éclaboussures d’huile et de suie ont gicléau bas de la dalle… Traces de veilleuses ?
On dit que « la pierre » alimente dans le voisinage des croyances ésotériques en des trésors cachés... De multiples questions surgissent dont certaines resteront sans réponse. Autres impasses…
LA DECOUVERTE
M. Tercissius Esopi, un maçon qui possédait une propriété, quartier de la Martelle, la découvrit lors de travaux dans sa maison. C’était en1927. Elle servit d’abord de banc « devant la fenêtre »… pour prendre le frais. Puis elle fut posée sur le rebord du bassin. « Je l’ai connue en 1948 lorsqu’elle avait été trouvée fortuitement et réemployée dans le lavoir ». C‘est là que l‘abbé Raymond Boyer vint l‘étudier et relever le texte. Il proposa de la confier à un musée, mais le propriétaire refusa. Il consentit cependant à la poser à l’extérieur de son terrain, sur la clôture, pour faciliter les visites. Beaucoup plus tard, en 1991, la veuve de M.Esopi raconta à Henri Tisot les circonstances de cette découverte.
LA FAMILLE DURAN
L’épitaphe lève le voile sur un des membres peu connu de cette illustre famille qui compte des personnalités éminentes. « Ce rabbin appartient sans aucun doute à la célèbre famille juive des Duran, dont les premières traces, en Provence, remontent au XIIIème siècle : un Moshé Duran est signalé aux environs de 128O. Plus tard, un autre Moshé Duran se trouve mentionné dans une liste des juifs de Tarascon (1350-1487). »
Le fondateur de cette lignée fut Zémah ASTRUC Duran qui mourut à Alger en 1404. Il était d’origine provençale et DURAN était un surnom qu’il transmit comme patronyme à ses descendants. Féru de médecine et d’astronomie, il s’établit à Majorque, se distingua parmi les notables mais lors des massacres de 1391, dut s’enfuir à Alger où il devint rabbin. Son fils Simon Duran ( RaShBaZ ) évoqua l’origine provençale et l’ascendance illustre de son père dans son ouvrage TaSBaTs. Il naquit à Majorque en 1361, étudia non seulement les mathématiques et la médecine qu’il pratiqua à Palma de Majorque,mais aussi la philosophie et l’astronomie. Par mariage il se trouva allié au deux grands rabbins de Catalogne, Gerondi et Nahmanide.
A Alger où il s’était rétiré, il enseigna  et rédigea  divers traités, en particulier sur le rite synagogal d’Alger, controverses et polémiques, poèmes sacrés ou profanes, pamphlets, et responsa, ouvrages parfois publiés dès le XVIème siècle. Il mourut à Alger en 1444.
Le fils de Simon, Salomon ( RaShBaSh ) (Alger 1400 - 1467 ), prit dans Milhemet hobah la défense du Talmud contre les attaques du converti Géronimo de Santa Fé. Il s’était déjà fait remarquer dans sa jeunesse par ses prises de position contre la kabbale. Son oeuvre est, elle aussi, considérable et fut publiée à Venise vers 1596. Plusieurs des descendants de Zemah Astruc Duran furent rabbins à Alger, dayan ou chefs de communauté, talmudistes et auteurs de responsa, de poèmes liturgiques et de commentaires. Un très rare rituel, manuscrit espagnol enluminé de la seconde moitié du XVème siècle que possède la famille Durand et qui se serait transmis de génération en génération, témoigne encore aujourd’hui du passé illustre de cette dynastie.
JONAH DURAN
« Cette épitaphe nous présente le rabbin Jonah Duran comme descendant d’ancêtres illustres et chef d’une communauté israélite. Elle loue sa foi, sa valeur morale et intellectuelle. Elle nous apprend qu‘il mourut des suites d‘une maladie,(vers 9 et 10 ) le 2 Nisan 5385...
Bien qu’elle rende hommage à la science talmudique de Jonah, on ne connaît pas de commentaire rabbinique dont il fut l’auteur. Tout ce qui subsiste de ses écrits est conservé dans la préface du Hesheq Shelomoh (Venise, 1623), commentaire du Livre des Proverbes, composé par son oncle Salomon ben Zemah, rabbin à Alger. Dans cette préface, Jonah fait allusion à la mort prématurée d’un certain Zemah fils de Salomon Duran. Ce Zemah, décédé en 1604, est le cousin germain de notre Jonah Duran… »
QUESTIONS
L’origine de cette pierre tombale pose problème. Les Juifs de Provence avaient été chassés par Louis XII en 1500. Comme le fit remarquer le Dr Cecil Roth, on ne peut concevoir une communauté organisée après cette date. Alors Jonah Duran est-il décédé près de Toulon, au cours d’un voyage ? Etait-il prisonnier et galérien ? La pierre tombale a-t-elle été apportée déjà gravée ?  Autant d’hypothèses émises par Cecil Roth et contestées par l’abbé Boyer. Car il est vrai aussi que des Juifs revinrent en Provence dès le XVIIème siècle. En 1611, leur présence est attestée à Marseille.  « La grande migration des Morisques, expulsés d’Espagne par Philippe III en 1610, a permis à des juifs de s’infiltrer en Provence. »
 

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